Janette Habel est chercheur à l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine.
Regards. Que s’est-il passé ce mercredi 23 janvier au Venezuela ?
Janette Habel. C’est l’aboutissement d’une situation compliquée, tant du point de vue économique, social et politique que géopolitique. Ce qu’il s’est passé hier est extrêmement grave. On est maintenant face au risque d’une situation de guerre civile. Une partie de la population appuie Juan Guaido et une autre partie soutient le gouvernement de Maduro. Il est difficile de mesurer l’importance réciproque des deux camps.
Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à la crise de 2016. La politique de Maduro n’a pas été exactement la même que celle de Chavez – sans parler de sa légitimité et de sa popularité. Le problème de Maduro, c’est qu’il est l’héritier d’une stratégie économique qui avait bénéficié d’une conjoncture extrêmement favorable. 90% des ressources du Venezuela dépendent des exportations pétrolières. Chavez a utilisé la rente pétrolière – avec un baril à 130/140 dollars – pour mener une politique très importante de transformations sociales. Le revers de la médaille, c’est que cette politique a maintenu le pays dans une dépendance au pétrole et aux importations alimentaires, de produits de première nécessité, etc. Chavez, mais surtout Maduro, aurait dû engager une politique de diversification économique. Il ne faut pas penser que ça se fait en un claquement de doigts ! Puis le pétrole est passé à 30/40 dollars le baril. La crise a été gravissime, des milliers de gens ont été obligés de quitter le pays.
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Peut-on parler de tentative de coup d’Etat ?
Oui, bien sûr. On a quelqu’un qui s’auto-proclame président par intérim. D’ailleurs, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador qualifie la manœuvre de Juan Guaido de coup d’Etat. Et c’est une tentative de coup d’Etat préparée de longue date – il y a eu des tests auparavant –, profitant de l’affaiblissement et des erreurs de Nicolas Maduro, et qui est appuyé par de nombreux gouvernements, dont Bolsonaro et Trump.
Justement, quel est le rôle des Etats-Unis et du Brésil dans cette histoire ?
Le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro est un gouvernement qui est lui-même le produit de la politique nord-américaine de déstabilisation des gouvernements progressistes. Au Brésil, on a eu un coup d’Etat institutionnel avec la destitution de Dilma Roussef, présidente démocratiquement élue, via des mécanismes institutionnels hallucinants et une instrumentalisation de la corruption. Cela a permis de destituer Dilma Roussef, de mettre Lula en prison et de les remplacer par des gens qui sont infiniment plus corrompus. Ce qui s’est engagé, c’est une offensive – plus habile que par le passé – pour faire tomber ces gouvernements qui ont mené des politiques sociales importantes et reconquérir une hégémonie menacée par ces gouvernements et par la Chine.
« On pourrait parler du Brésil, de l’Argentine, de l’Equateur. C’est tout l’échiquier latino-américain qui est en proie à des manœuvres politiques pour faire tomber ces gouvernements. »
Emmanuel Macron, dans un tweet, qualifie l’élection de Nicolas Maduro d’« illégitime » et annonce que « l’Europe soutient la restauration de la démocratie ». Qu’en pensez-vous ?
Comment peut-on appuyer quelqu’un qui s’auto-proclame président par intérim ? Ou alors, demain, n’importe qui peut se déclarer président dans n’importe quel pays ? De plus, à l’époque, l’élection de Maduro n’avait pas été beaucoup contestée par les ONG. Ce serait beaucoup plus crédible si Emmanuel Macron et l’UE avaient pris la même position lors de l’élection de Bolsonaro. On pourrait parler du Brésil, de l’Argentine, de l’Equateur. C’est tout l’échiquier latino-américain qui est en proie à des manœuvres politiques pour faire tomber ces gouvernements. Pour le moment, c’est une réussite. C’est comme les dominos, ils tombent les uns après les autres.
Nicolas Maduro peut-il se sortir de cette situation ? Ou bien est-ce la fin du chavisme ?
L’issue sera très compliquée. Le gouvernement de Maduro bénéficie encore de l’appui de l’armée et des catégories les plus pauvres. L’élément clé de cette affaire, c’est la division ou pas de l’armée et jusqu’où l’appui populaire va se maintenir. Il y a une menace d’intervention directe – peut-être même militaire – par le biais de l’OEA (organisation des Etats américains), présidée par Luis Almagro qui est un personnage absolument réactionnaire. Et la Chine et la Russie n’ont pas encore réagi, et ils ont des investissements très importants au Venezuela. Il faut comprendre que ce n’est pas simplement une crise régionale, mais bien internationale.
Que Maduro soit de gauche n’en fait pas nécessairement le titulaire d’un brevet de vertu. Lui en accorder un est hasardeux. Sa réélection n’a été due qu’à la manipulation et la violence. Elle ne fut pas régulière, correspondant à l’expression de la volonté du peuple. L’ayant contournée, donc bafouée, Maduro n’est pas légitime, en regard même des institutions qu’il prétend défendre. En cas de vacance du pouvoir, c’est le président du parlement qui assure l’intérim jusqu’à de nouvelles élections. C’est ainsi que se conçoit la mission de Guaido, président par intérim. Certes autoproclamé, sur la base d’une interprétation de la constitution. Cela laisse de la place à un aspect aventureux, sans en faire pour autant un putsch. Certes le soutien de Trump, qui lui non plus n’est pas titulaire d’un brevet de vertu, est discutable. Mais en face celui de Poutine et de Xi ?
Maduro imposteur, manipulateur, ne tient que par l’armée. C’est lui le putschiste. Une fois de plus en Amérique du Sud, s’est installée une dictature militaire. Ici elle est de gauche. Est-ce mieux que quand elle est de droite ?
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