Est-ce la médiocrité du débat politique, largement inspiré de la politique gouvernementale, qui nous conduit – nous Français, si prompts à la critique, à la mobilisation – à ne plus voir les dysfonctionnements du monde ? Parmi eux, cette semaine, le procès de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, illustrait sans doute l’un des combats majeurs de ces temps où les libertés se perdent.
Un procès – celui de la liberté de la presse et de notre liberté d’être informés – qui semble ne retenir l’attention de personne. Ou de pas grand monde. Parce que si Julian Assange ne sera finalement pas extradé vers les États-Unis – où il risque une peine de 175 ans de prison – le problème reste entier. C’est d’un procès dont il aurait dû être épargné. Et d’une libération immédiate qu’il devrait bénéficier.
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Julian Assange, au même titre que Sarah Harrison, Chelsea Manning, Edward Snowden, Rui Pinto et Glenn Greewald sont – ou ont été – traités comme des criminels. Ils sont pourtant des défenseurs acharnés de la démocratie, des lanceurs d’alerte, et ils occupent leur temps à nous informer et à révéler les secrets illégitimes des pouvoirs politiques et financiers. C’est un travail nécessaire. D’utilité publique. Qui devrait être protégé. Reconnu. Et le problème du procès Assange, comme l’ont rappelé les organisations humanitaires de droits et de libertés, c’est que le tribunal britannique – d’où doit être extradé Assange – n’a pas contesté le fond de la procédure américaine. C’est le seul motif d’une « santé fragile » et non pas de la légitimité d’Assange dans ce qu’on a appelé l’affaire WikiLeaks qui a motivé la décision du tribunal, créant ainsi un précédent qui inquiètent les associations.
Des associations qui attendaient et espéraient que la liberté de la presse soit consacrée à l’occasion de ce procès. En vain. Pour Reporter Sans Frontières (RSF), « cette décision laisse la porte ouverte à de futures plaintes similaires et provoquera des autocensures pour les journalistes qui couvrent les questions de sécurité nationale ». Des menaces qui pèsent désormais sur des libertés fondamentales – celles de la presse en l’occurrence. Une raison suffisante pour que les médias s’en emparent, a priori.
En France, alors que le procès d’Assange avait lieu ce lundi, la presse n’en a que peu fait état, alors que démarre depuis quelques jours une large campagne sur la liberté de la presse. Déjà en février dernier, Regards, Mediapart, Politis, L’Humanité, Libération, Slate et Society étaient les seuls médias présents à la Bourse du Travail de Paris pour sensibiliser l’opinion.
Des médias absents parce que les intérêts privés, les intérêts de quelques-uns, politiques et financiers, désorienteraient la boussole démocratique ? De la liberté d’enquêter ? D’informer ? C’est une hypothèse. Des médias absents dont les propriétaires ont été mis à nus, désarmés et inquiétés, par les révélations des lanceurs d’alertes. Est-ce la raison de ce silence ? Sans doute.
Mais si les médias ont été absents, les politiques n’ont guère plus été au rendez-vous. Ni avant. Ni pendant. Ni après. Alors qu’en Allemagne, par exemple, de grandes mobilisations ont eu lieu avec la forte présence de Die linke, en France, silence radio, malgré les appels individuels à la libération de Julian Assange - notamment il faut le reconnaitre sur les bancs de la gauche. Une mobilisation un peu faible vu les enjeux. Et c’est inquiétant à bien des égards : sur la vitalité du débat politique. Et l’incapacité de faire émerger des mobilisations. Et des combats politiques nécessaires à mener – y compris quand les monde politique doit faire face à une crise sanitaire sans précédent.
Si les organisations internationales n’avaient pas été présentes depuis des mois et des mois pour faire pression – dans les médias, auprès des juges, des hommes et des femmes politiques –, sans doute le procès de Julian Assange aurait-il été différent. Plus que jamais, ces organisations appellent à intensifier la mobilisation. La classe politique doit se réveiller. Et exiger la remise en liberté de Julian Assange - qui sera examinée aujourd’hui - et créer un véritable statut protecteur des lanceurs d’alerte.