Jamais deux sans trois. Après la tragédie humanitaire des années 90 et le fiasco stratégique post-2003, une "grande coalition" occidentalo-persique s’apprête une nouvelle fois – et, pour partie, a déjà commencé – à intervenir en Irak. Troisième guerre en vingt-trois ans dans ce pays au cœur du Moyen-Orient.
Au regard des résultats obtenus à l’issue des deux précédentes interventions de 1991 et 2003, on est en droit de s’inquiéter. Pêle-mêle : un embargo meurtrier, des centaines de milliers de victimes civiles, l’un des système de santé et d’éducation les plus performants de la région réduit en miette, une accentuation de la confessionnalisation de la société, l’installation de la violence armée comme mode systématique de règlement des conflits, un État partitionné, affaibli à l’extrême et dont les représentants manquent cruellement de légitimité, une défiance populaire durable vis à vis des "puissances occidentales"... Le bilan des deux premières guerres d’Irak n’est pas glorieux.
« Tous les moyens nécessaires »
Quels objectifs, cette fois ? La formulation en demeure pour l’heure assez floue, ouvrant la porte à de larges possibles. Ce lundi, le texte final pondu à l’issue de la conférence internationale sur la sécurité en Irak qui s’est tenue à Paris a souligné que « tous les moyens nécessaires », y compris militaires seraient mis en œuvre pour aider Bagdad à lutter contre l’EI (pour État islamique, ex EIIL, État islamique en Irak et au Levant, ou Daash, acronyme arabe). Et ce « dans le respect du droit international et de la sécurité des populations civiles ». En gros, comme l’a expliqué Barack Obama le 10 septembre, il s’agit de combattre et d’éradiquer les combattants jihadistes de l’EI. Les États-Unis ont commencé leurs frappes aériennes début août ; la France, elle, a envoyé lundi ses premiers avions en reconnaissance aérienne et fournit des armes (« sophistiquées », selon Laurent Fabius) aux Peshmergas du Kurdistan irakien depuis un mois.
Vendredi, à Bagdad, où il s’était rendu pour assurer le président Fouad Massoum du soutien de la France, François Hollande avait évoqué la nécessité d’éliminer les sources de financement, d’approvisionnement et de recrutement de djihadistes, de contrôler les frontières et de former l’armée irakienne. Autant de thèmes qui ont été débattus hier à Paris par la trentaine de pays présents.
Chacun sa partition
D’après le département d’État américain, plus d’une quarantaine de nations seront sur les terrains militaire et/ou humanitaire et à des degrés divers d’engagement et d’exposition. Derrière les États-Unis, on retrouve bien sûr les alliés traditionnels européens (France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, etc.), plus la Corée du sud, le Japon, l’Australie mais aussi l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie. Une coalition large donc (Israël devrait également en être mais pas l’Iran ni l’Égypte), en partie composée par des États qui, depuis le début de la crise syrienne en 2011, jouent leur propre partition dans la région. Partitions souvent antagonistes, les uns et les autres soutenant des groupes et factions éventuellement ennemis, et ce au gré des renversements d’alliance ponctuels et des appartenances confessionnelles. Le tout au service, bien entendu, d’ambitions plus ou moins assumées de leadership régional.
Contrairement à la plupart des organisations politico-militaires opérant dans la région, les troupes de l’EI qui fédèrent donc tout ce beau monde contre elles, ne bénéficient, elles, d’aucun soutien direct comme le rappelle l’universitaire Grégory Gause dans un article consacré à la « nouvelle guerre froide au Proche-orient » (à lire, en français, sur Orient XXI) : « L’EI quant à lui n’a pas de protecteur, (…) Qatar et l’Arabie saoudite ont investi des sommes importantes dans l’opposition syrienne, et il est possible qu’une partie de leur argent ait fini entre les mains de l’EIIL puis de l’EI. Mais il n’existe aucune preuve qui tendrait à montrer que ces deux pays soutiennent directement cette organisation (…) L’EIIL (...) a trouvé seul ses moyens financiers, tirant ses ressources du banditisme, de l’extorsion d’argent en échange de sa protection, du contrôle de routes marchandes et en captant des revenus tirés des raffineries de pétrole et des centres de distribution d’essence. (...) L’une de ses forces, en termes de propagande, est d’afficher qu’il n’est l’obligé d’aucune puissance étrangère. »
Multiplication des foyers terroristes
Dans une région où les "puissances" locales n’en sont plus et ou les frontières héritées des accords franco-britanniques Sykes-Picot (1916) semblent prêtes à voler en éclat, l’EI, sans soutien direct donc mais tirant le meilleur parti du chaos régional, démontre qu’il est aujourd’hui en capacité de rassembler un nombre conséquent de combattants. Des combattants suffisamment équipés et déterminés pour effacer la frontière syro-irakienne et mettre en difficulté une armée irakienne "formée", on s’en souvient, pendant plusieurs années et jusqu’en 2011 par... les GI’s états-uniens.
« Il serait temps que les pays occidentaux tirent les leçons de l’expérience (…), il y avait en 2001 un foyer de crise terroriste central (dans la région ndlr), aujourd’hui il y en a près d’une quinzaine. C’est dire que nous les avons multiplié (...) Aujourd’hui, l’EI c’est l’enfant monstrueux de l’inconstance et de l’arrogance occidentale », a déploré vendredi Dominique de Villepin.
Mais le temps du "non" français à la guerre en Irak (2003) est révolu : François Hollande semble convaincu que la France a toute sa place dans ce "Nous" occidental dénué d’intelligence politique, incapable de tirer des enseignements du passé et fonçant tête baissée dans les pièges les plus monstrueux (vidéos d’otages décapités). Un "Nous" qui se passe de l’accord des peuples, ne prend plus la peine de s’embarrasser du "parapluie" (certes très abîmé) onusien et prend le risque (à dessein ?) de coaliser toujours un peu plus les "forces du mal". De quel désastre la troisième guerre en Irak qui s’annonce sera-t-elle cette fois le nom ?