//« L’écriture, l’art, consistent pour moi à embrasser l’être d’un même regard, du plus petit au plus grand, pour instaurer une autre façon d’être ensemble. Sortir du rapport de force et de domination pour entrer dans un rapport d’amour où l’autre est la condition même de mon existence : Seyhmus Dagtekin, poète et romancier, venu au monde et élevé dans un village kurde en Turquie. Né au français après ses 20 ans, en 1987, il eut le prix Mallarmé 2007, un des prix de poésie les plus prestigieux, pour son volume Juste un pont sans feu. Au fond de ma barque est écrit en résidence à Rochefort-sur-Loire. Eau, nature, mère-mer, un certain « Surréalisme romantique » flattent le souvenir de l’école poétique de Rochefort, mais le poète ne condamne jamais d’autres portes : images, sons, oralité de sa propre langue donnent les contours de cette incursion dans le « nulle part de (sa) barque , triste comme un exil, joyeuse comme une découverte, « Pendant que la terre brûle/ Et que tu trembles avec ta mémoire/ Dans l’heure qui se fait/ Pour renommer ce qui bouge »//.
« Tu regarderas le monde/ Comme autant de mortes nuits » : la respiration des grands romantiques français et, surplombant la mélancolie répandue « dans les sables mouvants de la langue » , la peur de « cette vieillesse du mot qui me/ guette à la fin de chaque phrase » ... Etrangement, ce « mot vieux » rédige un être-poète d’une fraîcheur et d’une jeunesse revigorantes.
« A sarcler la langue/ Jusqu’à la fin de la terre/ jusqu’à l’épuisement de la mère/ Jusqu’à ce que sol se fasse sel/ et disparaisse/ par le trou d’un rêve » . Seyhmus Dagtekin trouve le pont entre les langues dans son propre langage, qui le mène vers l’autre par ce miraculeux don d’un sorcier ou d’un derviche tourneur.
Julia Moldoveanu
Seyhmus Dagtekin , Au fond de ma barque , le dé bleu/L’Idée bleue, Centre poétique de
Rochefort-sur-Loire, 12 euros
A lire aussi : Les Chemins du nocturne et Juste un pont , édités par le Castor astral.