Regards. Cette mesure est présentée par le gouvernement et la majorité présidentielle comme une mesure de simplification. Qu’en penses-tu ?
Christophe Prudhomme. C’est complètement faux. Aujourd’hui, la facturation des hôpitaux est un joyeux bordel : nous avons un système avec de multiples payeurs – comme l’assurance maladie obligatoire et les assurances maladie complémentaires. Tout cela génère une suradministration très coûteuse. Il n’y a pas que les syndicalistes et les dangereux gauchistes qui pensent que la suradministration est coûteuse puisque le directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP), Martin Hirsch, alors qu’il rencontrait des difficultés au moment de la facturation des patients Covid hospitalisés en réanimation qui se retrouvaient avec des reste-à-charge de plusieurs milliers d’euros lorsqu’ils n’avaient pas la bonne assurance maladie complémentaire, avait déclaré que, si l’on simplifiait le financement des hôpitaux pour qu’il n’y ait qu’un seul payeur, la Sécurité sociale, cela lui permettait d’économiser 1500 emplois rien qu’à l’APHP ! Aujourd’hui, le forfait « patient urgence » ne répond pas au problème de la complexité de la facturation à l’hôpital.
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C’est donc une mauvaise mesure selon toi ? On ne peut rien y voir de bon ?
C’est une mauvaise mesure qu’il ne faut pas mettre en oeuvre. D’ailleurs, elle devait être appliquée au 1er janvier 2021 mais, au regard de la situation des hôpitaux, le gouvernement a pris la décision de la reporter sine die. Il est étonnant qu’au 1er janvier 2022, alors que l’on est dans une situation aussi critique qu’au 1er janvier 2021, ils décident brutalement de l’appliquer. Les gens qui vont payer les 19,61 euros, ce sont les gens qui viendront juste pour une consultation sans être hospitalisés. C’est punitif et contre-productif car cela ne résout pas le problème de l’organisation de la médecine de ville.
C’est un palliatif pour contrer maladroitement un problème systémique d’organisation des soins selon toi ?
L’honorable député Mesnier, qui a été antérieurement médecin urgentiste mais qui n’a pas pu exercer très longtemps puisqu’il a rapidement élu, est à l’origine de la mesure de ce forfait « patient urgence ». Il l’a présentée comme une mesure permettant de désengorger les urgences puisque l’encaissement se ferait immédiatement et non plus à la suite d’un envoi de facture comme c’est le cas actuellement. Le problème, c’est que c’est punitif alors qu’il n’y a pas d’autres solutions : dans n’importe quel système, il y a des gens qui abusent mais ils sont ultra-minoritaires. L’essentiel des gens qui viennent aux urgences ne viennent pas par plaisir mais parce qu’ils ne trouvent pas de médecin en ville car il y a de moins en moins de médecins généralistes et que ceux qui restent sont débordés. Or quand tu as 40 de fièvre, la diarrhée ou que tu tousses, tu as envie de voir un médecin dans la journée, pas sous trois jours : tu vas donc à l’hôpital. De plus, l’exercice de la médecine de ville ne correspond plus aux besoins des patients : quand tu vas voir un médecin en ville, il va te prescrire une prise de sang. Tu vas donc devoir aller ensuite dans un laboratoire d’analyses médicales. Mais il va aussi peut-être te prescrire une radio donc il faut que tu trouves un cabinet de radiologie. Si tu viens aux urgences, même si tu restes 6 heures, tu as tout sur place : soit c’est grave et tu es hospitalisé, soit ça ne l’est pas et on renvoie à domicile mais tu es rassuré.
« Il n’est pas question, alors que nous, soignants, sommes déjà débordés par des tâches administratives, que l’on se préoccupe de récupérer les 19,61 euros auprès des patients. Il est certain que les soignants vont refuser catégoriquement de remplir cette tâche. Il faudra donc embaucher des personnels administratifs supplémentaires, ce qui est un non-sens pour une mesure soit-disant de simplification. »
Les patients peuvent-ils sortir gagnants, une fois cette mesure appliquée ?
Certains vont s’en sortir avec une facture allégée, d’autres vont devoir davantage. Aujourd’hui, quand un patient vient aux urgences, il paie quelque chose. Mais pas immédiatement : il va recevoir une facture avec une prise en charge par l’assurance maladie et les assurances complémentaires. Par ailleurs, il n’est pas question, alors que nous, soignants, sommes déjà débordés par des tâches administratives, que l’on se préoccupe de récupérer les 19,61 euros auprès des patients. Il est certain que les soignants vont refuser catégoriquement de remplir cette tâche. Il faudra donc embaucher des personnels administratifs supplémentaires, ce qui est un non-sens pour une mesure soit-disant de simplification… Dernier point : les gens qui viennent aux urgences et qui sont stressés parce qu’ils sont accueillis dans des conditions qui ne sont pas bonnes, si on leur dit de surcroît qu’ils ne peuvent pas partir s’ils n’ont pas payé les 19,61 euros, cela peut être source d’agressivité et de tensions. En un mot comme en cent : la seule simplification valable, c’est un financeur unique de l’hôpital, à savoir la Sécurité sociale.
Propos recueillis par Pablo Pillaud-Vivien
Il y a quelques années souffrant de maux de ventre pendant une épidémie de gastroentérite je ne me suis pas alarmé outre mesure, mais les douleurs s’accentuant durant la nuit j’ai demandé à mon épouse de m’amener aux urgences.
Bien m’en a pris, victime d’une hernie étranglée il ne me restait que quelques heures à vivre. Si j’avais attendu le lendemain il est très probable que je n’écrirais pas ce message.
Ils ont réduit le nombre de médecins, ils ont réduit le personnel soignant, ils ferment les lits d’hôpitaux, et maintenant limitent l’accès aux urgences. Ces comptables complétement endoctrinés par leurs théories néolibérales ont perdu toute raison. Se tromper est une erreur, persévérer est un crime. Ils sont en train de devenir des assassins.
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