Depuis début septembre, les bombardements russes et syriens dans la région d’Idlib laissaient entendre qu’une attaque contre le dernier bastion de la rébellion au régime de Bachar el-Assad était inéluctable. L’accord obtenu lundi 17 septembre entre la Russie et la Turquie à Sotchi, sur la mer Noire, a finalement empêché ce que les Nations Unis avaient prédit comme un « bain de sang » et la plus grave catastrophe humanitaire du siècle.
L’enclave d’Idlib, située dans le nord-est de la Syrie, compte environ 3 millions de personnes, dont une grande partie de déplacés internes. L’attaque aurait provoqué des déplacements massifs de populations dont la plupart vivent déjà dans des camps de fortune. En comparaison, Alep-Est comptait 100.000 habitants au moment de sa chute dramatique en décembre 2016.
Un cessez-le-feu fragile
Depuis 2017, le processus d’Astana – des négociations menées sous l’égide de l’Iran, de la Russie et de la Turquie – avait permis la mise en place de quatre « zones de désescalade », sorte de cessez-le-feu circonscris permettant l’évacuation de populations rebelles vers d’autres zones non assiégées tenues par l’opposition. Mais, une fois vidés de leurs habitants, trois de ces territoires, Homs, Deraa et la Ghouta Orientale, avaient été récupérés par le régime syrien, après des sièges offensifs. Ce sont les populations de ces régions qui sont en partie amassées à Idlib aujourd’hui, dernière zone de désescalade.
En négociant l’arrêt de l’offensive sur Idlib, Erdogan a ainsi évité un afflux massif vers ses frontières. La Turquie accueille déjà plus de 3,5 millions de réfugiés syriens, ce qui en fait le premier pays hôte. Politiquement, Erdogan n’aurait pu en demander plus à son peuple. D’autant que le pays est fragilisé par une crise de sa monnaie depuis cet été.
Le 7 septembre, Ankara avait failli à obtenir de Téhéran et Moscou un accord pour empêcher l’offensive. Depuis, la Turquie a amassé ses troupes aux 12 postes d’observations qu’elle contrôle autour d’Idlib dans le cadre du processus d’Astana. Le 10 septembre Erdogan publiait une tribune appelant la communauté internationale à réagir face à la catastrophe imminente. Les tactiques conjointes de la pression militaire et de son appel à la communauté internationale semblent finalement avoir payé en forçant la Russie à empêcher l’offensive. Elles confirment aussi la place centrale de la Turquie comme puissance régionale.
La Turquie, acteur central
Cet intérêt de la diplomatie turque pour le Moyen-Orient arabe n’a pas toujours été. C’est à partir de 2003 que le désir d’Europe et le tropisme occidental caractérisant la politique étrangère turque se sont transformés en un intérêt géopolitique pour l’Est. Un revirement lié à des élites islamo-conservatrices, longtemps restées dans l’opposition mais bénéficiant depuis 2002 et l’émergence du Parti de la Justice et du Développement (AKP) d’une influence nouvelle.
Pour les chercheur·e·s Jana Jabbour et Jean-Baptiste Le Moulec, il s’agissait avant tout pour la Turquie d’affirmer un rôle de puissance mondiale, une situation impossible tant que la Turquie restait aux marges de l’Union Européenne [1] . En repensant son influence politique, économique et culturelle au Moyen-Orient arabe, Erdogan tentait de retrouver une influence comparable à celle de l’Empire Ottoman.
Les soulèvements arabes de 2011 ont précipité cette stratégie. Contre Bachar el-Assad, avec qui il avait pourtant restauré de bonnes relations en 2005, Erdogan fait le pari de soutenir la rébellion. Il accueille sur son sol le Conseil National Syrien, principal organe de l’opposition en exil, et le centre de commandement de l’Armée Syrienne Libre. Mais il laisse aussi les djihadistes internationaux traverser ses frontières poreuses.
La situation à Idlib est le reflet du passage de l’idéalisme doctrinaire au pragmatisme contraint. Inquiétée par les milices kurdes syriennes proches du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan menant une guérilla contre l’Etat turc) et par la déstabilisation supplémentaire que créerait un nouvel afflux de réfugiés, la Turquie est devenue de fait une puissance médiatrice forcée de trouver une solution au conflit syrien.
Démilitariser
Si l’accord de Sotchi a certainement évité une tragédie supplémentaire, ses conséquences restent cependant incertaines. Le régime syrien a juré de reconquérir l’ensemble de son territoire. Jusqu’ici, la mise en place de cessez-le-feu lui ont permis de focaliser ses forces sur des fronts stratégiques et de reprendre une à une les régions tenues par l’opposition. Mais Idlib est la dernière enclave vers laquelle il transférait les populations rebelles lorsque les forces du régime et ses alliés reprenaient successivement les zones de désescalade. Impossible non plus de les déplacer vers la Turquie, puisqu’elle a laissé entendre qu’elle ne le permettrait pas.
Si l’accord tient, reste aussi la question des combattants présents dans l’enclave rebelle. L’accord de Sotchi prévoit la démilitarisation de « tous les combattants radicaux ». Or, la Turquie et la Russie sont en désaccord sur les groupes armés à inclure dans cette définition. Et même lorsqu’ils se rejoignent le problème reste entier. Idlib est principalement sous contrôle du groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), composé de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie. Pour Ankara, qui ne craint plus une offensive du régime, il s’agit à présent de mettre en place cette démilitarisation, contre laquelle le HTC va certainement s’opposer.
Un grand merci pour cet article au journaliste et au magazine Regards.
La Syrie est une tragédie humanitaire que je pensais ne plus jamais voir reproduire depuis la Guerre D’Espagne.
De Obama a Hollande et les autres, les pays ont essayés d’éviter cette abomination. En vain, le printemps Arabe s ’est ecroulé en Syrie, la Russie, son veto, ses bombardements, tout cà pour une simple base militaire et un gazoduc de Gazprom. Quelle horreur.
Nous en étions resté a 350 000 mort au dernier comptage, mais il n’y a plus personne pour compter les morts. C ’est une tragédie horrible.
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