Le 30 septembre s’est tenu dans l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM) un référendum. Il fait suite à un accord signé entre cette ancienne province de l’ex-Yougoslavie et la Grèce, le 17 juin à Prespes, afin de résoudre un conflit gelé depuis près de 30 ans. Ce serait un succès politique pour le Premier ministre grec et son homologue macédonien, Zora Zaev. Ce conflit repose sur trois éléments : le nom de Macédoine, qui correspond aussi à des régions du Nord de la Grèce, la crainte d’un irrédentisme de l’Arym d’une part de la population, l’appartenance rendue possible de l’ARYM à l’Union européenne et à l’Otan mais qui fâche Moscou. Dans le même temps, de nombreux Grecs restent inquiets. Pour eux, la Macédoine est une réalité grecque. Dans les rangs des manifestants se trouvaient de nombreux nationalistes.
Regards. Un accord a été signé à Prespes le 17 juin et un processus est en cours pour le ratifier dans les deux pays. Il suscite de la défiance comme l’ont montré le résultat du référendum à Skopje d’une part et, de l’autre, les importantes manifestations à Athènes ou Thessalonique. Cet accord fait-il resurgir un nationalisme grec ?
Sia Anagnostopoulou. L’accord signé à Prespes le 17 juin est très profitable pour les deux pays, la Grèce et la Macédoine du Nord. Après 30 ans de conflit est enfin ouverte la route pour que les deux pays tournent le dos à l’hostilité qui était de mise jusqu’alors et qu’ils trouvent un terrain de solidarité, de co-développement, d’ouverture et d’amitié. Malheureusement, dans les deux pays, des partis politiques essayent d’exploiter un accord profitable pour attaquer les gouvernements. En Grèce, la Nouvelle Démocratie (ND) utilise ainsi un vocabulaire politique qui vise à discréditer le gouvernement et contribue directement à la résurrection d’un nationalisme. L’émergence de ce phénomène de néo-nationalisme comporte toutes ses composantes classiques du nationalisme : une Grèce entourée d’ennemis qui veulent envahir le territoire, etc. Mais il faut désormais y ajouter l’angoisse et le mal-être d’une société appauvrie par la crise. Ainsi, quand des politiciens de ND utilisent des propos tels que "traîtres nationaux", ou "ils ont vendu notre Macédoine", en liant cela à la crise économique et en disant que le pouvoir politique n’a pas été capable de résister à la pression des étrangers, ils créent un phénomène nationaliste formé par d’anciennes composantes dans un nouveau contexte. Certes je crois que la majeure partie de la société ne partage pas ce nationalisme. Mais ce nationalisme comporte un danger : le langage utilisé ("traîtres, etc.") est celui de l’extrême droite qui est maintenant légitimé comme un langage diffus dans une démocratie. À tel point que certains articles ou commentaires affirment que la gauche a toujours été composée de traîtres nationaux ! La conséquence est la diffusion d’une distinction très hostile entre la "gauche des traîtres" et la "droite des défenseurs de la nation". C’est un retour à l’époque de la guerre civile !
« En Europe, la question des migrants est considérée comme un problème au lieu d’être appréhendée comme un phénomène historique, politique, auquel il faut apporter une réponse. »
L’extrême droite gagne du terrain dans toute l’Europe. Comment expliquer sa montée ?
L’histoire nous enseigne que la montée de l’extrême droite se produit dans des moments de crise économique, où la population a le sentiment d’être abandonnée par le pouvoir politique. Mais il y a toujours un événement que le pouvoir politique ne parvient pas à affronter. Dans l’Europe d’aujourd’hui, c’est la vague migratoire.
Autrement dit, elle concentre le rejet de l’Autre ?
Exactement. L’extrême droite a trouvé ainsi un terrain pour se développer et prétend avoir la responsabilité de sauver la nation contre ses ennemis. En Europe, la question des migrants est considérée comme un problème au lieu d’être appréhendée comme un phénomène historique, politique, auquel il faut apporter une réponse. À partir du moment où l’entité européenne ne montre aucune volonté de créer un plan cohérent et inclusif, qui soit appliqué à tous les pays membres, l’extrême droite apparaît comme la réponse.
« La question des migrants et des réfugiés sera la mesure de la civilisation européenne et surtout de la civilisation démocratique de l’Europe. Le grand danger est de laisser une situation politique devenir un problème qui contribue à la montée de l’extrême droite et à un nationalisme. »
Craignez-vous en fait une Europe à deux vitesses où les pays de la périphérie devront gérer des questions comme celle des migrations pour en dégager ceux du centre ?
Oui. Au lieu d’avoir une politique européenne valable pour tous les pays, au lieu de chercher une solution européenne, le seul discours est de considérer les migrants comme "un grand problème". Ce qui revient à les considérer comme une menace. Chaque nation se comporte et réagit individuellement au lieu d’agir dans un esprit de citoyenneté européenne. Ceci renforce l’extrême droite. Dans une Europe à deux vitesses, les pays du Sud, aux frontières de l’Europe, n’ont de la légitimité européenne que parce qu’ils assurèrent la sécurité des pays du centre et de l’Ouest européens pour les débarrasser de ce que ces derniers pays perçoivent comme une menace.
Avec le gouvernement grec au Conseil européen, les parlementaires grecs trouvent-ils des partenaires ?
Je crois qu’il existe des alliés, des partis politiques comme le Parti de la Gauche Européenne, certains socialistes dans une mesure. Mais il n’existe que peu d’alliés qui ont une véritable conscience européenne et affirment que nous devons affronter ensemble nos problèmes. À mes yeux, le grand problème est qu’au fur et à mesure que nous avons la montée de l’extrême droite, la droite européenne regarde du côté de l’extrême droite. Pour ne pas perdre des électeurs, elle emprunte le langage de l’extrême droite. Pour moi, la question des migrants et des réfugiés sera la mesure de la civilisation européenne et surtout de la civilisation démocratique de l’Europe. Le grand danger est de laisser une situation politique devenir un problème qui contribue à la montée de l’extrême droite et à un nationalisme. Ces deux mouvements renvoient aux heures les plus obscures de l’histoire de l’Europe.