Mariana Sanchez est journaliste et co-auteure de Catalogne, la République libre.
Regards. Mardi 12 novembre, deux jours après les élections générales, Pedro Sanchez et Pablo Iglesias ont annoncé avoir signé un pré-accord de gouvernement. Ont-ils les moyens de former un gouvernement ?
Mariana Sanchez. Non. Les socialistes et Unidas Podemos ont à eux deux 155 élus. La majorité absolue, c’est 176 sièges. Ils auront certainement les trois voix de Errejon et celles d’autres petits partis. Je compte 160 voix de sûres. Les clés sont dans les mains de ERC (la gauche indépendantiste catalane, NDLR). Sachant que l’élection du Premier ministre se fait par deux votes au Parlement : un premier où il lui faut la majorité absolue, sinon, il y en a un deuxième où il n’a besoin que de la majorité simple. Reste à savoir si ERC votera pour cette coalition dès le premier tour ou s’ils s’abstiendront au second. Il va donc falloir que Pedro Sanchez fasse des signes à ERC, ce qui n’est pas encore le cas. De plus, cette fois-ci, Pablo Iglesias se pose en vice-président, pas en simple ministre comme la fois précédente. Ce qui est certain, c’est qu’une partie de la direction de Podemos a soif de gouverner. Et les vieux barons du PSOE, qui ne voulaient pas d’accord avec ces gens-là, se sont rendus compte qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’avoir le pouvoir.
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Qu’est-ce qui fait que, cette fois-ci, un accord est possible ?
On n’a pas encore le détail de cet accord, nous n’avons que les dix points principaux. Mais s’ils ont fait cette conférence de presse aujourd’hui, c’est que le texte final est assez avancé. Sur le social, il reste très vague. Ils vont s’occuper de l’emploi, de la précarité, de la corruption, des services publics, de justice fiscale... Ils abordent aussi les droits sociétaux tels que l’euthanasie ou les violences faites aux femmes. Bien sûr, ce sont des points qu’il faut traiter en Espagne. Je pense qu’ils ont pris la mesure de la crise politique du pays. Mais, par rapport à la question catalane, c’est insuffisant. Il n’y a pas l’ombre d’une issue à cette crise-là.
« Derrière l’affaire catalane, il est question des institutions, de la crise du régime de 1978. Il va bien falloir qu’ils aient cette discussion à un moment. »
Des choses ont changé vis-à-vis de la question catalane ? ERC peut-il accepter ces conditions, parce que sans eux, rien n’est possible ?
Sur la Catalogne, cet accord est plus que vague. Ils veulent garantir la « coexistence » des uns et des autres, relancer le dialogue, mais pas un mot sur un quelconque référendum ou sur les prisonniers politiques. Quand il est arrivé au pouvoir, Pedro Sanchez avait soi-disant essayé de discuter avec les Catalans, sans faire aucune concession. S’ils n’arrivent pas à mettre en place un gouvernement qui prenne des mesures pour déverrouiller cette crise, cela deviendra une vraie poudrière. ERC fait l’analyse que, si la droite et l’extrême droite arrivent au pouvoir, ça sera bien pire pour la Catalogne. Ils sont prêts à faire une série de concessions pour préserver un espace de démocratie – ce qui n’est pas l’analyse du parti de Carles Pugidemont pour lequel le PSOE ne fera pas plus que le PP. Derrière l’affaire catalane, il est question des institutions, de la crise du régime de 1978. Il va bien falloir qu’ils aient cette discussion à un moment.
Le PSOE et Podemos viennent de passer sept mois à négocier, sans parvenir à un accord. Ces négociations infructueuses ont mené à de nouvelles élections, auxquelles ils viennent de perdre respectivement 3 et 8 députés. C’est un immense gâchis, non ?
Absolument. C’est d’autant plus un immense gâchis que Vox monte à cause du discrédit de la classe politique qui est incapable de passer un accord de gouvernement – et pas seulement à cause de la question catalane.
Sans majorité absolue, ce gouvernement ne sera-t-il pas si faible que, tôt ou tard, les Espagnols devront retourner aux urnes ?
C’est possible. Pedro Sanchez et Pablo Iglesias annoncent un pacte « pour quatre ans ». Mais si ce pacte tient grâce aux votes de ERC ou du PNV (nationalistes basques, NDLR), ça peut exploser à n’importe quel moment. De toutes les façons, on est dans une situation de grande fragilité, puisque les deux partis qui font alliance ne sont pas majoritaires.
Propos recueillis par Loïc Le Clerc