L’actualité a parfois des enchaînements cruels. La semaine s’annonçait riche de petites victoires : le passage en régie publique de la gestion de l’eau du grand Lyon, la grande famille de la culture faisant bloc pour sa sauvegarde. Au chapitre des belles nouvelles on aurait pu ajouter le retour de Pif le chien. Sauf que la publication qui aurait dû ravir des bataillons de vieux enfants suscite plutôt des grincements de dents.
L’animal, des décennies durant, a occupé quatre cases quotidiennes dans L’Humanité vient d’élire domicile rive droite. Frédéric Lefebvre, ex-team Sarko, ex-secrétaire d’État du gouvernement Fillon, nouveau converti au macronisme, vient de s’offrir le groupe Vaillant. Avec lui, il a récupéré le canidé dont il compte optimiser le potentiel au travers d’un trimestriel mais également de programmes pour l’audiovisuel, des jeux… Pour le meilleur et pour le fric.
LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>> Religion, caricatures, genre… Cette jeunesse qui fait peur à Marianne
Et paf, la baffe !
La nouvelle a de quoi piquer. Elle pique, fort même. Dans l’imaginaire collectif, Pif est dans le camp des petits et des « partageux ». Il en va de même pour ses copains : Rahan, le libre penseur né dans la foulée de mai 68 ; Docteur Justice, le médecin idéaliste anti-armes anti-guerres et contre toutes les formes d’esclavagisme, altermondialiste avant l’heure. Sans omettre Totoche, le môme au franc parler de la colline de Belleville. Le choc est grand de les voir tous échoir à un ancien député UMP dont le pedigree ne transpire pas l’humanisme, quand bien même ses déclarations d’usage affirment le contraire.
Dans une longue interview à Entreprendre, Frédéric Lefebvre affirme en avoir fini avec la politique puis déclare sa flamme à Pif dont la version 2.0 sera « plus humaniste que jamais, solidaire, engagé pour la planète et pour la défense des animaux ». Pour rendre le message lisible à tous, Pif portera d’un sac à dos vert et, question de donner le ton, Nikos Aliagas sera le premier invité de la publication. Bref ça sent le greenwaching et l’opération marketing à trois kilomètres.
Glop, pas glop. C’est ça la dialectique.
Personne n’ignore les difficultés financières de L’Humanité comme d’une grande partie de la presse. Que le titre communiste cherche des financements susceptibles d’assurer son fonctionnement n’est pas choquant. La difficulté réside dans le fait de trouver l’équilibre qui rendra son fonctionnement pérenne sans altérer ni sa ligne éditoriale ni sa place singulière de média d’opinion dans la presse française.
Dans le cas de la cession de Pif, la ligne éditoriale ne sera pas affectée puisque non concernée. Reste le contraste entre un journal dont le moteur de vie est l’appel quotidien à la souscription et à l’action militante et ce même titre confiant l’avenir du canidé le plus célèbre de la gauche à un lobbyiste.
C’est d’ailleurs cette discordance que nombre de militants communistes et lecteurs de Pif expriment sous forme de quolibets, d’interrogations voire d’explosions de colère sur les réseaux sociaux. Qu’est ce qui a bien pu passer dans la tête de la direction du journal pour accepter un tel deal ?
Dans le JDD daté du 14 décembre, la réponse du directeur de L’Humanité laisse présumer qu’il a agi sous forte incitation des administrateurs judiciaires du journal communiste, et que la cession de la licence d’exploitation de Pif à la société Pif et Hercule créée pour l’occasion participe du plan de son redressement.
Le choix de Frédéric Lefebvre et l’entrepreneur Bernard Chaussegros était-il un passage obligé ? Patrick Le Hyaric évoque une simple relation professionnelle qui, selon les modalités décrites par Libération, « en plus du montant de la licence va assurer à L’Humanité une redevance annuelle, un intéressement aux ventes et une commercialisation des espaces publicitaires par la régie ». Autrement dit, on est sur une question de gestion courante d’une entreprise…
Pas quand il s’agit de Pif.
Touche pas à Pif Gadget
Parce qu’il est partie constitutive d’un patrimoine politique et social. Quasiment un service public de l’éducation populaire pour des générations d’enfants des années 70 et 80 dont je suis. On achetait Pif Gadget comme on allait en manif ou à la fête de l’Huma, suivait les fictions de Bluwal et Lorenzi, lisait Gamarra et Jean Pierre Chabrol, savions distinguer la gauche de la droite. On ne vit pas dans la nostalgie mais dans le présent. Mais justement, regarder le petit chien devenir une variable d’ajustement capitalistique sur le grand marché de la solidarité est un symbole qui passe mal.
Alors que la gauche a la gueule de bois politique et le vague à l’âme idéologique, on a le sentiment que tout part à vau l’eau.
« Vous êtes souffleurs de conscience et transmettez une compréhension, une énergie, un état d’expansion, un élan », écrivait Jack Ralite à propos de la culture.
A tout prendre mieux vaut une renaissance que la mort.
Répondre