19h30. Quelques touristes prennent en photo la Tour Eiffel qui brille de tous ses feux. C’est vrai qu’elle est belle. Encore plus sous ce crachin parisien sans intérêt. Les « Francs-Tireurs » ont donné rendez-vous au restaurant Bambini, qui jouxte le Palais de Tokyo, pour un « cocktail dinatoire », ce afin de présenter un nouveau venu dans le paysage médiatique français : Franc-Tireur. Drôle d’endroit pour un journal qui porte le même nom qu’un autre, un de la Résistance. Ici, ça sent plus la truffe que la poudre.
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L’accueil est chaleureux. Pass sanitaire obligatoire mais, une fois à l’intérieur, le Covid n’existe plus. Si vous cherchiez un cluster, c’était la bonne adresse.
Il n’aura pas fallu une minute pour qu’un premier événement heurte votre serviteur : ils servent le champagne dans des verres à vin ! Faute de goût ou façon d’être « populaire » ?
Tout le gratin est attendu de pied ferme par le directeur de la rédaction, Christophe Barbier. Lui est comme un poisson dans l’eau avec son habituelle et lassante écharpe écarlate. C’est qu’il y a du beau monde : les journalistes David Pujadas, Patrick Cohen, Michel Denisot et Laurent Joffrin, l’avocat Richard Malka, l’ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo Philippe Val, Tristane Banon, le député LREM Florian Bachelier, Gilles Clavreul du Printemps républicain ou encore Alexandre Devecchio du Figaro.
Et puis il y a toute la rédaction du nouvel hebdomadaire, les fameux « Francs-Tireurs » : Caroline Fourest, Raphaël Enthoven et Éric Decouty – qui composent, avec Barbier, la tête pensante du journal –, Abnousse Shalmani, Jean-Claude Mailly (aka JC le rouge, l’ancien de FO), Yasmina Jaafar, Jean Garrigues, Benjamin Sire, Frédéric Encel, Mohamed Sifaoui, Claude Weill, Christophe Carrière et tout ceux qu’on oublie. Ne manque au gueuleton que l’inénarrable Rachel Khan – nous espérions y voir Manuel Valls ou Marlène Schiappa, mais non.
Deux verres de rouges plus tard, les hôtes, que l’on dit plus nombreux que prévus, sont invités à se presser au fond du restaurant. Voilà Étienne Bertier, président de Czech Media Invest (CMI) France, un groupe de presse qui possède déjà plusieurs journaux français, les plus notables étant Marianne, Elle et Public. Tiens, Denis Olivennes est là aussi. Il est le directeur général de Libération et membre du conseil d’administration de CMI. Le monde est petit…
Bertier parle peu. C’est bien. Et du quatuor des « Francs-Tireurs », seule Caroline Fourest prendra la parole. C’est bien aussi, la salle aurait-elle supporté une énième divagation d’Enthoven ? Rien n’est moins sûr. Ils revendiquent 4000 abonnés et encore plus de promesses d’abonnement. Ils s’en félicitent mais ça ne casse pas trois pattes à un canard, vu le battage dont l’hebdo bénéficie et la notoriété de ses signatures.
Ah, des petits fours !

« La Raison est un combat »
C’est la devise du journal. Et la ligne est fièrement scandée par Caroline Fourest : la nuance. Raison… nuance… voilà bien des mots qui ne collent absolument pas aux personnes présentes dans cette grande salle.
Le premier numéro entre les mains, nous lisons : « C’est émouvant la naissance d’un enfant de papier ». Pour sûr, dans un pays où la presse est si concentrée entre les griffes de quelques milliardaires, le pluralisme ne vit que par la pluralité des titres. Hélas, Franc-Tireur n’est qu’une carte de plus pour Daniel Kretinsky, le milliardaire tchèque à la tête de CMI...
Le premier édito d’Enthoven se veut un plaidoyer contre la radicalité. Tout y est mélangé : l’extrême droite, les gilets jaunes, les antiracistes. Voilà les adversaires. Qu’importe si l’on croise ici de braves représentants de la droite extrême. Qu’importe si l’on peine à compter celles et ceux qui ne vivent que de leur haine des musulmans tant ils sont légion. Qu’importe si cette bourgeoisie vomit sa haine du petit peuple, le papier de ce huit pages est recyclé !
Nous sortons fumer une cigarette. Ces paroles viennent à nos oreilles :
« — Il me traite de fasciste, lui, le semi-woke !
— Je préfère être fasciste, au moins ça a de la gueule. »« Les écolos, c’est des islamogauchistes. »
Raison. Nuance.
Au moment de croiser Gilles Clavreul, impossible de dire lequel des deux est le plus surpris de nous voir ici. La discussion n’en demeure pas moins intéressante, avec ce constat partagé : la gauche est dans la merde.
À 23h, alors que les serveurs nous avaient assuré que ce serait l’heure de boire autre chose que du mauvais vin, ceux-ci rangent la salle. Il est temps de dire au revoir.
Mais laissons encore les beaux et honnêtes sourires du couple royal nous accompagner dehors : l’ex-animatrice des Chemins de la philosophie sur France Culture Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven. Cette soirée avait tout d’un salon aristocratique, à bien y repenser. Avec ses codes, ses pièces rapportées que l’on exhibe pour se donner un genre et, surtout, ses faux semblants. Autant Caroline Fourest est sincèrement mal à l’aise lorsqu’elle doit être prise en photo sur le tapis rouge, autant tout le reste n’est que mensonges mondains. Le mépris est permanent. Mais toujours avec les bonnes manières. Pas si francs les tireurs !