Accueil | Entretien par Loïc Le Clerc | 7 juillet 2020

« Son histoire suit la grande histoire » : Arthur Soria nous présente son podcast « Georges »

Jeudi, Regards accueille un nouveau podcast, « Georges », diffusé initialement sur la plateforme Majelan. Neuf épisodes qui seront publiés tout au long de l’été sur regards.fr. L’histoire d’un homme de gauche qui a vécu tous les grands événements du XXème siècle : de la guerre d’Espagne à la chute de l’URSS. Pour en parler, on a causé avec Arthur Soria, le petit-neveu de Georges.

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Arthur Soria est l’auteur du podcast « Georges ».

 

Regards. C’est qui ce Georges ?

Arthur Soria. Georges Soria est mon grand-oncle. Il est né à Tunis en 1914, originaire d’une famille juive italienne ayant émigré au XIXème siècle. Il est connu en France pour avoir créé et présidé l’ALAP (Agence littéraire et artistique parisienne) en 1953, une agence destinée à favoriser les échanges culturels entre la France et les pays de l’Est. C’est grâce à ça qu’il a été en contact avec tous les grands hommes culturels et politiques communistes du XXème siècle. Il est aussi connu pour son travail d’historien, il a écrit des livres sur la révolution russe, la guerre d’Espagne, la révolution française et la Commune. Ce qui est assez marrant avec la vie de Georges, c’est que son histoire suit la grande histoire. En 1929, son père fait faillite. Il rejoint le lycée Carnot, où un professeur l’instruit aux idées communistes. Mais lui s’intéresse plutôt au socialisme et au surréalisme. Il commence par être journaliste à Tunis socialiste, il a juste 17 ans. En 1934, le Néo-Destour est créé en Tunisie. Cet été-là, le pays connaît une vague de manifestations, suivie d’une vague d’arrestations – Bourguiba et quelques autres dirigeants du Néo-Destour, mais aussi des communistes, sont arrêtés. À ce moment-là, les socialistes vont laisser faire. Georges, avec une certaine naïveté, crie au scandale et s’éloigne des socialistes. Il décide alors d’aller à Paris, accompagné d’amis, dont le futur dirigeant du Parti communiste tunisien. Toujours en 1934, le Congrès international du Komintern décide la politique du Front populaire pour contrer la montée du fascisme en Europe. Toute sa vie, Georges sera toujours au bon endroit, au bon moment. Mais quand on creuse, on voit aussi qu’il trempe dans des affaires plus sombres. Sur la deuxième moitié de sa vie, il passe beaucoup de temps entre la Russie et Paris, avec sa femme – qui a travaillé pour le NKVD. En 1989, il commence à avoir des crises de paranoïa, où il imagine que ses voisins sont membres du KGB, qu’il y a des chars russes dans le boulevard. C’est à ce moment-là que sa fille Line comprend qu’il a un passé un peu plus sulfureux. Georges meurt en 1991. Chaque date de sa vie est liée à un événement historique de premier plan.

 

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L’intégralité du podcast Georges est à retrouver ici

 

Quel est le lien entre Georges Soria et Regards ?

Quand il arrive à Paris en 1934, Georges a 19-20 ans. Il cherche à écrire pour différents journaux communistes et entre en contact avec Regards et L’Humanité. Quand il arrive à Regards, il souhaite s’approcher des communistes. Et voici ce qu’il écrit dans son questionnaire autobiographique complété à la demande du PCF, en 1937 :

« Après les événements sanglants de septembre 1934 en Tunisie, je fus amené à réfléchir sur l’attitude qu’avait adoptée le parti socialiste de Tunisie concernant les questions coloniales. Et dès mon arrivée à Paris, désireux de me désolidariser d’avec le parti socialiste, et ayant étudié entre temps la position politique du parti communiste, je manifestais à Gayman, rédacteur en chef de Regards, mon désir d’entrer au PC. Gayman me répondit de rester aux jeunesses socialistes : du moment, me disait-il très justement, que je me sentais communiste, je pourrais rendre au PC des services en continuant à militer dans cette organisation. Je restais ainsi quelques semaines aux JS du 5ème arrondissement. Mais bientôt, découragé par le milieu et indigné par la propagande criminelle des trotskystes, je me retirais de toute activité militante et décidai de commencer d’une façon sérieuse mon éducation théorique marxiste. »

Pour ces journaux, il couvre la victoire du Frente popular en Espagne et ses conséquences – sa première rencontre avec les masses populaires. Il retourne en Espagne pour suivre les Jeux olympiques populaires de Barcelone, en juillet 1936, organisés pour dénoncer les JO de Berlin. La veille de l’ouverture des Jeux éclate le coup d’État nationaliste. À 21 ans, il se retrouve embarquer pour couvrir la guerre d’Espagne. Il commence alors à côtoyer ceux qui sont engagés dans cette guerre, des Hemingway, des Malraux. Il écrit un très bel article pour Regards sur la création des milices populaires à Barcelone, qui s’auto-organisent avec les syndicats, les anarchistes, etc.

[Les légions de la liberté, Regards, 1936. Le premier article de Georges pendant la guerre d’Espagne. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.]

Puis il va à Tolède pour le siège de l’Alcázar – un épisode marquant de cette guerre – et il y rencontre Mikhaïl Koltsov, un des grands journalistes de La Pravda et assez proche de Staline. Il va se lier d’amitié avec lui et se rapprocher petit à petit des Soviétiques – il devient proche d’Orlov, le représentant du NKVD en Espagne, l’envoyé de Staline pour faire le sale boulot.

Georges Soria (à gauche) avec Mikhail Koltsov (à droite) et la femme de ce dernier, l’écrivaine et journaliste communiste allemande Maria Osten. Contrairement à Georges qui a réussi à s’en sortir, Maria et Mikhail ont été emprisonnés puis éliminés par Staline peu de temps après la fin de la guerre d’Espagne.

« Georges était une légende dans ma famille, en faisant ce travail, j’en ai refait un humain, avec ses forces et ses limites. »

Comment vous est venue l’idée de partir sur les traces de votre grand-oncle ?

Il y a une sorte de fascination pour ce personnage dans ma famille. On retrouvait des tableaux de Picasso chez lui ! J’étais aussi fasciné par la Russie, son histoire, sa culture. Georges, c’est « mon grand oncle de Russie ». J’ai commencé à m’interroger sur ce qu’il faisait en Russie, à en parler à ma famille. Et plus je creusais, plus je nous découvrais des similitudes : on a quatre frères tous les deux ; il jouait du violon, plutôt mal, comme moi, etc., etc. Il y a une dimension un peu mystique à cette histoire. Je suis né quelques jours après sa mort, Georges est mon deuxième prénom… C’est quand j’ai rencontré Line, sa fille, que je me suis lancé. Lorsque je lui ai parlé de mon projet, j’ai vu dans ses yeux que c’était quelque chose qu’elle avait toujours voulu faire. Elle me dit qu’après la mort de son père, sa mère avoue qu’ils lui ont menti : elle n’est pas née à Oufa en Russie en 1942 – comme c’est écrit sur ses papiers – mais à Téhéran où Georges et sa femme avaient été envoyés en mission. Line avait une espèce de peur d’aller fouiller dans le passé, vis-à-vis du KGB notamment. Il a donc fallu une génération en plus pour que la pression de l’histoire s’estompe. Georges était une légende dans ma famille, en faisant ce travail, j’en ai refait un humain, avec ses forces et ses limites. Pour déboulonner le mythe, je suis allé sur les traces de Georges, en Tunisie, en France, en Espagne, en Russie. J’ai retracé son parcours de vie, chronologiquement, en me mettant dans sa peau. Le podcast est un dialogue entre lui et moi.

 

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

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