Iván Argote est artiste plasticien et réalisateur.
Regards. Notre première question est simple : quand est-ce qu’a réellement eu lieu ce vrai-faux déboulonnage ? Quelques fins observateurs ont remarqué l’absence de feuilles dans les arbres, mi-avril...
Iván Argote. (Rires.) Oui, on n’a pas du tout filmé ce lundi 19 avril, comme il est dit dans votre faux article. On a filmé début mars.
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Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est faux dans votre vidéo ?
Tout est réel : la grue, les passants, les ouvriers, le moment où l’on attache la statue – je pensais que des policiers viendraient, mais ils sont passés plusieurs fois sans rien dire. Tous les gens que vous voyez font partie de mon équipe, plus quelques figurants que j’ai engagé. Ce qui est faux, c’est simplement le moment où l’on soulève la statue. À partir de là, ce sont des effets spéciaux réalisés par un studio à Barcelone. Ils ont passé un bon mois à travailler dessus. Je voulais que ça ressemble à un tour de magie, une scène banale, sérieuse, pas trop bien filmée, pour que le « truc » passe sans qu’on le remarque.
Qu’avez-vous pensé des réactions qu’a suscité cette performance ?
Je suis très content. Il y a eu un peu de tout. Des gens enthousiastes, avant d’être un peu déçus ! J’aime bien ce côté « art bashing ». J’aimerais bien qu’ils gardent cet optimisme. J’ai voulu montrer qu’on pouvait le faire. C’était un premier pas.
« J’aime bien penser cette vidéo comme un film d’anticipation. L’idée est d’utiliser la fiction pour faire avancer les choses, pour proposer un débat, pour critiquer la société. »
Quel était le but derrière ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
J’aime bien penser cette vidéo comme un film d’anticipation, une fiction qui pourrait advenir bientôt. Je me dis que d’ici cinq ou dix ans, après un débat apaisé, on va enlever ce monument sans violence, pour y mettre autre chose. Mais puisque ce jour n’est pas pour demain, on pourrait déjà l’imaginer ! L’idée du film est de montrer que ce n’est pas si compliqué de déboulonner une statue. Il faut ouvrir le débat sur ces monuments coloniaux. Je pense que cela peut passer par des fictions réalisables, afin de penser un monde plus accueillant, moins violent, moins militarisé.
Pourquoi avoir sollicité Regards pour écrire un faux article ?
L’idée est venue d’une discussion en octobre dernier, dans mon atelier, entre l’historienne Françoise Vergès et le journaliste Pablo Pillaud-Vivien. Je pensais que si on ne faisait qu’une vidéo, ça passerait inaperçu. Alors je me suis dit : « Et si on imaginait le jour où ça arrive vraiment ? » Un tel événement serait forcément couvert par la presse. Regards était le média idéal, puisque c’est un journal où ce débat est déjà suivi [1]. Ça c’est donc fait naturellement. L’article-fiction n’est pas un genre récent. Le plus connu est l’émission de radio « La guerre des mondes » d’Orson Welles. Il y a aussi un courant qu’on appelle le « féminisme spéculatif ». L’idée est d’utiliser la fiction pour faire avancer les choses, pour proposer un débat, pour critiquer la société.
Une dernière chose : pourquoi Gallieni ?
Joseph Gallieni était un idéologue militaire de la colonisation et du travail forcé, auteur de plusieurs massacres dans différentes colonies d’Afrique, d’Asie et dans les Caraïbes. Il est aussi l’auteur du livre Les Politiques des Races, une sorte de guide sur comment détruire et dominer les communautés locales dans les colonies. Non seulement la statue en elle-même fait partie d’un horrible récit, mais le socle qui soutient l’image de Gallieni est également horrible. Il représente quatre femmes de quatre races différentes à moitié nues, tenant de ses bras l’homme d’armes moustachu. Ces femmes sont censées représenter les continents qu’il a dominé. Le message est clair, un militaire puissant et fier, marchant au-dessus des femmes, au-dessus des colonies, au-dessus des continents, au-dessus des autres. Le monde des militaires moustachus sur des piédestaux est un monde gris et sérieux, de sentiments et d’idées avares et tristes. Nous voulions remettre cela en question avec cette vidéo, et oui, nous voulions susciter la polémique, et oui, nous voulions faire réfléchir les gens à la possibilité de changer cette triste icône dans nos villes. Nous devons en parler à haute voix si nous voulons créer des changements.
Propos recueillis par Loïc Le Clerc
Beaucoup d’anti colonialistes n’ont pas de lieu de mémoires et c’est un scandale
Est ce que déboulonner va permettre une prise de conscience de ce qu’a été notre histoire avec une meilleure prise de conscience ? Je n’en suis pas sûr !
Par contre sur ces monuments ! On doit susciter le débat pour avoir non seulement le devoir de mémoire mais aussi pour progresser dans un monde meilleur !
Jean Pierre dropsit le 21 AVRIL À 21:35
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