Article publié initialement le 6 décembre 2012 - Il y a vingt cinq ans exactement, terminant mes études d’architectes, j’ai eu l’immense chance de faire un stage de quelques mois dans son agence de Rio. Mon père, Jacques Tricot et lui s’étaient rencontrés et appréciés lors de la construction du siège du parti communiste à Paris. Jacques, ingénieur structure, lui déjà immense créateur. Pour ce bâtiment qui resta un de ses préférés, il voulait des choses impossibles. Il les a obtenue. Oscar savait ce que le béton pouvait réaliser, ce que le jeune ingénieur ne savait pas encore. L’école ne dit pas tout. Oscar est devenu un ami de la famille et me voilà invitée à venir apprendre l’architecture à ses cotés.
J’ai fait ce stage alors qu’Oscar fêtait ses 80 ans. Je me souviens qu’il disait déjà, citant Malraux « la vieillesse est un naufrage ». Ca l’embêtait vraiment de vieillir. Mais il se débattait bien contre l’emprise du temps. A la mesure d’un homme, il a aussi gagné ce combat. Le temps ne l’a jamais fait prisonnier. Jusqu’au bout il a vécu.
Sa vie ? Bizarrement elle était d’une incroyable régularité rarement interrompue. Parfois, une fois par moi, il recevait la visite de la fille de Carlos Prestes. Le chevalier d’espérance avait besoin d’argent pour vivre. Celui qui fut le héros brésilien raconté dans le grand roman de Jorge Amado, avait quitté le parti qu’il dirigea, le parti communiste brésilien. Oscar resta fidèle à l’un et à l’autre... Il y avait aussi de longs jours sans sa visite à l’agence. Oscar partait à Brasilia en voiture. L’architecte international avait peur de l’avion et dans ce grand pays, aller à la capitale est une aventure ! Mais quand il était à Rio, il venait tous les jours, week-end compris. Il arrivait vers 10 heures à son agence. Celle-ci n’était pas établie dans une bâtisse moderne, de sa création. Non, elle se situait au dernier étage d’un des plus anciens « gratte-ciel » de Copacabana, un bâtiment d’une quinzaine d’étages. Ce bâtiment ressemblait pourtant à son architecture, avec ses bow-windows en courbe. Influence du baroque. Ce baroque portugais qu’Oscar connaissait, appréciait et dont il a fait son miel. Il aimait à parler des courbes du corps des femmes. Je sais qu’il connaissait aussi celles laissées dans l’architecture par la colonisation portugaise. Il possédait d’ailleurs sur une ile face à Rio une ancienne maison coloniale de style baroque.
Quand il ouvrait la porte de sa petite agence, il voyait la mer. Tout le bureau était baigné de cette lumière vive. Mais lui partait s’enfermer pour deux heures dans son bureau monacal, sombre et sans lumière. Là il lisait, dessinait. Pas de l’architecture. Il dessinait souvent des corps de femmes. Il lisait en ce temps là, je me souviens, les écrits de Leonard de Vinci.
A midi, on déjeunait. Parfois au restaurant, juste en bas. Toujours le même. Parfois, il faisait monter le repas. Toujours le même. Oscar n’avait pas envie de s’embêter à choisir. Quand une chose est bonne, qu’elle est belle, qu’elle est bien faite, pourquoi vouloir changer ? Ainsi, il portait toujours une chemise en soie beige qui allait à son teint. Je ne l’ai jamais vu habillé autrement. J’assistais aux très nombreux entretiens qu’i accordait à la presse : les 80 ans d’Oscar c’était un événement national que tous les journaux couvraient. Il redisait les mêmes phrases, celles qu’il avait ajustées et qui exprimait exactement sa pensée. Oscar était un homme de grande précision.
L’après midi, Oscar faisait de l’architecture. A l’époque il construisait l’immense complexe de conférence et d’exposition de Sao-Paulo. Je dessinais sous la conduite de l’autre architecte de l’agence, au crayon à papier sur du calque pelure, à peine transparent, quand dans les grandes agences américaines l’ordinateur était déjà de mise. Le même calque servira pour tout le chantier. On commençait par dessiner le béton, ce cher béton, et sur ce calque viendront se rajouter tous les détails, le verre, le carrelage.
Dans l’après midi sa petite fille architecte débarquait. Pour se ménager, il lui avait confié la direction de son agence d’exécution, celle qui met au point tous les projets. Elle déroule le travail fait par la cinquantaine d’architectes qui travaillent pour Oscar, mais qu’il ne rencontre jamais. IL commente les dessins présentés. Elle repart et reviendra le lendemain avec les modifications faites. Parfois il lui confie quelques croquis qui vont devenir un grand bâtiment.
Vers 6 heures, sa secrétaire se prépare. Elle range les quelques papiers, sort des verres, du fromage, de la charcuterie. Les amis peuvent arriver. Et jusque très tard le soir, les amis d’oscar viennent discuter, palabrer en général de politique dans cette grande salle, en fait pas si grande, 30 m2 entourés de mur blancs avec pour seule décoration une médaille en bronze accrochée au mur, celle offerte par le parti communiste français en remerciement pour le siège place du colonel Fabien.
Là j’écoutais. Je parlais mal le portugais. L’agence était devenue un salon parisien du temps de la Révolution. Tout ce que Rio comptait d’artistes, d’intellectuels progressistes passait un soir ou l’autre. Il y avait souvent son ami cher, le grand romancier et anthropologue Darcy Ribeiro. A l’époque Gorbatchev lançait la Perestroïka et son livre venait d’être traduit au Brésil. Oscar n’aimait pas ces remises en cause. Lui était fidèle à Staline, celui qui avait battu Hitler. Ca, on ne lui ôterait pas ! Je me taisais.
Vers 21 heures, son chauffeur arrivait. Oscar partait sans cérémonie. Les autres restaient, terminaient leur verres, achevaient leur discussion. Et partaient à leur tour. Le dernier claquait la porte. On reprendra la discussion demain.
….Ce matin, je me demande où sont mes photos d’Oscar. A l’époque il n’y avait pas de numérique et je suis bordélique. Où sont ces photos ?
Ça fait tellement du bien de lire un article sur Oscar, un grand héros national. Certainement il manquera au Brésil et peut-on oser dire, aussi au monde !
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