À 48 ans, elle deviendrait la plus jeune juge de la Cour suprême. Amy Coney Barrett a été nommée par le Président Donald Trump en remplacement de Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre à l’âge de 87 ans. Elle devra maintenant être confirmée par le Sénat à la majorité simple (51 votes) au titre d’une procédure parlementaire, surnommée « l’option nucléaire » lui permettant de s’exonérer d’un vote aux trois-cinquièmes (60 votes), ce qui était la règle jusqu’en 2017, année de la confirmation de Neil Gorsuch.
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Choisie en 2017 par Donald Trump pour siéger à la Cour d’Appel pour le 7e circuit (Illinois, Indiana et Wisconsin), Amy Coney Barrett était déjà sur la liste du Président en 2018 pour remplacer le juge Anthony Kennedy. Il aura finalement choisi Brett Kavanaugh. Longtemps professeure de Droit à Notre Dame (Indiana), sa confirmation par le Sénat viendrait cimenter pour longtemps la majorité conservatrice de la Cour suprême, à 6 contre 3.
Fermement opposée au droit à l’avortement
Face à la sénatrice de Californie Dianne Feinstein, elle avait promis qu’elle suivrait « les décisions précédentes de la Cour suprême sans faillir » et qu’elle se garderait d’imposer « [s]es convictions personnelles à la loi » lors de son audition pour la Cour d’Appel. La réalité ne résiste pas à l’épreuve des faits : dans une décision rendue le 25 juin 2018, elle s’était jointe à un avis discordant sur la question de l’avortement, déclarant que « le recours à l’avortement pour promouvoir des objectifs eugéniques est moralement et prudemment discutable [...] Aucune des décisions de la Cour sur l’avortement n’affirme que les États sont impuissants à empêcher les avortements visant à choisir le sexe, la race et d’autres caractéristiques des enfants ». L’affaire, opposant le Planning familial de l’Indiana et du Kentucky au Département de la santé de l’Indiana, impliquait un fœtus atteint du syndrome de Down.
Catholique pratiquante, la juge n’en était pas à sa première critique du droit à l’avortement. À l’occasion d’une conférence donnée en janvier 2013 à l’Université de Notre Dame pour les quarante ans de la décision Roe v. Wade — considérant l’avortement comme un droit protégé par le XIVe amendement —, elle avait affirmé que « Roe [v. Wade] a été un changement radical. […] Le cadre de Roe [v. Wade] a essentiellement permis l’avortement sur demande et ne reconnaît aucun intérêt public dans la vie d’un fœtus. »
Prophétique, le sénateur du Missouri Josh Hawley, membre du comité judiciaire au Sénat (Judiciary Committee) chargé d’auditionner et voter les nominations, avait annoncé que, selon lui, le Président aurait à cœur de choisir une personne opposée à la décision Roe v. Wade de 1973. « Ce que je veux voir de la part du candidat, c’est une indication […] qu’il reconnaît et comprend que Roe a été décidé à tort », avait ainsi confié le quadragénaire républicain, lui-même fermement anti-avortement.
Juge suprême, Amy Coney Barrett pourrait contribuer à renverser des décisions favorables aux femmes et aux minorités, notamment LGBTQI+, pérennisant pour des décennies l’héritage ultraconservateur du Président Trump.
Les droits des personnes LGBTQI+ en péril
Si les cours inférieures se doivent de respecter le stare decisis (les précédents des cours supérieures), la Cour suprême n’est pas tenue à cet impératif : la plupart des grandes décisions sont ainsi des renversements de jurisprudences (citons par exemple Brown v. Board of Education qui, en 1954, a renversé la décision Plessy v. Ferguson de 1896, ouvrant la voie à la déségrégation scolaire).
« La plupart des juges sont d’accord pour dire que le précédent constitutionnel a droit à un certain respect. Il s’agit d’un élément essentiel du système juridique américain, nécessaire pour créer la stabilité du droit et renforcer la crédibilité de la cour. Cependant, les juges reconnaissent également que le précédent n’est pas toujours contraignant », écrit ainsi le constitutionnaliste Stephen Wermiel du Washington College of Law dans une note du SCOTUS blog.
Quand Amy Coney Barrett affirme que « les protections du Titre IX [des amendements sur l’éducation de 1972] ne s’étendent pas aux personnes trans » ou qualifie les femmes trans de « mâles physiologiques », on ne peut que s’interroger sur l’avenir de certaines décisions, telle que la récente R.G. & G.R. Harris Funeral Homes Inc. v. Equal Employment Opportunity Commission protégeant les personnes trans des discriminations à l’emploi.
Interrogée, Mary Ziegler, professeure de droit de l’Université d’État de Floride et autrice de plusieurs ouvrages consacrés à Roe v. Wade, laisse entrevoir la possibilité d’un net recul pour les droits des personnes LGBTQI+. Selon elle, « une Cour conservatrice pourrait tout à fait renverser l’affaire Bostock et R.G. & G.R. Harris. Cela reste peu probable dans l’immédiat car six des membres de la Cour ont rejoint l’opinion du juge Gorsuch dans l’affaire Bostock, et donc l’ajout d’une juge conservatrice signifierait toujours une majorité de cinq juges pour le résultat dans l’affaire Bostock. Mais il y a maintenant une super-majorité conservatrice à la Cour. Cela ouvrira la porte à l’annulation d’une grande variété de décisions, y compris sur les droits des LGBTQ+. »
Juge suprême, Amy Coney Barrett pourrait contribuer à renverser des décisions favorables aux femmes et aux minorités, notamment LGBTQI+, pérennisant pour des décennies l’héritage ultraconservateur du Président Trump.
Une Cour pro-républicaine pour des décennies
Nommé par Bill Clinton en 1994, le juge Stephen Breyer, 82 ans, est désormais le doyen de la Cour suprême. Donald Trump, en hâtant le remplacement de la juge Ginsburg, montre le peu de considération qu’il a pour la démocratie. Ayant nommé 3 juges, il aura renouvelé un tiers de la Cour, ouvrant la porte à un net recul pour les droits des femmes et des minorités.
Amy Coney Barrett sera auditionnée par le Judiciary Committee à partir du 12 octobre. Lindsey Graham (le chairman du comité) a annoncé que tout serait fait pour que la nominée soit confirmée avant le 3 novembre. Il paraît improbable que le Judiciary Committee refuse la nomination de Barrett : au Sénat, à l’heure actuelle, les Républicains ont le nombre de voix nécessaires pour la confirmer. Même si les sénatrices Murkowski et Collins ont annoncé qu’elles refuseraient de voter (2/53, donc), 50 voix suffisent. Et, de toute façon, le Vice-Président a son tie-breaking vote pour faire pencher la balance.
Sébastien Natroll
Quelle que soit l’approche que l’on fasse de l’arrêt Roe v. Wade rendu par la Cour Suprême le 2 janvier 1973, il est impensable d’établir l’avortement comme un droit fondamental, c’est-à-dire le droit pour une femme enceinte d’avorter à tout moment de la gestation, depuis l’instant de la conception jusqu’à l’instant précédant d’aussi peu qu’elle le veut l’accouchement potentiel. Dans aucune juridiction du monde le droit d’avorter ne s’applique à la durée entière de la gestation. Il y a toujours une limite de temps au-delà de laquelle l’avortement est interdit. Seul peut être envisagé l’avortement thérapeutique, dont la décision incombe à un médecin et ne dépend pas du libre arbitre de la femme concernée. L’interdiction de l’avortement à partir d’une certaine limite est unanimement approuvée : personne ne préconise le droit d’avorter sans lien avec la durée de la gestation.
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