Accueil > N° 70 - avril 2010 | Par Clémentine Autain, Emmanuelle Cosse, Sophie Courval | 7 avril 2010

Printemps social. Défendre les retraites (1)

Il y a 25 ans, le gouvernement de Pierre Mauroy portait la retraite à 60 ans. Aujourd’hui, on touche à l’un des piliers du modèle social français au moment même où le taux de chômage est endémique et concerne surtout les plus de 50 ans. Réaffirmé au lendemain de la débâcle de la droite aux régionales, le projet de contre-réforme du système des retraites s’annonce difficile pour les salariés. La gauche et les syndicats arriveront-ils à tenir un front commun et à gagner cette bataille ?

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En 2009, il avait dit que tout serait réglé fin juillet 2010. Puis début septembre. Finalement, le président de la République, qui a assuré au lendemain des élections régionales que la réforme du système des retraites serait bien conduite, ne donne plus aucun calendrier. A l’issue du scrutin régional, le ministre en charge du « dossier » sera Eric Woerth, et non plus Xavier Darcos dont le score en Aquitaine a frisé l’humiliation.

Reculs

En attendant d’en savoir plus sur la stratégie gouvernementale des six prochains mois, revenons déjà sur la stratégie de communication, qui prévaut depuis quelques années, fondée sur l’affolement et la fatalité (1). A droite, on n’a pas peur de crier au loup. François Fillon estimait fin janvier dans Le Figaro que si rien n’était fait, le système accuserait un déficit de l’ordre de « 100 milliards d’euros en 2050 » , sans jamais préciser ses sources. D’autres prévisions macroéconomiques estiment que les besoins annuels de financement des régimes atteindraient plutôt 68,8 milliards d’euros en 2050. Le Medef a renchéri, remettant en cause les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR). Ce dernier a en effet établi trois scénarios plus ou moins optimistes sur la situation de l’emploi en 2020, qui iraient de 4,5 % à 7 % de chômage et une croissance de la productivité de 1,8 % à 1,5 %, pour estimer les besoins de financement à venir. Même le schéma le plus pessimiste n’a pas convaincu le Medef, qui le juge irréaliste et a préféré une autre hypothèse, de 7 % de chômage et une croissance de la productivité de 1,2 %. Objectif : étayer l’hypothèse d’un report de l’âge légal du départ à la retraire et d’une baisse des pensions « inéluctable ». La complicité d’une partie de la gauche, qui a validé les présupposés idéologiques (« le système court à sa perte », « cette réforme est incontournable mais il manque la concertation », etc.) alimente ces reculs. Si les trois dernières réformes, en 1993, 2003 et 2007 : toutes contestées : n’ont pas allongé l’âge de départ légal à la retraite, le nombre d’annuités de cotisation n’a cessé d’augmenter : on est passé de 37,5 à 41 ans, en sachant qu’aujourd’hui, on augmente d’un trimestre par an. L’état des lieux n’est pas glorieux : en dix ans, le niveau de la retraite par rapport au salaire (taux de remplacement) a baissé de 10 points ; on compte aujourd’hui 11 % de retraités pauvres de plus de 65 ans ; le minimum vieillesse donne droit à 599 euros mensuels pour une personne seule et le montant moyen de la pension de retraite s’élève à 1 044 euros ; les cadres ont une espérance de vie totale supérieure de

5,7 ans à celle des ouvriers ; et le déficit des caisses est de 10 milliards pour 2010.

Faible emploi des seniors

Pourtant, les quelques éléments déjà livrés par les organisations patronales visent toutes à remettre en cause les acquis actuels, et donc à détériorer plus encore la situation. Faillite du capitalisme aidant, il est aujourd’hui difficile de continuer à « vendre » le système par capitalisation comme la solution miracle. La crise est passée par là, et l’effondrement des pensions dans un grand nombre de pays aussi (2). Comme le souligne Michel Husson, la bonne réforme à mener est celle qui prendra réellement en compte la situation du marché du travail. Près de 60 % des personnes qui font valoir leurs droits à la retraite ne sont plus en situation d’emploi. « Donc, si on allonge la durée de cotisation tout en sachant que les gens ne pourront pas travailler, ils partiront plus tard et avec des pensions plus basses » (3). Or, pour le moment, on préfère ignorer la réalité du faible emploi des seniors et des jeunes... De nombreuses solutions, y compris à court terme, existent (lire l’entretien avec Jean-Christophe Le Duigou, page 8) , telles que l’inclusion des revenus financiers dans les cotisations ou l’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble des rémunérations (épargne salariale, primes, stock options). Il faudrait surtout stopper l’exonération des charges qui appauvrit les caisses de l’Etat. Plus généralement, c’est autour du montant des cotisations retraite, donc des ressources et pas des dépenses, que se trouvent les alternatives. Déjà en 2001, le COR avait émis une troisième hypothèse jamais étudiée sérieusement : « Ne pas allonger la durée de cotisation, ne pas baisser le montant des retraites, mais augmenter de 15 points le montant des cotisations retraite entre 2003 et 2040. » Comme l’affirment Leila Chaibi, Gérard Filoche et Willy Pelletier, « c’est la discussion qu’il faut imposer au Medef et au gouvernement » (4).

Une lutte transversale

C’est pour cela que la Fondation Copernic et Attac ont décidé d’œuvrer ensemble en faveur d’une mobilisation générale sur les retraites. « Cette question est assez identitaire chez nous (5), rappelle Pierre Khalfa, membre du conseil scientifique d’Attac et porte-parole de Solidaires. Au départ d’Attac, il y avait la bataille contre le financement des fonds de pension. Dans ce cadre-là, on avait critiqué le gouvernement Jospin quand il avait défendu le développement de l’épargne salariale et les fonds de réserve. Ensuite, dans le cadre de la préparation de 2003, nous avons organisé une centaine de réunions publiques, avec les comités locaux d’Attac. » D’ici à la mi-avril, Attac et Copernic vont donc lancer un appel réunissant syndicalistes, personnalités politiques, associatives, intellectuels, etc. Au même titre que ce qui avait pu être construit au moment du TCE, Attac et Copernic veulent construire une lutte transversale. « Notre objectif est de déconstruire le discours dominant, poursuit Pierre Khalfa. C’est sur cette base-là que nous souhaitons lancer un processus de mobilisation citoyenne, au-delà des luttes organisées par les syndicats. C’est bien pour cela qu’il faut avoir des militants armés pour mener la formation interne. Les choses peuvent bouger d’ici la présentation d’un projet de loi en septembre. » L’enjeu majeur est d’étendre ce combat au-delà des syndicats. « Ce sujet concerne essentiellement le mouvement syndical et cela peut être un risque, notamment en cas de désaccord au sein de l’intersyndicale. » Ce qui est le cas aujourd’hui. Les dissensions sont fortes en son sein, tant sur la stratégie à adopter que sur les solutions à promouvoir. Il n’est pas facile de mobiliser le monde intellectuel et associatif sur ce sujet. Et beaucoup d’acteurs politiques ont tendance : et intérêt ? : à vouloir réduire cette réforme à une confrontation Medef-syndicats. D’ailleurs, que feront les partis de gauche ? Le Front de gauche, le NPA et les Verts seront signataires de l’appel. Il y a peu, ces forces se sont également retrouvées, avec quelques autres comme la Fase, à l’invitation du NPA, pour adopter une stratégie commune sur la question. Mais l’attitude du PS, revigoré avec le résultat des régionales, est encore inconnue. Les prises de position de Martine Aubry en faveur de l’allongement de la durée du travail, même si elle est ensuite revenue dessus, ne sont pas rassurantes.

Retraite, salaire socialisé

Il est temps de prendre à bras-le-corps le sujet, pour le poser en des termes différents. Les retraites versées à un moment donné sont une part de la richesse produite à ce même moment. La proportion des retraités va augmenter dans les années à venir, notamment en raison de l’allongement de la vie : personne ne le conteste. La question est donc de savoir quelle part de notre valeur ajoutée nous décidons collectivement de consacrer aux revenus des retraités. En 1950, cette proportion s’élevait à 5 % du PIB. Aujourd’hui, elle atteint 12,5 %. Depuis 1950, ce sont donc 7 points de PIB en plus pour les retraites ! Nous avons réussi à l’assumer, sans chaos. Pourquoi demain, ne pourrions-nous pas imaginer un nouvel effort de ce type ? La productivité ne cesse de croître, plaidant pour une diminution du temps de travail. Encore faut-il que cette productivité aille aux salaires, et non à la rémunération du capital. La retraite est une forme de salaire socialisé : augmenter la rémunération du travail est le meilleur moyen de garantir la pérennisation de notre système. L’effort à fournir se justifie d’autant plus que les retraités effectuent en réalité de nombreuses tâches utiles socialement et non faites par ailleurs, souvent là où les pouvoirs publics sont défaillants. Combien de grands-parents s’occupent des petits-enfants quand les places en crèche font défaut ? Combien de retraités font tourner le monde associatif ? Le travail invisible réalisé par des millions de retraités est une richesse. Il est logique que nous consacrions une part de notre richesse pour permettre à ces hommes et à ces femmes de vivre dignement.

E.C. et C.A.

1. Martine Bulard, « Retraites, idées fausse et vrais enjeux », Le Monde diplomatique , février 2010.

2. Regards n°60, mars 2009.

3. La Terre , entretien, n° du 9 au 15 février 2010.

4. « La retraite à 60 ans, à taux plein, est possible ! » par Leila Chaibi, Gérard Filoche, Willy Pelletier, 3 février 2010, www.fondation-copernic.org

5. Relire notamment l’appel « Pour une véritable réforme des retraites » de 2000, www.france.attac.org/spip.

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Retraites : l’inégalité entre les sexes

Souvenez-vous’ A l’occasion du vote du budget 2010 de la Sécurité sociale, le gouvernement a failli revenir sur les dispositions accordant aux femmes salariées deux ans de durée d’assurance retraite par enfant élevé. Depuis 1971, ce système appelé MDA, qui était d’inspiration nataliste, a servi à compenser pour une part les inégalités professionnelles et domestiques. Or, chacun sait combien celles-ci persistent. On compte encore 20 % d’écart de salaire entre les sexes dans le privé et les femmes consacrent globalement 2,4 fois plus de temps au travail domestique que les hommes. Mais, qu’importe cette réalité, la Cour de cassation venait justement de rendre un arrêt donnant raison à un père de famille qui a élevé seul ses enfants et réclamait le bénéfice de la majoration accordé aux mères. Et la Halde s’était prononcée dans le même sens un peu plus tôt, au nom de l’égalité. Devant le tollé suscité, le gouvernement a reculé à remettre en cause ces droits acquis pour les femmes. Il faut dire que leur retraite est infiniment plus faible et fragile que celle des hommes. Avant de partir en retraite, les femmes ont validé en moyenne 20 trimestres de durée d’assurance de moins que les hommes. En clair, elles ont beaucoup plus de difficultés à constituer une carrière complète. Trois femmes sur dix doivent attendre leurs 65 ans pour avoir le droit à une retraite complète pour seulement un homme sur 20. Au total, en 2004, les retraitées de 60 ans et plus percevaient une pension moyenne de 1 020 euros par mois, contre plus de 1 600 pour les hommes. La moitié des femmes partant à la retraite sont au minimum contributif, c’est-à-dire qu’elles touchent 590 euros par mois. Le montant des salaires et des retraites des femmes reste donc très en deçà de celui des hommes. Mais cette inégalité de masse, comment l’attaquer en justice ?

C.A.

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