Après un mois de pourparlers, le gouvernement argentin et le Fonds monétaire international (FMI) sont arrivés, ce vendredi 8 juin 2018, à un accord valable pour 36 mois prévoyant un prêt du FMI de 50 milliards de dollars, en contrepartie duquel l’Argentine s’engage à mettre en oeuvre une série de mesures visant principalement à limiter les dépenses de l’État. Ce recours au FMI a été envisagé en raison de l’effondrement du peso sur les marchés début mai, après plusieurs mois de forte baisse. Malgré la mise en scène par le gouvernement de Mauricio Macri d’une négociation serrée, il s’agit d’un accord sans grande surprise, s’inscrivant dans la lignée des Stand-By Arrangement (SBA). Créés en 1952, les SBA servent la diffusion des règles économiques promues par le FMI, notamment par le biais des "ajustements structurels", c’est-à-dire du désengagement de l’État des services publics et de la limitation des politiques fiscales redistributives.
Ces programmes sont accusés depuis longtemps de favoriser la déconstruction des structures publiques des États en développement pour mieux permettre l’extraversion de leurs économies. Ils ont finalement été réformés après la crise de 2008, mais seulement dans le sens d’une simplification des conditions d’emprunts. Malgré des prises de position en faveur de politiques de relance par le soutien de la demande et de certains investissements publics, la réduction de la dépense publique reste l’un des critères essentiels d’obtention des SBA.
Loin de constituer un virage dans la politique économique de Mauricio Macri, cet accord avec le FMI cherche à légitimer ce que le gouvernement a déjà baptisé une politique "d’ajustement" (ajuste en espagnol). Il s’agit donc bien d’approfondir le sillon néolibéral suivi par le gouvernement depuis deux ans, ce qui ne laisse que peu d’espoir d’entrevoir un rétablissement de son économie, moins encore si l’on songe à l’histoire du FMI en Argentine.
Le FMI en terrain connu en Argentine
La terrible crise argentine de 2001 a couronné un demi-siècle de relations plus ou moins contraintes avec le FMI et a marqué l’échec de ses recommandations. Le premier accord fut signé en 1956, sous le gouvernement militaire de Pedro Eugenio Aramburu qui, un an plus tôt, avait destitué par les armes celui de Juan Domingo Peron. Par la suite, le besoin récurrent de devises dû au déficit structurel de la balance commerciale, le financement des déficits budgétaires et les investissements de développement ont été les principales causes de la croissance du stock de dette argentine. Pour assurer cet endettement, les accords avec le FMI se sont multipliés sur cinq décennies : on en compte vingt-huit, en incluant celui qui vient d’être signé.
Aux facteurs structurels, il faut également ajouter des facteurs conjoncturels qui, pendant les années 1980, ont marquées par une série de crises de la dette en Amérique latine. En effet, la lutte contre l’inflation aux États-Unis a conduit au relèvement des taux d’intérêt de la Réserve fédérale des Etats-Unis (FED),ce qui a entraîné des catastrophes économiques dans les pays du Sud, lourdement endettés en dollars, y compris auprès du FMI. Les années 1990 ont ensuite été celles de la gestation de la crise de 2001. Les mesures austéritaires, le régime de convertibilité du peso avec le dollar – néfaste pour l’industrie – et l’alourdissement de la dette par rapport au PIB ont débouché sur le krach économique tant redouté. Fin 2001, Adolfo Rodríguez Saá a déclaré le défaut de paiement, forçant ainsi les créanciers à restructurer la dette ; les négociations se sont achevées pendant le mandat de Nestor Kirchner, arrivé au pouvoir en 2003. Ce n’est finalement qu’en 2006 que l’Argentine a terminé de payer sa dette envers le Fonds, se libérant ainsi de la tutelle du FMI.
Les mauvais arguments du gouvernement argentin
Dès lors, comment accepter le retour du FMI ? La plupart des soutiens du gouvernement répètent que le FMI de 2018 n’est plus celui du début du millénaire. Ces éléments de langage cherchent à faire oublier que les mesures exigées par le FMI ne divergent en rien de la ligne du gouvernement, en réorientant les débats vers le Fonds et ses attentes. Or, on peine à comprendre en quoi les “ajustements” demandés aux Argentins diffèrent des “réformes structurelles” imposées à la Grèce, quelques années plus tôt. En réalité, les évolutions dans la doctrine et les pratiques du FMI sont modestes et, face au désastre grec, le FMI a tout fait pour imputer l’échec patent de la “rilance” (néologisme forgé par Christine Lagarde en juillet 2010 à partir des termes “relance” et “rigueur”) aux autres membres de la Troïka.
Cela est d’autant plus inquiétant pour l’économie argentine que l’accord est conditionné à un certain nombre de mesures qui rappellent directement les “réformes structurelles” exigées aux Grecs, dispositions qui ont durablement grevé leur économie. En effet, il s’agit toujours de réduire la dépense publique, ce qui implique nécessairement une diminution de l’activité économique, car cela revient à vider les carnets de commandes des entreprises. Ce point fait l’objet d’un large consensus : les débats entre économistes portent sur la magnitude de l’effet récessif de cette réduction. Certains défendent l’existence d’effets expansifs susceptibles d’apparaître sur les moyen et long termes, qui résulteraient du “rétablissement de la confiance”.
Or, les leçons du cas grec sont sans appel : l’action du Fonds a contribué à générer des effets récessifs outrepassant largement les hypothétiques effets expansifs. Rappelons que la dette publique grecque représentait 146% du PIB lors du premier mémorandum en 2010. Huit ans de “réformes structurelles” plus tard, elle atteint quasiment deux fois le PIB. Huit ans au cours desquels, à plusieurs reprises, le Fonds s’est exprimé pour reconnaître des “erreurs” passées, avant de s’empresser de les répéter. Les soutiens du gouvernement pourraient méditer la remarque de l’éphémère ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, considérant qu’il ne s’agissait pour le FMI que de « confesser un péché pour fauter à nouveau ».
Un vrai-faux versant social
Le FMI préconise des mesures d’ajustement structurel comme un médecin prescrirait universellement le jeûne, même à des patients en état de sous-nutrition : sans pratiquer de réel diagnostic, il dispense à tous un même modèle d’austérité et d’amaigrissement du secteur public. Préfabriquées, ces mesures sont finalement peu “structurelles” puisqu’elles ne prétendent en aucun cas modifier la structure productive du pays, alors que c’est bien cette spécialisation structurelle dans les matières premières qui est en cause dans le déficit extérieur, source de la crise économique actuelle.
L’unique dimension “novatrice” du plan argentin est un objectif de contention de la pauvreté extrême, dont l’annonce, à un an des élections présidentielles, n’est peut-être pas exempte de calculs électoraux. La conquête du pouvoir en 2015 par la coalition de gauche radicale Syriza montre bien comment les mesures préconisées par le FMI peuvent mener à des modifications brutales du rapport de force politique. S’ils se racontent des histoires sur la nouvelle nature du FMI, les dirigeants argentins semblent bien avoir tiré certaines leçons du cas grec. Ainsi les soutiens du gouvernement insistent sur cette dimension sociale de l’accord.
Or, on voit mal comment ce point pourrait être respecté eu égardaux contreparties exigées par le FMI en échange du prêt. En effet, ces dernières s’articulent autour de la réduction du déficit public, du retour à l’indépendance de la Banque centrale – lui interdisant de continuer à financer directement le déficit budgétaire en pesos – mais aussi du contrôle de l’inflation dont les modalités risquent de provoquer une baisse des salaires réels. Du reste, la politique de taux d’intérêt élevé et la réduction conséquente de la monétisation du déficit public depuis 2015 ont eu des effets modestes voire inexistants sur l’inflation. Or, les préconisations du FMI consistent précisément à renforcer ces politiques d’inspiration monétaristes et austéritaires à l’efficacité plus que douteuse.
Un jeu de dupes aux potentielles graves conséquences
De plus, ce prêt servira en grande partie à compenser la fuite accélérée de capitaux que connaît le pays depuis la suppression du contrôle des changes en 2015, la hausse des taux d’intérêt mise en place la même année pour combattre l’inflation et l’intervention de la Banque centrale sur le marché des changes afin d’empêcher une trop forte dévaluation. Ces trois facteurs sont à l’origine de la “bicyclette financière”, qui permet aux détenteurs de dollars de les échanger contre des pesos à un certain taux, puis d’acquérir des bons du trésor en pesos, avant de les revendre. Les pesos obtenus à travers les intérêts et la vente des bons servent ensuite à acquérir des dollars au taux de change initial, puis à recommencer le processus. A chaque opération, le stock de devises diminue, aggravé par le déficit commercial du pays qui l’oblige à s’endetter en dollars pour maintenir les taux de change, enrayer l’inflation, financer les importations des argentins et préserver ainsi ce fragile équilibre. Dans ces conditions, il est peu probable que l’accord avec le FMI favorise « tous les Argentins » comme l’assure sa directrice, Christine Lagarde, dans son communiqué officiel.
De fait, peu d’Argentins sont dupes. L’opposition à l’intervention du FMI est très forte, depuis les principaux syndicats, les partis péronistes et ceux de gauche, ainsi que dans une large proportion de la population. Début mai, un sondage des cabinets de consultants Borensztein et D’Alessio IROL révélait que 75 % des Argentins jugeaient négativement le recours au FMI, ce que confirmait une seconde enquête quelques jours plus tard. La contestation a culminé le 25 mai 2018, jour férié de commémoration de la Revolución de Mayo, avec un grand rassemblement convoqué sur la plus large avenue du monde par de nombreux syndicats, mouvements politiques et artistes. Cependant, elle n’a pour l’instant eu aucune influence sur les décisions du gouvernement, qui fait du recours au FMI un choix évident et sans gravité. Or, ses conséquences s’inscriront dans la durée et, si les mesures imposées par le FMI conviennent tout à fait aux dirigeants actuels, l’accord contraindra les futurs gouvernements aussi longtemps que le FMI sera créancier de l’Argentine, empêchant le plein exercice démocratique. Voici peut-être un objectif à long terme de Mauricio Macri et de ses soutiens : inscrire dans le marbre leurs choix économiques.