Accueil | Par Benjamin Toix, Cyril Lecerf Maulpoix | 12 avril 2020

Révolte au centre de rétention du Mesnil-Amelot

Depuis près de deux semaines et alors que la crise du Covid-19 s’amplifie, les retenus des centres de rétention administratifs alertent sur les risques que leur font encourir des conditions d’enfermement dégradées et se mobilisent contre la multiplication des violences. Samedi soir, entre 60 et 80 retenus de différents bâtiments du CRA du Mesnil-Amelot ont dormi dans la cour afin de dénoncer des conditions sanitaires « pires qu’en prison ».

Vos réactions (1)
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Mise à jour (13/04) : La contestation et l’inquiétude s’étendent dans les centres de rétention français. À LIRE ICI.

 

Les tensions montent au sein des centres de rétention administrative (CRA) restés ouverts depuis le début de l’épidémie. Ce samedi 11 avril, plusieurs enregistrements à l’intérieur de CRA du Mesnil-Amelot, diffusés sur Paris Luttes Infos et le site A bas les Cras, témoignent du calvaire et des protestations des personnes toujours retenues.

 

LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>>
Torture dans les centres rétention français : une impunité d’Etat ?
>> Violences policières et grève de la faim au centre de rétention de Vincennes

 

Régulièrement dénoncées dans ces colonnes, les conditions d’enfermement et l’insalubrité semblent avoir empiré depuis l’annonce du confinement. « On ne peut pas dormir ou prendre de douches depuis plusieurs jours, c’est trop sale et ça pue » confie, la gorge serrée, le producteur roumain Gabriel Alexandrescu. Vivant en France depuis 25 ans, marié et père de deux enfants, il a été arrêté mardi dernier lors d’un contrôle de police.

Il dénonce également l’absence de dispositions spécifiques dans le contexte de l’épidémie. A ce jour, aucune des entrées et sorties des personnes, dont les fonctionnaires de police, n’est soumise à dépistage. « J’ai été amené directement du commissariat au centre de rétention, sans aucune visite de précaution » déplore Gabriel. « Pour les repas, certains se déroulent à 15 dans des salles au coude à coude ».

Plusieurs cas de personnes présentant des symptômes ont été rapportés, dont certaines libérées après deux jours, « par nécessité » nous dit-on. Plusieurs autres présentaient aujourd’hui des maux de tête selon les retenus. Elles seraient parvenues à obtenir un rendez-vous auprès d’une infirmière du centre suite aux pressions exercées. Hier, dans la soirée, le directeur de l’établissement continuait cependant d’affirmer « qu’il n’y avait aucun risque » face à leurs protestations.

Intervention des forces de police malgré une manifestation pacifique

Ce matin, les forces policières se sont rassemblées devant le centre de rétention. Si certains retenus avaient décidé de rejoindre la cour des bâtiments des femmes et des familles pour être plus visibles, tous réaffirmaient cependant un principe à leur action déjà énoncé hier dans divers enregistrements : « Pas de violences envers les flics ». Assis par terre au début de l’opération policière, ils ont néanmoins été violemment rassemblés, frappés pour certains, et poussés à terre. Injoignables depuis le début de la journée, leurs portables ont été confisqués. Sept d’entre eux, identifiés comme des porte-parole, auraient été menottés, arrêtés puis probablement emmenés en garde-à-vue.

Ces protestations interviennent dans un contexte particulièrement problématique concernant les conditions d’enfermement des personnes retenues. Face au risque accru de contamination, la colère et le constat désabusé d’un abandon des pouvoirs publics s’ajoutent à celui des mauvais traitements désormais monnaie courante dans de nombreux centres. L’épidémie ne peut alors qu’exacerber les tensions qui grondent depuis plusieurs années. La confirmation, le 9 avril, d’un cas de Covid-19 à Vincennes survient alors que plusieurs grèves de la faim y ont émaillé le mois de mars pour exiger des libérations immédiates et l’amélioration des conditions d’enfermement.

Une politique d’enfermement en CRA qui pourrait coûter cher en vies humaines

L’Etat continue, coûte que coûte, sa politique d’enfermement, quitte à tourner le dos aux requêtes des différentes autorités administratives. Dès le 16 mars dernier, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait pourtant appelé l’Etat à fermer les centres et locaux de rétention administratif constatant « une absence totale d’information de la population retenue, un hébergement collectif dans la promiscuité, le maintien de la restauration collective et un défaut complet de protection, tant de la population retenue que des fonctionnaires ».

Le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, adressait quant à lui un courrier le 19 mars au ministre de l’Intérieur pour demander la fermeture immédiate des CRA (rappelant au passage que « des enfants sont susceptibles d’être concernés par les risques sanitaires »). Quelques jours plus tard, le Conseil d’Etat rejetait la requête en référé-liberté de plusieurs associations (dont le Gisti, l’Adde, la Cimade) argumentant en faveur d’une fermeture temporaire des centres de rétention. Ce sont donc aux juges des libertés et aux tribunaux administratifs qu’est revenue la tâche de répondre aux nombreuses demandes de remise en libertés portés par les associations. Si le nombre de retenus a ainsi considérablement diminué courant mars (152 au 27 mars 2020 selon le Conseil d’Etat), les juges semblent désormais considérer les risques de contamination réduits et le nombre repartirait à la hausse.

Reprise des placements en centre de rétention malgré l’épidémie

L’arrestation et le placement en rétention du producteur Gabriel Alexandrescu témoigne ainsi d’une reprise des placements en rétention dans un contexte d’épidémie propice aux arrestations arbitraires et à la multiplication des contrôles d’identité. La préfecture continue par ailleurs d’y envoyer les sortants de prison. Le photographe indépendant Nnoman diffusait ce matin sur les réseaux un témoignage du centre d’un détenu sans-papiers, libéré de la maison d’arrêt de Fleury-Merogis pour être ensuite directement emmené, poignets menottés, au Mesnil-Amelot.

Ces placements et maintiens en rétention sont d’autant plus aberrants qu’ils interviennent après l’annonce d’un arrêt des expulsions jusqu’à septembre.
Même si là encore, il est permis de douter de la véracité des déclarations officielles, une dizaine d’expulsions survenues courant mars ont ainsi été rapportées par le site infomigrants.

Ce soir, un appel lancé par le collectif A bas les CRA ! invite à saturer les boîtes mails des préfectures et à appeler régulièrement l’administration du CRA du Mesnil-Amelot car la situation hautement tendue sur place risque encore de se détériorer dans les jours à venir.

 

Benjamin Toix et Cyril Lecerf Maulpoix

MISE À JOUR.

La contestation et l’inquiétude s’étendent dans les centres de rétention français

VINCENNES

Trois jours après la première contamination jeudi 9 avril, un quatrième cas de Covid-19 a été confirmé dimanche au CRA de Vincennes et fait craindre une contamination beaucoup plus étendue en raison de la promiscuité des retenus. Des enregistrements de la soirée de dimanche à l’intérieur du CRA, mis en ligne par le collectif Sôs, rendent compte de l’inquiétude et de la colère des personnes en rétention : « C’est tous les jours un nouveau cas ! Qu’ils nous libèrent ou qu’ils nous renvoient au bled, mais on veut pas mourir ici. »

Les forces de l’ordre auraient refusé de transférer le retenu vers l’hôpital malgré ses difficultés respiratoires, repoussant sa prise en charge à mardi. « Il tombait, n’avait plus de goût à la cantine depuis plusieurs jours », constate un de ses co-retenu. Face à cette situation, les retenus du bâtiment 2A ont bloqués la promenade dans la soirée de dimanche pour exiger son évacuation par ambulance et leur libération immédiate. Après des heures de tensions, le malade a été évacué vers l’hôpital.

AU MESNIL-AMELOT, « LA DESHUMANISATION LA PLUS TOTALE »

Lundi après-midi, la visite des élus LFI Eric Coquerel et Pascal Troadec au CRA du Mesnil-Amelot est venue confirmer les constats des autorités administratives depuis le début du confinement. Malgré le nombre réduit de retenus (45 au moment de la visite), les deux élus ont constaté l’absence de protection pour les retenus et le personnel du centre : salle TV collective, impossibilité de cantiner, jusqu’à trois retenus dans certaines cellules (contre un officiellement). En l’absence de possibilité d’acheter de l’eau, les retenus sont contraints de se partager deux robinets à pression. Dans ces conditions, les masques apportés ont été chaleureusement accueillis par les retenus comme les fonctionnaires de police. Les conditions d’hygiène apparaissent encore plus préoccupantes. « L’état des sanitaires est déplorable, avec des toilettes qui débordent alors qu’on sait maintenant que le virus reste très actif dans les selles pendant plusieurs semaines », s’inquiète M. Troadec. D’autant plus que l’entretien se ferait sans produit javélisé. Enfin, il semble permis de douter de la réalité de l’accès aux soins pour les retenus : « Officiellement, il y a un médecin pour consultations sur rendez-vous le matin, et l’infirmerie est accessible l’après-midi. Mais plusieurs retenus malades, notamment du foie et d’une rémission de cancer, disent n’avoir pas eu accès à des soins depuis plusieurs jours. »

Au cours de la visite, les élus ont constaté des symptômes semblables à ceux du Covid19 chez trois retenus. « Le virus circule, c’est une certitude. Quel impact humain il aura, ça c’est la roulette russe. Mais ces personnes sortent de prison et ont pour certaines des conditions médicales qui les rendent plus vulnérables… »

TRANSFERTS

Plus tôt dans la journée, huit des retenus du CRA du Mesnil-Amelot identifiés ou suspectés d’avoir communiqué des informations à l’extérieur dans la soirée de samedi ont été transférés vers d’autres CRA : trois à Oissel et cinq à Lille. Joint par téléphone, l’un des trois transférés à Oissel témoigne d’un transfert violent : « J’ai reçu des coups de pied, un coup de bouclier, puis j’ai été menotté de 11h à 17h. Un autre a carrément été casqué, ses pieds maintenus par des scratchs. Il ne pouvait même plus s’asseoir. » À son arrivée à Oissel, il se trouve démuni : « Je n’ai pas de linge, pas d’argent, pas de papier. Même pas de quoi me changer. » Après son transfert, les fonctionnaires de police du CRA du Mesnil-Amelot auraient refusé de récupérer ses affaires, rassemblées par ses anciens co-retenus.

À Oissel, les retenus transférés depuis le Mesnil-Amelot ont immédiatement rejoint une grève de la fin démarrée dimanche soir pour exiger leurs libérations immédiates. « Tout le monde est en grève, à l’exception de deux retenus qui mangent le strict minimum pour des raisons médicales. L’administration nous propose des petites bouteilles d’eau. » Les retenus craignent de nouveaux transferts : « On est deux par cellules, mais ça va augmenter. Il y a une arrivée prévue en fin de journée [lundi, NDLR] et on craint que ça se remplisse de plus en plus. »

 

B. T. et C. L. M.

Vos réactions (1)
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Vos réactions

  • c’est inadmissible de voir ce qui se passe dans ce centre
    bon courage à ceux qui peuvent les joindre
    et ceux qui sont dans ce centre AMD

    dureux Le 14 avril 2020 à 07:05
  •  
Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.