Photo Julie Bourges pour Regards
Accueil | Reportage par Loïc Le Clerc | 27 septembre 2018

Lalizolle, terroir d’accueil

À l’heure où Emmanuel Macron insiste sur la nécessité de « nous protéger contre les flux migratoires irréguliers », plusieurs maires se disent prêts à accueillir des réfugiés afghans. Ces derniers fuient le régime des talibans, lesquels viennent de prendre le contrôle de Kaboul. Il y a quelques années, Regards s’était rendu à Lalizolle, en plein coeur de l’Auvergne, où le maire avait décidé d’accueillir des familles de réfugiés. Reportage.

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Gilles Trapenard, soixante-huit ans, a commencé son premier mandat en 2014, à Lalizolle, quatre cents habitants, commune de l’Allier (Auvergne) située à trois quarts d’heure de Vichy. Il se dit lui-même « sans étiquette, plutôt de droite, quoique… ». Dans son bureau est affiché un appel aux urnes de son grand-père, conseiller général « républicain-socialiste ». « Je ne suis pas un politicien, je ne recherche que le bien de mon canton, sans autre arrière-pensée », peut-on y lire. Mais si la politique semble une affaire de famille, c’est bien Gilles Trapenard seul qui a décidé, en décembre 2017, d’accueillir plusieurs familles de réfugiés dans son village.

 

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À cette époque, il veut faire d’une pierre deux coups. Son école étant menacée de fermeture, il a cette idée : faire venir des réfugiés. Sauver des vies, sauver son village. Il contacte directement l’opérateur Viltaïs, financé par un fonds européen, le FAMI, qui dépend du ministère de l’Intérieur et qui travaille à la venue de réfugiés dans le département. Gilles Trapenard souligne que la préfecture, elle, « était contre la venue de ces réfugiés ». L’Allier est le département qui accueille le plus de réfugiés en France, proportionnellement à son nombre d’habitants – Île-de-France mise à part.

En quelques jours à peine, l’opération est bouclée : Lalizolle sera une terre d’accueil pour quatre familles. Vingt-et-une personnes originaires du Mali, de Centrafrique et de Côte-d’Ivoire. Elles seront réparties dans trois logements appartenant à la municipalité. Pour les plus jeunes, pas même âgés de dix ans, la vie se résume à l’exil et aux camps de réfugiés. Les pères ne sont pas tous là, parfois morts, tués dans des guerres civiles, fratricides. Impossible d’imaginer l’horreur qu’ont vécue ces familles avant d’arriver en France. La guerre, la faim, la mort.

Sans prévenir personne

C’est le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) qui les a identifiés à Niamey, capitale du Niger, les considérant comme des personnes vulnérables. En relation avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ils ont alors la possibilité de venir en France en tant que réfugiés politiques. Une procédure longue, au cas par cas. Le HCR estime à plus de 90 000 le nombre de personnes pouvant prétendre à ce programme au Tchad et au Niger. Ils ne seront que 3 000 à venir en France en 2018 et 2019. « Eux, ils ont touché le loto quand on leur a dit qu’ils venaient en France », lance Gilles Trapenard.

Gilles Trapenard a beau être fier de sa décision, il n’a prévenu personne de son plan. Ni la presse, ni ses administrés, pas même ses élus. Et quand il en a parlé à son premier adjoint, Maurice Deschamps, un fillonniste convaincu, celui-ci s’est empressé de lui faire part de son hostilité. Et après une nuit de réflexion et d’insomnie, il finit par lâcher : « Gilles, c’est toi qui as raison, faisons-le ! » Viltaïs était sur la même longueur d’ondes : agir rapidement pour éviter que des fantasmes ne se créent, que l’extrême droite récupère l’arrivée des migrants.

Finalement, les quatre cents âmes de Lalizolle ont été informées. Pas de surprise : « Les irréductibles gueulent, mais certains se réjouissent, notamment l’école », nous raconte l’édile. Ces « irréductibles » vont jusqu’à émettre des menaces de mort à l’encontre des réfugiés, souvent sur le ton de l’ironie, jamais face à eux. Le maire s’en désole, mais ne s’inquiète pas outre mesure. Il fait un constat sans appel : Lalizolle est passée en quelques décennies de 60 % de votes communistes et 30 % de socialistes à près de 50 % de votes frontistes. À la dernière présidentielle, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour avec 25 % des voix. C’est dans ce contexte que, le 18 janvier 2018, débarque la vingtaine de réfugiés.

Sas de décompression

À leur arrivée, ils sont fatigués du voyage, frigorifiés par moins dix degrés. Les bénévoles de Viltaïs leur ont préparé de quoi manger. Gilles Trapenard, lui, laisse quelques larmes lui échapper. « Je suis ému », sourit-il. Le maire a beaucoup d’espoir pour sa commune. Huit enfants viendront se joindre aux vingt-trois élèves de l’école. Trois autres iront au collège du coin. Lalizolle, c’est une Poste, une épicerie et une école. « C’est rare », pour une si petite ville, commente le maire.

Ce programme d’accueil est temporaire : Lalizolle a en quelque sorte la fonction d’un sas de décompression. Les réfugiés resteront au maximum quatre mois avant que d’autres familles n’arrivent. Pendant ces seize semaines, ils devront apprendre le français, si besoin, inscrire les enfants à l’école, se familiariser avec l’administration française, faire valoir des équivalences de diplôme, chercher une formation professionnelle, un emploi et un logement stable. Le tout, bien évidemment, épaulés par Viltaïs. Après ces quatre mois, l’organisme continue de suivre les familles ailleurs en Allier où, pendant huit mois, est alors mis en place un bail glissant, afin de rendre ces familles autonomes, petit à petit.

À terme, elles auront un logement durable et, dans le meilleur des cas, un emploi. « Emploi que la plupart des Français n’acceptent pas, tient à préciser Gilles Trapenard. Eux, dès que vous leur proposez quelque chose, ils sont partants. » Pour Jean-Philippe Morel, chef de service de Viltaïs, ce genre de programme d’accueil est « facile, il n’y a jamais eu de souci ». Il nous explique que les seules réelles difficultés, ce sont celles de la ruralité vis-à-vis de l’emploi, de la mobilité. D’autant que, dans leurs pays d’origine, la plupart des réfugiés ne vivaient pas dans d’aussi petites communes.

Intégrer sans désintégrer

Viltaïs se donne aussi la mission de respecter la culture d’origine des réfugiés. Mais pour y parvenir, il faut que les municipalités acceptent d’accueillir plus de deux familles. « L’intérêt d’implanter quatre, six familles, c’est de créer un équilibre entre la culture d’origine et la ghettoïsation », explique Jean-Philippe Morel. À Lalizolle, Viltaïs loue les logements à la mairie après s’être occupé de les rénover, de les équiper, d’acheter tout le nécessaire de base – des meubles (vendus par Emmaüs) aux vêtements, en passant par la mousse à raser. Il y a également eu beaucoup de dons de la part des habitants de Lalizolle. Tout était fin prêt pour qu’à leur arrivée, les réfugiés n’éprouvent pas de difficultés matérielles.

Trois mois plus tard, mis à part la nourriture, pour laquelle il faut s’habituer à manger des pâtes, « comme les Français », le premier bilan est « un succès total, au-delà de nos espérances », constate Gilles Trapenard. Une famille a déjà quitté Lalizolle, une autre est arrivée : deux Soudanaises et leurs enfants. Une autre famille ne devrait pas tarder et Viltaïs lui prépare un logement dans le village, juste au-dessus de l’épicerie. Pour les autres, le « sas » fait son office. Eugène et Marie-Laure racontent le plaisir qu’ils éprouvent à simplement faire des promenades et contempler une nature plus luxuriante que dans leurs pays d’origine.

Mais le calme a ses limites. À Lalizolle, l’ennui est familier, il y a peu d’activités à part la zumba du lundi soir – à plus forte raison quand on doit compter sur Viltaïs pour se déplacer vers les communes environnantes. « Nous ne sommes pas autonomes pour aller à la pharmacie ou faire les courses », explique Sabiratou. Elle rêve de la ville, la grande : Paris ! Si elle le dit en riant, il y a bien une pointe de vérité. Tiffany Gastal, conseillère en économie sociale et familiale pour Viltaïs, à temps plein à Lalizolle, insiste sur le fait qu’elle travaille beaucoup sur l’autonomie avec les réfugiés, et rappelle : « C’est un service qui vient d’être monté, il y a forcément des choses qui doivent se mettre en place petit à petit ». Viltaïs est en train de mettre en place un système de taxis pour améliorer les déplacements. Tous espèrent cependant être relogés bientôt dans une plus grande ville.

Montagnes russes émotionnelles

Les « irréductibles », on ne les entend plus. Jean-Philippe Morel témoigne avoir vu « le plus raciste de tous en train de papoter avec les gamins deux jours après leur arrivée ». À l’épicerie, on constate que les habitants de Lalizolle sont plutôt rassurés. Presque fiers d’appartenir à une ville qui a fait le choix de la solidarité. Au sein de la communauté scolaire, en revanche, on est tout de même un peu amer. Si l’accueil des enfants réfugiés n’a posé aucune problème – les enfants de Lalizolle y ont été préparés et tout s’est bien passé – plusieurs critiques ont été formulées. À commencer par la barrière de la langue, pénalisante pour se faire comprendre, et entendre, tous les enfants n’étant pas francophones. Mais le maire est confiant : « Comme tous les enfants du monde, ce sont des éponges, dans un mois, ils vont parler français ».

Aussi, il n’y a que deux enseignants dans cette école de bientôt trente-huit élèves dont douze réfugiés, et ils doivent déjà composer avec des classes à plusieurs niveaux. Un renfort serait nécessaire mais « l’Éducation nationale nous a fait des promesses qu’elle n’a jamais tenues », s’agace Gilles Trapenard. Enfin, avec ce roulement des familles tous les quatre mois, les enfants, réfugiés ou non, font face à des montagnes russes émotionnelles entre l’accueil et l’au revoir. « Nous, on aimerait plus, mais il s’agit d’un temps de réadaptation, de soin du traumatisme et d’intégration », continue l’édile. Il reconnaît que, d’un point de vue pédagogique, il serait mieux d’avoir les enfants toute une année scolaire. Jean-Philippe Morel nous explique de son côté que le programme de Lalizolle est établi pour trois ans, renouvelable, et que Viltaïs est « partant pour une très longue durée ». Un horizon partagé avec Gilles Trapenard, malgré les oppositions diverses. Il s’amuse : « Il y a des gens qui ont un certain respect pour l’ordre établi. Moi, je suis un peu anarchiste, j’en n’ai rien à faire ! ». Une expérience prometteuse qui mériterait sans doute d’être généralisée. Voire banalisée. Loin des choix politiques faits au niveau national.

 

Loïc Le Clerc

 


 

Sabiratou Abdoulaye, vingt-cinq ans, deux enfants

Sabiratou est née à Ansongo, commune de 30 000 habitants située au Mali. En 2012, elle quitte son pays « à cause de la guerre, des terroristes qui sont venus tuer, brûler, imposer leur loi islamique ». Sabiratou est musulmane, mais entre le voile intégral et le lycée, elle a fait son choix. Elle fuit le jour où l’établissement est détruit. Elle est alors en terminale. Arrivée au Niger, elle commence des études d’infirmière. C’est là qu’elle rencontre le père de ses enfants. Ils en auront deux en 2014 et 2015. Si c’est le HCR qui la prend en charge afin de la faire venir en France, la procédure est très longue. Ils n’apprendront qu’en janvier 2018 leur départ imminent pour la France. Aujourd’hui, Sabiratou espère pouvoir reprendre ses études d’infirmière. Et, si tout va bien, elle veut rester en France, pour elle mais surtout pour ses enfants.

 


 

Marie-Thérèse Tano et Eugène Djollo, quarante-et-un et quarante-huit ans, cinq enfants

Tous deux sont Ivoiriens. Jamais ils n’auraient pensé que leur pays puisse sombrer ainsi dans la guerre civile. Fin 2010 a lieu l’élection présidentielle. Le président sortant Laurent Gbagbo perd face à Alassane Ouattara, la guerre civile est proche. Devant le bureau de vote, des militaires ordonnent à Marie-Thérèse de voter pour leur candidat. Elle refuse et rétorque : « Je préfère ne pas voter que voter de force ». Sa mère est abattue sous ses yeux, puis elle est battue à coups de crosse de fusil et enfin violée. Elle n’a pas d’autre choix que de fuir avec ses trois enfants et marche, des jours durant, à travers champs. Mais la guerre la rattrape. Elle arrive alors au Burkina Faso, mais ici non plus, elle n’est pas la bienvenue. Elle fuit encore.

Près de deux semaines et 2 000 kilomètres plus tard, elle arrive au Niger, dans un état de « folie », selon ses propres mots. Le Togolais qui l’héberge elle et ses enfants appelle alors Eugène, pour qu’il prenne soin de sa « sœur ». Eugène a lui aussi fui son pays en passant par la Lybie. Marie-Thérèse est hospitalisée plusieurs semaines. Elle est enceinte de son bourreau ivoirien. Eugène aura l’humanité de reconnaître l’enfant comme le sien. Ils en auront un cinquième ensemble.

Finalement, le HCR les repère. Marie-Thérèse et Eugène n’en avaient jamais entendu parler. Ils vont quelque temps vivre à l’intérieur du camp de réfugiés, à Niamey, mais les conditions de vie sont pires qu’en dehors. Ils vivront alors comme ils peuvent, jusqu’à la délivrance début 2018. Eugène pesait quarante-huit kilos à son arrivée en France. Trois mois plus tard, il en pèse déjà soixante-quatre. Pas question de rentrer en Côte-d’Ivoire, à moins que le régime politique ne change, que la guerre civile cesse et que les cauchemars disparaissent. Et encore…

 


 

Marie-Laure Diagbré, quarante-deux ans, deux enfants

Marie-Laure est ivoirienne, comme ses deux enfants de treize et huit ans. « Pendant plusieurs années, il y a eu des conflits en Côte-d’Ivoire, raconte-t-elle. Cela nous a poussé à sortir du pays. C’était sauve-qui-peut, chacun cherchait un pays où partir. » Pour Marie-Laure aussi, le Niger est la destination choisie pour fuir la politique et la guerre. Pour cela, elle passe par le Ghana et le Togo. « Le Niger est un pays vraiment pauvre, mais on n’avait pas entendu parler de guerre là-bas », résume Marie-Laure. La paix. Elle ne demande rien de plus.

Au Niger, elle cherche des petits boulots, serveuse par exemple, pour manger un peu chaque jour. Le logement n’est pas chose facile, ses enfants sont dispersés chez plusieurs connaissances. Chrétienne, elle subit des pressions d’islamistes nigériens, comme ses enfants à qui on veut imposer l’islam à coups de bâton. Les années passant, il devient de plus en plus difficile de vivre ce quotidien. « Je ne savais pas que, quand tu fuis ton pays, tu es un réfugié ». Alors, quand elle apprend l’existence du HCR, « c’est comme quand tu n’as plus d’espoir, et que l’espoir vient ». Elle pense pouvoir avoir un peu d’argent, mais ne réalise pas ce qui l’attend : un départ pour la France. « On est sauvé ! » Depuis janvier 2018, à Lalizolle, elle vit en colocation avec Sabiratou, musulmane. La paix, enfin.

 

L. L. C.

Ce reportage est extrait du numéro d’été 2018 de Regards.

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