Accueil > Société | Par Benoît Borrits | 3 décembre 2010

Besoin des riches ? (1) - Le riche n’est pas l’avenir de l’homme

La crise ? Pas pour tout le monde. Les millionnaires français vont très bien et sont de plus en plus nombreux. Au-delà de l’anathème , Regards a souhaité apporter des réponses constructives aux inégalités que provoque leur existence même

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Présentés comme investisseurs et créateurs d’emplois, les riches se protègent contre toute idée de redistribution. Au-delà de la déconstruction de ce mythe, ne faut-il pas questionner leur utilité-même  ?

A quoi servent les riches ? Une drôle de question qui n’aurait peut-être pas résonné avec autant de pertinence au début du quinquennat. Le riche est alors une figure triomphante et le candidat Sarkozy fait une sacrée promesse : levez-vous tôt, et vous avez quelques chances d’en être. Une fois élu, on connaît l’histoire. Sarkozy envoie des signes politiques très clairs : on peut choisir ses copains chez les patrons du CAC 40, bouffer au Fouquet’s, avoir une montre à 20 Smic... et être un élu du peuple. Ça ne te plaît pas ? «  Casse-toi pauv’ con . » Mais voilà, la machine à produire du rêve a surtout produit de la frustration.

Dans la rue, les Français l’ont encore récemment dit très vivement. Au-delà des retraites, un sentiment d’illégitimité du pouvoir s’est exprimé. Sur les banderoles, s’étalaient l’affaire Woerth-Bettencourt, le bouclier fiscal, l’injustice ressentie par les jeunes et les précaires... Dans les librairies, Le président des riches , des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot fait un carton (75 000 exemplaires vendus) tout à fait inaccoutumé pour un livre d’universitaires, tandis qu’Hervé Kempf, déjà auteur d’un remarqué Comment les riches détruisent la planète , s’apprête à sortir un ouvrage dénonçant l’oligarchie. Les sondages se suivent et se ressemblent : les Français, chaque fois qu’on leur pose la question, veulent « faire payer les riches ». Sur Internet, on rit encore des happenings du collectif Sauvons les riches, qui s’invite bruyamment au Bristol ou au Rotary club et organise de vraies fausses manifs en Loden et collier de perle. Alors faut-il sauver les riches, comme l’exige avec humour ce collectif de militants ?

Ils vont très bien merci, surtout les plus riches d’entre eux. Sur dix ans, la limite inférieure des 0,1 % des plus gros salaires a augmenté de 28 %, celle des 1 % de 11,6 % en euros constants. Les données de l’Insee sur les revenus déclarés, qui intègrent les produits financiers, nous indiquent clairement la même tendance. Au niveau mondial, en un an, 215 nouveaux milliardaires sont venus grossir le contingent des 793 déjà existants. Dans nos sociétés du CAC 40, les revenus exorbitants des dirigeants s’additionnent aux attributions de stock-options et consolident des patrimoines déjà consistants.

Un exemple parmi d’autres : le groupe LVMH. Son PDG, Bernard Arnault, non content de posséder un patrimoine estimé à plus de 27 milliards d’euros, a touché en 2009 une rémunération de 3,8 millions d’euros auxquels il faut ajouter pour 5,1 millions de stock-options. Son bras droit, Antonio Belloni, qui touche une rémunération annuelle de 5,3 millions d’euros, vient d’exercer ses stocks-options et d’empocher en une seule journée une plus-value de 18 millions d’euros.

Déconstruire leur utilité

Ces rémunérations sont décidées par les conseils d’administration. Comme l’expliquent Michel et Monique Pinçon- Charlot dans leur dernier livre, ceux des entreprises du CAC 40 se réduisent à un petit monde qui se connaît, se congratule et s’attribue de très confortables émoluments. Plus concrètement, quelques milliers de familles seulement tiendraient l’économie du pays entre leurs mains, selon le couple de sociologues. Même si les conseils d’administration sont nommés par les actionnaires, ces derniers ne prendront presque jamais le risque d’élire une direction hors de cette élite cooptée. Ils s’en remettront donc toujours à ce même cercle d’individus, leur concédant ainsi des revenus astronomiques, dans l’espoir d’obtenir un rendement du capital consistante et si possible à deux chiffres.

Cette oligarchie, qui entretient des liens étroits avec le pouvoir politique, passe régulièrement d’une structure publique à un pantouflage dans le privé et influe ainsi sur le discours politique et médiatique ambiant. En substance, « les profits d’aujourd’hui sont les investissements et les emplois d’après-demain », comme le disait Helmut Schmidt. L’adage du social démocrate allemand a pourtant pris du plomb dans l’aile. Les dividendes ont connu en France une progression phénoménale de 76 % entre 2000 et 2007. «  Les riches paient beaucoup d’impôts  », se dit-on pour se consoler. Tant que ça ? Selon l’Insee, le taux d’imposition moyen des super riches (1 % des plus hauts revenus) est de 25 %. Seuls 9 % reversent plus de 35 % de leurs revenus. C’est ainsi que Liliane Bettencourt, qui endosse encore le rôle du symbole, ne paie pas plus d’impôts d’un cadre.

Quant à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), cet impôt « confiscatoire », il est accusé de faire fuir les grandes fortunes à l’étranger. Selon la théorie libérale du ruissellement trickle-down effect ), l’enrichissement de quelques-uns a toujours un effet positif sur l’ensemble de la population puisque cet argent sera dépensé, ouvrira de nouveaux marchés et enrichira en retour l’ensemble de la population. La taxation des particuliers fortunés serait donc inefficace car l’argent prélevé aurait de toute façon été dépensé... C’est ainsi que l’on a introduit le bouclier fiscal en 2006, renforcé par Sarkozy en 2008, afin de plafonner le montant des prélèvements. Celui-ci était censé stopper les départs « massifs » de fortunes françaises à l’étranger.

Un récent rapport du Syndicat national unifié des impôts nous montre que les flux des départs à l’étranger de redevables de l’ISF représente un taux marginal, variant entre 0,13 % et 0,18 % de 2001 à 2008, et que le bouclier fiscal n’a pas diminué de façon significative ce taux. Plus intéressant, on apprend par ce rapport que la France est le troisième pays par le nombre de ses millionnaires derrière les Etats-Unis et le Japon, mais devant l’Allemagne et le Royaume-Uni (1).

Que nous apportent-ils  ?

En suivant la logique de la théorie libérale du ruissellement, que peut-on espérer du train de vie d’un super-riche ? Qu’il entraîne de facto la formation d’une mini-PME de salariés et de prestataires qui vivent à son service : les « gens de maison », les gestionnaires de fortune et autre family office , sans compter les prestataires qu’il emploie pour rénover ses nombreuses résidences et organiser diverses réceptions. Au-delà, on se rêve de le voir investir dans notre beau pays. S’il le fait, ce sera pour augmenter la taille de son patrimoine, et ses thèmes d’investissement répondront toujours à un marché solvable. En suivant la logique de cette théorie du ruissellement, ce seront encore de nouveaux produits ou services proposés à des individus qui n’en auraient pas forcément besoin et qui généralisent un règne toujours renforcé de la marchandise au détriment des besoins sociaux de la majorité de la population.

Cette dérive de la théorie du ruissellement est patente sur le terrain de l’écologie. Un exemple emblématique : le voyage dans l’espace. Très à la mode depuis que Dennis Tito s’est envoyé en l’air pour la bagatelle de 20 millions de dollars, en 2001. A sa suite, six autres touristes spatiaux ont participé à des expéditions. Au prix du ticket, le marché est un peu restreint. C’est ce qu’a compris Richard Branson de Virgin, toujours à l’affût de nouvelles opportunités, en ouvrant le marché du « low cost » des vols spatiaux. Prévu pour fonctionner dès 2012, cette société développe la navette Space Ship 2 qui pourra emmener six passagers dans l’espace pendant trois heures, pour la modique somme de 200 000 dollars par personne. A ce jour, 380 clients ont déjà réservé leur tour ! Alors qu’il est urgent de réduire les émissions carbone du transport aérien, est née une nouvelle activité commerciale qui détruira encore plus notre planète, sous couvert de création d’emplois et de richesses.

Faire sans eux

La théorie libérale du ruissellement induit une logique mortifère dans laquelle les inégalités ne peuvent que s’accentuer, dans laquelle les choix économiques de la population ne sont plus dictés par la délibération démocratique mais par l’appétit de consommation des fractions solvables de la population. Pour fournir de nouvelles opportunités d’investissement aux plus riches, les services publics ont été progressivement démantelés. D’abord les lignes aériennes, puis les télécommunications, l’énergie. Le tour des transports ferroviaires est programmé. Les services non marchands ont vu leur budget tellement se réduire que le secteur privé s’est engouffré dans la brèche et que l’accès gratuit à la santé et à l’éducation sont devenus des mythes.

Pourtant la crise sociale et écologique en cours appelle à la naissance d’activités économiques définies par la délibération démocratique et non plus le marché, qui peuvent, entre autres, prendre la forme de services publics. Jamais les services publics n’ont eu à rémunérer le capital, ce qui explique que les différentiations salariales n’ont jamais atteint les proportions que nous connaissons actuellement dans le privé.

On peut, certes, reprocher aux services publics de reproduire les schémas hiérarchiques de gestion du privé. Le secteur coopératif et notamment les coopératives de travailleurs que l’on appelle Scop en France (2) nous montrent aussi une autre façon de concevoir le rapport au travail. Dans ces entreprises, les dirigeants sont élus non plus par des actionnaires extérieurs à l’entreprise mais directement par leurs salariés. De l’avis même des banquiers qui les suivent, les Scop ont mieux surmonté les crises économiques des quinze dernières années que les PME classiques, lesquelles ont souvent disparu, été rachetées ou démantelées.

Dans l’Etat espagnol, au Pays basque, la corporation Mondragon : groupe de 120 coopératives totalisant 85 000 travailleurs : affiche des performances remarquables et double ses effectifs tous les dix ans. Son président reçoit un revenu égal à 9 fois le salaire le plus bas du groupe, soit environ 12 000 euros par mois, largement en-dessous des revenus usuels des dirigeants du CAC 40, et ce, sans accumulation de patrimoine professionnel. Ces entreprises dirigées par leurs travailleurs ne sont pas forcément des utopies et, chose certaine, produisent des écarts de revenus bien différents de ceux des groupes cotés en bourse.

Benoît Borrits

 [1](2) Regards a fait ce choix d’exister en Scop.

Petite bibliographie

Il faut faire payer les riches , de Vincent Drezet et Liêm Hoang-Ngoc, éd. Seuil.

Comment les riches détruisent la planète , d’Hervé Kempf, éd. Points.

Le président des riches , de Michel et Monique Pinçon- Charlot, éd. Zones.

Pour en finir avec les riches (et les pauvres) , revue Mouvements, éd. La Découverte.

Notes

[1(1) Extrait du Rapport 2010 sur la richesse mondiale de l’Institut de recherche du Crédit suisse.

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