Accueil > idées/culture | Par Fabien Perrier | 25 avril 2018

Al Akhareen : une musique pour réconcilier les Autres

Retour sur Al Akhareen, dernier album du duo Naïssam Jalal et Osloob. La flûtiste franco-syrienne et le rappeur palestinien nous emportent aux plus profonds de leurs identités mêlées, de leurs rêves et de leurs Histoires, dans une ode à l’autre, aux autres. Rencontre.

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« On dirait qu’il n’y a plus personne à la maison. » Tels sont les mots qui composent le refrain du premier vrai morceau de l’album Al Akhareen. Premier vrai morceau, car le numéro 1 s’appelle judicieusement Intro.

Cette introduction plonge directement l’auditeur dans l’ambiance : un son qui semble dater d’un autre siècle : une tête de lecture qui grésille sur un 33 tours, une voix qui s’exprime en arabe, un sample qui revient en boucle et redonne sa place au son à la platine, au fond, une basse, un soupçon de percu et le battement d’une batterie. Puis une flûte traversière qui vient percuter le tout sans le perturber tant elle semble avoir pris le parti de l’harmonie. Viennent, ensuite, « les autres » : les autres morceaux, les autres paroles, les autres beats... qui façonnent ce subtile opus intitulé Al Akhareen (les autres, en arabe) à la croisée de chemins.

Mais en fait, de quelle « maison » s’agit-il ? Et pourquoi n’y a-t-il « plus personne » ? Pour comprendre, il faut remonter un peu dans l’histoire. Celle de l’album pour commencer.

Ils ne partirent qu’à deux : Naïssam Jalal, flûtiste franco-syrienne et Osloob, rappeur palestinien du Liban. Deux tranches de vie, qui racontent, justement, un bout de notre siècle tel qu’il se déroule sous nos yeux, tel qu’il prend ses racines dans le précédent.

L’album d’une rencontre

Naïssam Jalal est née en France en 1984, de parents syriens. Elle apprend la flûte traversière à l’âge de six ans. Elle fera de cet art son métier ; elle le transporte autour du monde : au Mali où elle joue avec la fanfare funk Tarace Boulba ; à Damas et au Caire où elle poursuit sa formation ; à Beyrouth...

C’est dans cette ville qu’elle rencontre Osloob. Palestinien d’origine, il est né en 1985 dans un camp de réfugiés au Liban. A l’école, il suit les cours de religion et apprend la cantillation du Coran, c’est-à-dire la prononciation des prières rituelles de l’islam sur un mode chanté. « Aujourd’hui, cette façon de chanter, qui part de la religion, est devenue une esthétique. Osloob a quelque chose de très ancré dans la musique arabe à cause des cours de cantillation  », souligne Naissam Jalal.

Et pour cause, dans la rythmique de ses paroles, le flow envoûte, enchante. Au Moyen-Orient, tous les jeunes le connaissent : sa voix, ses mots, ses sons les ont accompagnés lors des « soulèvements » arabes mais aussi dans leur exil, fil vocal les rattachant à leurs origines arabes, leur langue, leur culture et leur envie de changer le monde qui s’est heurtée à l’autoritarisme et à l’intégrisme.

Identification, aussi ? Possible. En 2014, Osloob se réfugie en France quand la Syrie et quelques autres pays des alentours se vident de leur jeunesse, connaissent de nouveau les flux de l’exil. Voilà pourquoi « il n’y a plus personne à la maison » dans ce morceau qui évoque par la métaphore les guerres en Syrie, au Liban, en Palestine.

Deux histoires, deux Histoires

La fusion entre les deux jeunes pousses des scènes hip hop et jazz s’exprime donc en musique. A la croisée des chemins, Al Akhareen l’est par les rencontres qui fondent cet album. Aux percus et aux saxs, Mehdi Chaib, compagnon de route de Naïssam Jalal, et Sébastien Le Bon, membre de Tarace Boulba, à la batterie ; Viryane Say à la basse, issu des milieux hip hop instrumental et funk, et aux platines Junkaz Lou. Il en ressort une musique de fusion qui mêle le jazz et le hip hop et qui ose la modernisation de la musique arabe. Qui ose la conciliation entre différents univers et différents styles comme s’il s’agissait d’avancer vers la réconciliation entre les peuples.

« Ce que nous incarnons est lié à une histoire violente, à des guerres auxquelles nous n’avons pas participé mais dont nous subissons les conséquences », écrit Naissam Jalal. Elle précise à Regards : « Moi, j’ai grandi en étant la fille bicotte ; lui en étant le Palestinien donc le paria dans sa société ». Ils ont voulu, en musique, l’exprimer, le raconter. Bref, « raconter notre histoire, nos histoires. »

« En France, le mot "arabe" est, dans l’inconscient collectif, considéré comme un mot sale », confie à Regards la flûtiste. Pour elle, « en grandissant, nous, les enfants d’immigrés, nous portons le poids de ce rejet et de ce mépris en nous. Cela provoque des douleurs, une vraie souffrance morale. » Mais, ajoute-t-elle aussitôt, « j’appartiens à cette société et je l’aime ».

C’est donc par la musique – et notamment dans les ateliers de musique qu’elle anime – qu’elle cherche à changer le regard sur la musique arabe, souvent euphémisée en « musique orientale », sur cette culture et ses différentes composantes, sur les peuples qui en font partie, sur les conflits qui hantent cette partie du monde.

Le chant de la révolte et des peuples écrasés

Ainsi, ils évoquent l’islamisme et l’islamophobie dans Al Bayaeen (Les marchands) qui répète : « Nous sommes tombés entre les hommes de religion et les marchands ». Ils reprennent 44 secondes d’une vidéo trouvée sur internet où une gamine chante « Tu me manques liberté », interrompue par l’explosion d’une bombe (Hanen Lal Horia).

« C’est emblématique de la révolte et du chant de nos peuples écrasés dans le sang », explique Naissam Jalal. Et ils enchainent avec Kan Fi Sheitan (Il y avait un diable) qui dénonce les mouvements islamistes et les régimes dictatoriaux... Ou encore, Osloob chante May Malha (L’eau salé) qui s’inspire de ceux qui ont tenté de traverser les eaux de la Méditerranée, leurs rêves et leurs angoisses.

Bref, Al Akhareen ne laisse rien au hasard : il est un album témoignage, engagé, dont les mélodies frappent, marquent et dans lequel les dissonances n’en finissent pas d’interroger. En ce sens, il correspond au projet : « J’espère faire du bien, exprimer mes questionnements, interroger ceux qui ne se sont pas posés ces questions, soulager ceux qui se les posent », confie Naïssam Jalal. Peu à peu, « les Autres » deviennent plus proches, leurs histoires se reflètent dans cette musique et le quotidien. Le flow n’en finit pas de revenir. Et d’apaiser.

Pour en savoir plus :

http://alakhareen.com

En concert le 3 mai au New Morning (Paris) et le 10 juin à 17h30 à l’Institut du Monde Arabe (Paris).

Album : Al Akhareen, L’Autre Distribution.

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Vos réactions

  • Absolument sublime. Et je ne suis pas fan de rap. Naïssam Jalal et son groupe Rythms of Resistance sont eux aussi fantastiques dans un genre qui me parle plus, le jazz.

    Zap Pow Le 29 avril 2018 à 14:39
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