Accueil | Par Arthur Brault-Moreau | 24 septembre 2020

« À Madrid, ce n’est pas une quarantaine, c’est de la ségrégation »

Alors qu’une nouvelle vague de contamination touche la capitale espagnole, la présidente de la région madrilène, Isabel Díaz Ayuso, instaure un nouveau plan de confinement. Cette dernière désigne comme responsables les quartiers populaires et l’immigration. Depuis la semaine dernière, manifestations et rassemblements dénoncent cette politique de ségrégation.

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Quelques centaines de manifestants se sont retrouvés à la Puerta del Sol, au centre de Madrid, vendredi dernier. Plusieurs centaines leur suivent le pas, le dimanche suivant, dans les différents quartiers du sud appelés à être confinés. De leurs côtés, associations, syndicats et partis de gauche appellent à une manifestation d’ampleur le dimanche 27 septembre. Parmi les participants, on peut entendre scander : « Ayuso démission », « ce n’est pas une quarantaine, c’est de la ségrégation », « si vous confinez le sud, on bloquera Madrid ». Loin de s’associer aux marches anti-masques des quartiers riches de Madrid ou de celles qui ont lieu aux États-Unis ou en Allemagne, ces mobilisations prennent la rue pour remettre en cause la gestion faite du confinement. C’est une première depuis le début de la pandémie.

 

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Un confinement sous le signe de la ségrégation

Avec un taux de positivité au Covid-19 de 21,4%, Madrid connaît une deuxième vague de contamination au taux record dans l’État espagnol et en Europe. Si durant la première vague, la gestion de la pandémie relevait de l’État central, c’est aux communautés autonomes – les régions – de gérer la pandémie depuis cet été. Dans la communauté de Madrid, la présidente du gouvernement autonome a instauré un plan de confinement sélectif mis en place depuis lundi dernier.

Cette sélection touche exclusivement les quartiers les plus populaires du sud de Madrid tels que Carabanchel, Usera, Villaverde ou encore Vallecas. Pourtant, en observant les chiffres de contamination et notamment le ​taux d’incidence cumulée (nombre de cas sur 100.000 habitants dans une période de 14 jours), on constate que les quartiers confinés ne sont pas aussi éloignés des chiffres du centre. En effet, Madrid connaît un nombre de 750 cas contre 769 à Vallecas et 884 à Carabanchel. Le nombre de contaminations ne semble pas être l’unique critère de sélection. En outre, lors d’une ​intervention publique mardi 15 septembre, Isabel Diaz Ayuso attribue la contamination au « mode de vie de [l’]immigration à Madrid ». Le critère raciste stigmatisant les populations immigrées est ici évident. A cela s’ajoute un critère classiste où les quartiers visés sont populaires et souvent composés de précaires venant travailler au centre et au nord de Madrid.

Pour les manifestants, il s’agit bel et bien d’une ségrégation raciale et sociale avec une ligne de partage claire entre le sud et le reste de Madrid. Dans un ​communiqué signé par plus de 80 organisations, le collectif Peruanxs en Madrid (NDLR : Péruvien·nes à Madrid) dénonce la volonté de Ayuso de justifier « sa gestion inefficace de la pandémie​ » en s’en prenant aux communautés de personnes immigrées. Et ce, alors même que des « ​milliers de personnes migrantes travaillent dans les hôpitaux et dans les services essentiels à la réduction de la pandémie, dans les transports ou dans les services à la personne​ » rappelle le communiqué.

Pour Victor Renes, de l’Association de Voisins de San Fermín (Usera), les causes de la contamination ne renvoient pas au mode de vie mais bien plutôt aux conditions de vie. D’une part, les habitants du sud sont davantage vulnérables face à la contamination : « ​les gens doivent prendre le métro bondé, travailler au nord dans des postes à risques comme l’attention aux clients ou l’aide à la personne. Puis ils doivent rentrer chez eux et se confiner. Une fois chez eux, ils vivent à cinq personnes dans un 40m2, avec plusieurs générations. C’est la double peine pour nous, nous sommes les plus exposés, les plus vulnérables et nous sommes les seuls à subir des restriction​s ». D’autre part, ces quartiers manquent d’infrastructures pour répondre à la crise sanitaire. C’est ce que pointe la conseillère municipale et porte-parole de ​Más Madrid Usera, Vanessa Lecointre : « ​on manque surtout de moyens en termes de santé, le personnel chargé du suivi des contaminations est insuffisant, les centres de santé et hôpitaux manquent de médecins et doivent parfois fermer. Les tests arrivent au bout de 10 jours, ça ne sert plus à rien !​ ».

Entre privatisations de services publics et privations budgétaires, le sud subit une politique d’abandon de la part de l’administration madrilène qui la désigne ensuite comme responsable de la situation. « ​Ca fait presque 25 ans que la droite dirige Madrid en punissant les quartiers du sud. Ici on manque de transport, aucun investissement supplémentaire ne s’est fait avec la pandémie. On manque de moyens pour l’éducation, les élèves qui n’ont pas accès au numérique restent sans cours. »

Entre incertitudes et répression

« ​La seule certitude que nous avons à présent, c’est qu’on peut nous mettre des amendes si on sort », affirme Victor Renes. En outre, l’annonce du plan de confinement sélectif s’accompagne d’un renforcement de la présence policière dans ces quartiers, équipée pour l’occasion de taser, ainsi que du renfort de l’armée afin d’assurer le respect des mesures de confinement. « Les gens sont à la fois déboussolés et énervés. Les mesures restent floues, je ne sais pas si j’ai le droit d’accompagner ma fille à l’école à Madrid mais je le fais quand même, je ne veux pas la laisser seule à 12 ans face à un contrôle policier. C’est absurde, on peut aller travailler ou consommer dans un centre commercial clos mais les parcs sont fermés. On manque de moyens sanitaires mais on nous envoie 600 policiers supplémentaires et même l’armée ! », r​ésume Vanessa.

« ​Ces mesures ne vont pas réduire ni stopper le virus. On doit alors s’attendre à ce que la contamination s’étende. La différence avec le début de la pandémie c’est qu’à présent, les dirigeants présentent cette expansion comme la conséquence du mode de vie des quartiers du sud »,​ explique Victor, pointant du doigt le risque d’un renforcement de la haine raciste et classiste. Si l’extension du confinement à d’autres quartiers de Madrid semble de plus en plus probable, la stigmatisation raciale et sociale de ce nouveau confinement n’est pas neutre. Et, ce, surtout dans un pays où le jeune parti d’extrême droite Vox mobilise 15% des voix.

Pour l’heure, les associations de quartiers préparent la mobilisation avec des manifestations tous les jeudis devant les centres de santé dans chacune des zones confinées et une manifestation plus large le dimanche 27 septembre à Madrid. Ils vont dénoncer le plan de confinement et revendiquer « ​la dignité du sud face au nord qui nous exploite et nous stigmatise »​, conclut Victor Renes.

 

Arthur Brault-Moreau

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