Pour Olivier Coulon-Jablonka, le théâtre documentaire n’est pas une première : en 2015 déjà, le metteur en scène créait 81, avenue Victor Hugo, en réunissant des membres d’un collectif de migrants sans-papiers. Mais là où dans 81, avenue Victor Hugo les récits personnels s’inscrivaient dans une lutte partagée, La Trêve déplie des témoignages d’où n’émerge aucune action collective. Pour autant, le spectacle traite avec une infinie délicatesse ses interprètes et les laisse porter leurs mouvements intimes, sans jamais les instrumentaliser. Mais reprenons. Cela débute par une voix-off. Dans le noir, puis accompagnée des images projetées d’un chantier, cette parole présente succinctement la situation du Fort d’Aubervilliers, et notamment des cinq tours qui abritaient jusqu’en 2015 la gendarmerie nationale. Reconverties pour partie en centres d’hébergement d’urgence (C.H.U.), ces bâtiments sont voués à la démolition dans le cadre d’un projet de zone d’aménagement porté par Grand Paris aménagement. Nous donnant à voir les tours au lointain, la caméra s’en approche progressivement jusqu’à franchir les portes du CHU – dont nul ne sait où ses habitants iront une fois les tours détruites…
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Le prologue cède alors la place à une alternance de séquences vidéo et de témoignages sur scène. Qu’il s’agisse des unes ou des autres, nous sommes au CHU, ainsi que le signale au plateau la scénographie sommaire et son mur décrépi évoquant ceux des tours. Et c’est dans cet espace dénudé que cinq résidents prendront la parole. Face au public Faouzia Ndoy, Pascal Fiel, Alioune, Ferima Denie et Boualem – respectivement originaires de Congo RDC, France, Sénégal, Côte d’ivoire, Algérie – racontent sans fard leur origine, leur parcours, leurs attentes. Fragmentaires, parfois elliptiques, ces récits nous plongent au cœur de vies intimes et de parcours singuliers.
En contrepoint, le film montre d’autres résidents : une femme issue d’une communauté tzigane de Serbie, un homme bulgare, un autre, chinois. Là où les paroles au plateau rappellent les violences subies comme l’impossibilité de réduire à des clichés les résidents, la vidéo capte l’attente comme les révoltes minuscules ponctuant le quotidien.
Interprétée avec retenue et une grande dignité par ses cinq comédiens, La Trêve est – tout en étant traversée de pointes d’humour – travaillée souterrainement par des sentiments d’impuissance : impuissance (parfois volontaire) des politiques à accompagner décemment ces personnes ; impuissance de l’équipe artistique dans certaines séquences vidéo face à la détresse de résidents ; impuissance des résidents à obtenir des garanties quant à leur relogement. Car si La Trêve en est bel et bien une, en ce qu’elle permet à chacun (via l’évocation libre de son passé comme de ses aspirations intimes) d’affirmer ses espoirs face à la précarité perpétuelle, le futur demeure trop incertain. Et la séquence vidéo finale avec le préfet de la Seine-Saint-Denis Georges-François Leclerc rappelle la manière dont les mécanismes et la rhétorique politiques entretiennent ces sentiments.