The Godfather: Part III (1990)
Accueil | Par Loïc Le Clerc | 9 mars 2021

Sondage sur les jeunes et la laïcité : l’Ifop, Marianne et Causeur en PLS

Ah ! cette jeunesse... Sondage après sondage, elle récuse, elle refuse, elle s’indigne et désormais la voilà qui tient une lecture trop « littérale de la laïcité fixée par la loi de 1905 ». Plus républicaine que la République. Tout part à vau-l’eau !

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« "Droit au blasphème", laïcité, liberté d’enseignement… les lycéens d’aujourd’hui sont-ils "Paty" ? » Tel est l’intitulé du sondage Ifop, publié le 3 mars dernier, commandé par la Licra. Passons sur cette façon étrange de donner corps aux événements sous l’expression « Je suis… », l’épisode Charlie avait déjà démontré les limites d’un soutien indéfectible dénué de profondeur de réflexion.

 

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Que montre le sondage ?

1/ 44% des lycéens se déclarent « non religieux » et 27% « athée convaincu » – soit plus de 70% des lycéens qui affirment n’avoir aucun lien avec la religion.

2/ Une majorité de lycéens sont favorables au port de signes religieux ostensibles par les parents d’élèves accompagnant bénévolement les élèves lors d’une sortie scolaire (57%), par les lycéens (52%), par les collégiens (50%) et par les agents des services publics (49%).

3/ À la question « Pour vous, le principe de laïcité, c’est avant tout…  », les lycéens répondent à 29% « Mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », à 27% « Assurer la liberté de conscience » et « Séparer les religions et la politique », et à 11% « Faire reculer l’influence des religions dans notre société ».

4/ Sur le « droit au blasphème » – qui n’existe pas dans le droit français puisque la loi de 1881 sur la liberté de la presse abolit le délit de blasphème, mais il serait inconcevable qu’une République laïque créé un droit qui reconnaîtrait l’idée même de blasphème –, à la question « Êtes-vous favorable à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux ? », les lycéens rétorquent : plutôt pas favorable à hauteur de 31% et pas du tout favorable à 21%.

5/ À la question de savoir si Samuel Paty a eu raison ou tort de montrer des caricatures de Mahomet, 61% des lycéens pensent qu’il a eu raison.

6/ 84% des lycéens condamnent totalement les auteurs des attentats de janvier 2015.

Ce qu’ils en disent

Dis-moi comment tu comprends un sondage et je te dirai qui tu es. C’est aussi ça la magie des sondages, on peut leur faire dire à peu près tout ce qu’on veut. Voyez plutôt ce que Marianne ou Causeur, entre autres, en ont tiré comme conclusions…

Avant toute chose, il faut lire le commentaire de François Kraus, directeur du pôle « politique/actualités » au Département Opinion de l’Ifop, dans le magazine de la Licra Droit de Vivre. Tout d’abord, il trouve que « la population scolarisée dans le second cycle du second degré apparaît imprégnée d’une vision très "inclusive" de la laïcité ». Mais il en faudra plus pour que Caroline Fourest retire son tweet où elle accuse Slate d’« enterrer 150 ans de combats progressistes » en usant de l’adjectif « inclusive »... François Kraus continue : « Ces jeunes, et tout particulièrement les lycéens musulmans et/ou scolarisés dans les zones d’éducation prioritaire (REP), se distinguent aussi par leur hostilité à toute critique susceptible de heurter la susceptibilité des minorités. » Que dire de cette phrase tant elle contient d’informations sur son auteur ? D’abord, on pourrait s’étonner de la grande facilité avec laquelle ces sondages dissèquent les citoyens français selon leurs religions. Ne sont-ce pas des chantres de la bataille contre les quotas, les statistiques ethniques ou toute autre forme de listing des moindres dénominateurs ? Visiblement, l’islam fait ici figure d’exception à la règle. Que pensent les juifs ou les protestants de tout ça ? OSEF [1]. Ensuite, quel est donc cet amalgame entre musulmans et lycéens scolarisés en REP (réseaux d’éducation prioritaire) ? Partageraient-ils la même vision du monde ? Les lycéens des quartiers sont-ils tous des pseudo-musulmans ? Enfin, il faudrait psychanalyser l’emploi de l’expression « susceptibilité des minorités ».

Sur les signes religieux ostensibles :

La conclusion de François Kraus se résume de la sorte : « Des jeunes majoritairement favorables au port du voile dans les lycées ». Parce que, c’est une évidence, il n’est ici question que de voile, finalement. Ah non, il est aussi question du port du burkini à un moment…

Sur le principe de laïcité :

François Kraus, encore : « Pour les lycéens, la laïcité constitue avant tout un cadre juridique destiné à assurer la séparation du religieux du politique, la liberté de conscience et l’égalité entre les religions. Contrairement à leurs aînés, ils ne l’associent pas à une forme d’anticléricalisme. » C’est donc toujours la même histoire. Voyez ce que nous écrivions en décembre 2020, alors que Marianne commandait un sondage sur les jeunes : « Grands dieux, les jeunes savent lire ! Ils ont lu la Constitution, qui assure "l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction [...] de religion", et ils ont compris ce qu’était la laïcité : l’égalité. Puis ils ont lu la loi de 1905, laquelle proclame la "liberté de conscience", et ils ont compris ce qu’était la séparation des Églises et de l’État : la liberté. » François Kraus jugerait-il la loi de 1905 comme ayant une « vision assez minimaliste de la laïcité », comme il juge cette jeunesse française ? Et de leur reprocher une « lecture littérale de la laïcité fixée par la loi de 1905 [qui] va de pair avec une faible politisation du concept »… Tout est dit.

« Les accusations de "musulmanophobie" portées depuis des années envers les lois associées (1905, 2004) ou apparentées (2010) à la laïcité n’en imprègnent pas moins fortement les représentations que se font les jeunes de ces dispositifs législatifs. [...] Sans être encore majoritaire, l’étiquette diffamante d’"islamophobie" colle ainsi à ces grandes lois au point qu’un nombre élevé de lycéens (37%) les jugent désormais discriminatoires envers les musulmans », écrit François Kraus. Or, il n’a jamais été demandé aux lycéens s’ils jugent la loi de 1905 discriminatoire, dans le sondage il est question des « différentes lois qui encadrent la place des religions et l’application de la laïcité en France ». Ainsi, si un lycéen juge discriminatoire l’interdiction des signes religieux à l’école, il tombe dans la même case que s’il jugeait la loi de 1905 discriminatoire. La contorsion est un peu facile.

Marianne voit « chez les jeunes, une laïcité "à l’américaine" de plus en plus populaire ». Ainsi, le fait que les lycéens définissent majoritairement la laïcité comme un principe permettant avant tout de « mettre toutes les religions sur un plan d’égalité » est jugé « lénifiant ». Le Point ne s’embête pas avec les nuances, titrant « Les lycéens rejettent majoritairement la "laïcité à la française" ». François Kraus s’épanche d’ailleurs dans l’hebdomadaire : « C’est la victoire d’une vision anglo-saxonne ou même islamiste des choses. »

Sur le « droit au blasphème » :

Passons sur le moment où l’auteur de l’étude avance que le droit au blasphème est un « droit acquis depuis plus d’un siècle (1881) ». Encore une fois, la suppression d’un interdit n’est pas égale à la création d’un droit nouveau. Mais pour Causeur, ça va encore plus loin : « Les jeunes d’aujourd’hui favorisent la répression du blasphème ». Ils sont alors qualifiés d’« ayatollahs en puissance » qui, s’ils « ne sont pas partis pour la Syrie », « sont prêts au jihad intérieur ».

Conclusion de François Kraus : le grand remplacement nous guette et l’oncle Sam a perverti les esprits des jeunes. À Sud Radio, on s’inquiète du fait que « les lycéens issus de minorités (perçus comme non-blancs…) pensent tendanciellement comme les musulmans ». Même analyse côté Causeur : « Le pire, c’est qu’ils ont contaminé, par diverses pressions, les jeunes non-musulmans, qui approuvent désormais l’indignation des disciples de la religion de paix et d’amour dans leur croisade contre la liberté de parole et la laïcité. » En d’autres termes : l’ennemi, c’est l’autre. Il vient de l’étranger. Vermines contagieuses. Ils viennent jusque dans vos bras. Égorger vos fils, vos compagnes.

Ce qu’ils ne disent pas

Les oublis d’analyse en disent parfois long. Ainsi, de tout ce beau monde précédemment cité, voici ce dont ils ne parlent pas dans les résultats du sondage :

  • 83% des lycéens sont favorables « au développement de cours sur les valeurs de la République et la laïcité donnant lieu à une épreuve obligatoire au brevet des collèges ».
  • 62% des lycéens jugent que la laïcité est avant tout un concept moderne.

Un conflit générationnel ?

François Kraus constate un « très net clivage générationnel sur la question des tenues religieuses dans l’espace scolaire, mais aussi un clivage entre les lycéens musulmans et les autres ». Distinguer les Français selon leur religion, vous l’avez compris, c’est sa grande passion. Mais c’est le premier point qui nous intéresse ici. Quel est donc ce « très net clivage générationnel » dont il parle – Mario Stasi, président de la Licra, évoque lui une « rupture générationnelle sur la question de la religion » – ?

Le grand point de clivage entre les jeunes et le reste de la population que met en lumière ce sondage concerne l’idée que l’on se fait de la laïcité. Là où les lycéens y voient un outil pour « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », l’ensemble des Français l’envisage principalement pour « faire reculer l’influence des religions dans notre société ».

Il y a aussi le port de signes religieux ostensibles, pour lequel l’ensemble des Français est plutôt opposé.

Mais le clivage, la rupture, s’arrête là. Au fond, ce n’est pas le grand soir islamo-gauchiste. Même si cette réflexion d’Éric Fassin vaut le coup d’être mentionnée : « Ces jeunes réclament l’égalité pour les religions. Ça ne veut pas dire les reconnaître toutes, mais ça veut dire n’en discriminer aucune. Pourquoi s’étonne-t-on que les "jeunes" soient fidèles à la définition de 1905 ? Pourquoi ne s’interroge-t-on pas sur ce qui a fait que les "vieux" se sont éloignés de la loi de 1905 ? Ce ne sont pas les "jeunes" qui se sont éloignés de la laïcité, mais bien les "vieux". On s’aperçoit que les jeunes sont beaucoup plus du côté de la laïcité, c’est-à-dire qu’ils ne pensent pas à une religion en particulier, mais aux religions en général, alors que les "vieux" pensent beaucoup plus à une religion en particulier, et c’est l’islam. »

 

Loïc Le Clerc

Notes

[1On S’En Fout.

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