Anita Mathieu (1) . Les Rencontres sont nées du concours de Bagnolet créé en 1968. Les compétitions se déroulaient dans des conditions sympathiques et bordéliques qui n’auraient plus l’adhésion des chorégraphes aujourd’hui. Les compagnies passaient dix minutes, les lumières et les décors étaient quasi inexistants. Ce concours a permis l’émergence dans les années 1980 de beaucoup de chorégraphes français comme François Verret, Jean-Claude Gallotta, Philippe Découflé, Mathilde Monnier, Dominique Bagouet, Maguy Marin... Certains dirigent maintenant des centres nationaux. Mais beaucoup d’autres ont totalement disparu. Puis, les artistes français n’ont plus voulu participer au concours. A un moment donné, ils ont rejeté le système de la compétition et ses implications : on leur demandait de comprimer leur pièce pour qu’elle rentre dans le format exigé. Le concours a donc été remplacé par des rencontres. Quand je suis arrivée, j’ai réussi à convaincre les politiques qu’il fallait rendre annuel le festival - mais je n’ai pas obtenu plus d’argent ! J’ai aussi renforcé le soutien à la création, en introduisant la notion de coproduction. Nous avons intégré le travail des artistes dans le tissu social en leur proposant d’intervenir sur des thèmes précis auprès des lycées, des collèges et des universités. C’est très important qu’un artiste ne vienne pas montrer son travail pour repartir aussitôt. On essaie d’organiser des temps de rencontre, de dialogue avec les populations. Le problème, c’est que l’Education nationale ne prend pas toute la mesure de l’urgence de ces interventions, qui permettent pourtant la mise en relation des œuvres avec les spectateurs. Elle se désengage de plus en plus : les budgets ont été réduits de 50 %. La Culture et l’éducation nationale devraient fonctionner d’un bloc. Or, c’est loin d’être le cas.
Comment se pose la question du public au niveau de vos choix ?
Anita Mathieu. La question du sens est très importante dans mon repérage. C’est elle qui permet l’aller-retour, le point de contact, entre les œuvres et le public. La danse contemporaine questionne des préoccupations qui recouvrent nos sociétés. Je n’ai jamais voulu inscrire de thématique au programme des Rencontres, mais il y a toujours un fil secret qui réunit les artistes. Le monde d’aujourd’hui est marqué par des séismes qui traversent leurs œuvres. Leur histoire, personnelle, sociale, les pousse à interroger l’individualité, le sujet intime et collectif. C’est cette friction qui m’intéresse. A côté d’images d’une extrême gravité, certains peuvent faire preuve de dérision, de légèreté. Mais plusieurs élus du département - les socialistes, les Verts et le mouvement des citoyens - voudraient qu’on ne montre que des spectacles distrayants. Pour moi, cela n’a aucun sens. Je cherche à donner accès à des propositions qui enrichissent le public et soulèvent des questions.
Pourquoi ces réticences ?
Anita Mathieu. Les élus sont sans doute désarmés devant les écritures contemporaines. Le hip-hop les rassure parce qu’il favorise de grandes jauges, il suscite des enthousiasmes collectifs. Je suis pour une pluralité, je ne me contente pas de pièces alibis, expressions des banlieues ou du métissage. Il faut amener les gens à s’emparer d’autres formes, d’autres écritures, d’autres paysages artistiques, en faisant un travail d’explication, de transmission.
/(1) Anita Mathieu est directrice des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis./
/Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis se déroulent du mardi 2 au dimanche 28 mai 2006./
/Renseignements et réservations : 01 55 82 08 01/