Les « indigènes » commencent progressivement à fonder des sociétés sportives autonomes à partir des années 1920. L’historien Youssef Fates explique ainsi que « le stade est l’espace d’apparition des prémisses de l’emblème de l’Etat algérien » . Le foot amateur représenta donc un irremplaçable espace de conscientisation nationale. En 1958 pourtant, certains pros d’origine algérienne sont présélectionnés, tel le célèbre Rachid Mekhloufi, afin de se rendre en Suède pour la Coupe du monde, aux côtés des Kopa et autres Fontaine. Mohammed Boumerzag décide alors de monter une sélection nationale « anticipée » , afin d’épauler un GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) dans sa quête de reconnaissance internationale. Le FLN fanfaronne depuis Tunis : « En patriotes conséquents, plaçant l’indépendance de la patrie au-dessus de tout, nos footballeurs ont ainsi tenu à donner à la jeunesse algérienne une preuve de droiture, de courage et de désintéressement. » Au total, entre 1958 et 1960, 30 professionnels s’exfiltrèrent de France, prenant le risque de sacrifier leur carrière. Ils disputèrent 58 matchs (44 victoires), essentiellement en Europe de l’Est et dans les pays arabes, malgré les menaces de sanctions en retour de la FIFA. Désormais, l’Algérie n’est plus seulement une cause, c’est un pays ! Après l’indépendance, Rachid Mekhloufi retourne à Saint-Étienne retrouver un public qui a déjà tout oublié. La France a perdu l’Algérie, mais toujours pas ses meilleurs footballeurs.
Les nations qui luttent pour leur reconnaissance ou pour leur indépendance projettent depuis toujours et inévitablement leur combat dans la sphère du football. La vague de décolonisation ne démentit pas ce rite de passage. Cette ruée vers Zurich (siège de la FIFA) s’est de nouveau manifestée avec la fin de l’URSS (et la naissance de l’Ukraine ou de l’Arménie), ou en ex-Yougoslavie, dans des circonstances tragiques, puisque le foot constitua un puissant amplificateur du réveil des nationalismes. Car si la FIFA concède, dès sa prime jeunesse, la prévalence absolue au principe étatique, elle se reconnaît aussi une certaine marge de manœuvre. Ne compte-t-elle pas davantage de membres que l’ONU ? Ainsi, la Nouvelle-Calédonie fut agréée en 2004 au sein de l’Oceania Football Confederation, tout comme Tahiti, inscrite en nom propre, depuis 1990.
Les Palestiniens ont également utilisé le football pour marquer leur volonté nationale, aussi bien auprès de leur peuple que de l’opinion mondiale (le foot attire les caméras). Si des équipes furent mises en scène dès les années 1960 pour représenter la Palestine sur les stades, si l’OLP organisa des déplacements en France dès 1982, avec le concours de la FSGT, la FIFA ne valida l’existence de ce peuple qu’en 1998, via le purgatoire d’une Autorité. Le paradis attend toujours...
2001 vit de la sorte la naissance du NF Board, entre autres par Luc Misson, avocat de Bosman, et Mickaël Nybrandt, un Danois initiateur de la sélection du Tibet. Ouverte aux équipes rejetées par la FIFA (soit, pour l’instant, le Sahara occidental, Monaco, Laponie, Chypre Nord, Tibet, Somaliland, Moluques du Sud, Basse-Saxe du Sud, Chagos, Romanie-nations tziganes, Tchétchénie, Occitanie, Sealand, Zanzibar). Tentative étrange de contourner les rapports de force géopolitiques, jusqu’au cocasse quasi tragique, comme lors de ce Monaco-Tibet joué pendant que le prince Albert votait pour l’attribution des JO de 2008 à Pékin. N.K.
Paru dans Regards n°53, été 2008