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POURQUOI REFORMER LA FISCALITE ?
La fiscalité aujourd’hui : prendre aux pauvres pour donner aux riches ...
Henri Sterdyniak : Les inégalités gonflent dans l’ensemble des pays développés du fait des réformes libérales qui, depuis les années 1980, augmentent les profits au détriment des salaires. Une partie revient aux managers des grandes entreprises pour qu’ils les gèrent dans l’intérêt des actionnaires. Le développement fabuleux de la sphère financière parasitaire génère aussi des rémunérations excessives pour les plus riches. Et comme ces derniers peuvent choisir le lieu où ils payent leurs impôts, les pays se sont lancés dans une concurrence fiscale, en baissant les impôts sur les plus riches pour les attirer.
Jacques Généreux : Il s’est produit non pas une réduction du poids de l’Etat, mais sa privatisation par un changement de la structure et de la nature des impôts : presque partout la fiscalité sur le patrimoine et les revenus financiers a été allégée, et les prélèvements locaux et sur le travail ont augmenté. Si bien qu’aujourd’hui, on taxe de plus en plus les pauvres pour rendre de l’argent aux riches !
... et couper dans les dépenses sociales .
Thomas Coutrot : Une bonne partie des déficits publics provient de la contre-révolution fiscale menée depuis une quinzaine d’années. Depuis le début des années 2000, les dépenses fiscales (les exonérations, etc.) ont allégé la charge sur les catégories les plus aisées et privé l’Etat de 100 milliards d’euros par an.
H.S. : La stratégie des classes dominantes consiste à dire que les pays sont obligés de baisser les impôts parce qu’il y a de la concurrence fiscale, ce qui prive les Etats de ressources. Et puisque les Etats se retrouvent avec des déficits, elles expliquent alors qu’elles doivent réduire les dépenses sociales.
T.C. : Nous sommes dans un état de guerre de classes. La Grèce, par exemple, ne parvient pas à réduire son déficit budgétaire, parce que plus elle diminue sa dépense publique, plus la récession s’approfondit et moins le déficit se réduit. Il devient évident qu’elle va devoir faire défaut sur sa dette, et pourtant, on fait comme si on pouvait encore l’obliger à plus d’austérité. Les intérêts à court terme d’une caste de l’industrie financière sont aujourd’hui totalement prioritaires.
La montée des inégalités : une cause de la crise économique ...
Liêm Hoang-Ngoc : La montée des inégalités qui a accompagné le développement du capitalisme financier est l’une des principales raisons de la crise. Le pouvoir d’achat des classes moyennes et modestes a stagné voire reculé, alors que le revenu des plus riches a explosé. A partir de ce socle commun, le premier scénario, en France et en Allemagne, fut celui d’une croissance molle. Le second, dans les pays anglo-saxons et en Espagne, fut tiré par un fort endettement des ménages. Il fut le théâtre d’une croissance forte, mais explosive, qui a débouché sur l’épisode des subprimes. La régulation des marchés financiers est nécessaire mais insuffisante pour juguler les causes profondes d’une crise qui n’est qu’en apparence financière.
... et une catastrophe écologique .
H.S. : Le gonflement des inégalités est aussi écologiquement très mauvais car il favorise, du côté des plus riches, les consommations ostentatoires, gaspilleuses d’énergie et polluantes.
COMMENT S’Y PRENDRE ?
Rétablir une réelle progressivité de l’impôt sur le revenu ...
H.S. : L’impôt sur le revenu est un très bon impôt, parce qu’il est progressif et familial, mais il a deux défauts : le taux marginal de la tranche supérieure, qui a été abaissé à 40 % ; et l’existence de mécanismes dérogatoires. Il faut supprimer toutes les niches fiscales dites incitatives pour ne pas gaspiller l’argent dans la dépense fiscale. Il vaut mieux subventionner directement le logement étudiant ou social que subventionner la spéculation immobilière.
L.N.H : L’impôt sur le revenu ne représente que 17 % des recettes fiscales de l’Etat, alors que c’est l’impôt le plus juste, parce qu’il est progressif. La TVA, qui au contraire est un impôt injuste (les 10 % les plus riches y consacrent 3 % de leur revenu, alors qu’elle représente 8 % du revenu des 10 % des plus pauvres) rapporte 51 % des recettes de l’Etat. Globalement, la part de revenu disponible consacrée au paiement de tous les impôts, y compris indirects, est en moyenne de 21 % en France : 18 % pour les 10 % les plus riches, 23 % pour les 10 % les plus pauvres. Même avec un impôt progressif sur le revenu, les riches payent moins d’impôts proportionnellement. Contrairement à ce qu’on croit, l’impôt sur le revenu est très peu confiscatoire en France. Le taux marginal d’imposition de la tranche supérieure est de 40 %, mais le taux moyen, c’est-à-dire le taux réel d’imposition est nettement plus faible : par exemple, celui d’un ménage avec deux enfants qui gagne 10 Smic est de 14 %. Les riches bénéficient de plus de nombreuses niches fiscales. Pour le rendre plus redistributif, il faut l’asseoir sur une assiette qui inclut tous les revenus en le fusionnant avec la CSG, avec un barème progressif, une dizaine de tranches pour éviter les sauts de tranche trop brutaux, et un taux de la tranche supérieure à 70 % comme dans les années 1960. Il faut aussi prévoir une redistribution en direction des ménages à bas revenu, par un crédit d’impôt, une décote ou un abattement.
... jusqu’à fixer un revenu maximum
J.G. : Une fois admise l’égale valeur des individus, il devient inexplicable que le travail d’un soudeur vaille moins que celui d’un ingénieur. La seule conception philosophique admissible est celle de l’égalité. Et il n’y a pas non plus de justification économique aux inégalités salariales. L’idée qu’elles seraient incitatives à l’effort est anthropologiquement fausse : la seule inégalité dont les individus ont besoin, c’est l’inégalité symbolique, liée à la reconnaissance sociale. Si la culture leur apprenait qu’elle se manifeste par des médailles ou des compliments, ils s’en contenteraient. Evidemment, si on leur dit que ça se manifeste par des billets de banque, ils veulent plus d’argent. Mais nos PDG ne savent plus quoi faire de leurs millions.
T.C. : Considérer que des revenus de 10 millions d’euros par an sont légitimes, c’est considérer qu’on peut saccager la planète en consommant de façon effrénée. Cet « idéal » de niveau de vie est écologiquement insoutenable. La société doit changer ses représentations et ringardiser les très hauts revenus. Le taux d’impôt confiscatoire est une mesure simple à mette en oeuvre. A Attac, on s’appuie sur l’exemple de Roosevelt qui, en 1944, a fixé le taux marginal de la tranche supérieur de l’impôt sur le revenu à 94 %.
Réformer l’impôt sur le patrimoine
L.N.H : Les gens ont compris que le bouclier fiscal est un moyen détourné de supprimer l’ISF. Des sénateurs et députés UMP ont signé une pétition qui réclame sa suppression et celle de l’ISF, avec, pour contrepartie, la création d’une tranche supérieure à l’impôt sur le revenu, ou d’une majoration de 5 points du taux de la tranche supérieure. Mais imposer le revenu ne suffit pas à lutter contre la rente : comme le revenu n’est jamais taxé à 100 %, supprimer l’impôt sur le patrimoine permet d’éviter de couper tous les ans les branches de l’arbre de la rente au même endroit afin de laisser celle-ci pousser indéfiniment. A l’opposé de ce que proposent de faire certains à droite il faut continuer à taxer le patrimoine. Mais l’ISF, truffé de mesures dérogatoires, taxe les classes moyennes supérieures plus que les vrais riches. Il faut élargir son assiette et avoir un barème progressif avec des taux faibles.
A moment exceptionnel, impôt exceptionnel
J.G. : Les néo-libéraux ont mis les Etats en mesure de pressurer les peuples pendant des générations pour prendre en charge une sur-dette, privée en réalité, mais rendue publique par la mise des Etats au service d’intérêts privés. Mais la montagne de dette privée est toujours là, et va immanquablement provoquer une nouvelle catastrophe. Et on ne va pas pouvoir demander aux Grecs de réduire encore leurs revenus de 15 ou 30 %. La prochaine catastrophe financière conduira au chaos ou à la révolution. La seule méthode soutenable est d’apurer une partie de ces dettes par un prélèvement exceptionnel sur le patrimoine de ceux qui ont profité du système : les banques, les institutions financières et les riches qui ont accumulé un patrimoine financier et immobilier considérable grâce à la déréglementation financière.
Restaurer un véritable impôt sur l’héritage
J.G. : Les néo-libéraux ont habilement exploité le souhait universel et raisonnable de laisser quelque chose à ses enfants pour justifier des mesures successives d’exonération d’impôt sur les successions. La force de cette tendance aux Etats-Unis montre bien qu’on a affaire à des réactionnaires, parce que, selon la vraie culture libérale anglo-saxonne, l’impôt sur l’héritage est le seul légitime : on ne doit pas accabler de charges quelqu’un qui s’enrichit grâce à son mérite personnel et ses efforts, mais il n’y aucune raison qu’à sa mort ce fruit aille à quelqu’un d’autre, qui ne l’a pas mérité. En dépit de ça, on abaisse partout l’impôt sur les successions. Il faut le rétablir, avec une exonération totale pour les petites successions et des taux progressifs jusqu’à un niveau maximal de 90 ou 100 % au delà de montants importants.
TROP D’IMPOT TUE L’IMPOT ?
Ces réformes ne risquent-elles pas de provoquer une évasion fiscale ?
J.G. : La France est le troisième pays du monde en nombre de millionnaires. Les êtres humains ne sont pas des calculettes rationnelles qui décident de leur lieu de vie uniquement en fonction du taux de rendement de leur capital. On peut taxer les riches sans grand danger. Et s’ils s’en vont, cela permet de se débarrasser de gens qui ne veulent pas vivre dans une communauté politique selon ses lois et conventions. Les riches nous coûtent très cher dans le nouveau capitalisme, car ce système n’est pensé qu’en fonction de leurs intérêts, ce qui met les travailleurs et les entrepreneurs sous pression, nuit à la production, à l’investissement et aux services publics. Il faut se débarrasser de cette tutelle. Si une nouvelle imposition peut être un moyen rapide et efficace de le faire, il ne faut pas hésiter.
L.N.H : Il y a aujourd’hui de plus en plus d’imposables à l’ISF, beaucoup de nouveaux rentiers ont profité du capitalisme financier. Mais seuls 0,12 % des imposables à l’ISF partent à l’étranger chaque année, et davantage pour des raisons professionnelles que fiscales : c’est dérisoire. Quant à l’investissement, d’après les instituts internationaux, la France est, certaines années, le deuxième pays d’accueil des investissements directs à l’étranger, devant la Chine. Il y a beaucoup d’idées reçues à ce propos.
H.S. : Il faut profiter de la crise pour persuader les gouvernements qu’il est plus rentable pour eux de lutter contre l’évasion et les paradis fiscaux que de diminuer les allocations familiales ou le revenu minimum comme le fait actuellement l’Allemagne. On pourrait aussi faire payer les Français à l’étranger, comme le propose le député socialiste Jérôme Cahuzac. On calculerait leurs impôts suivant les normes françaises, en déduisant ceux qu’ils payent dans leur pays de résidence, et pour pouvoir conserver leur nationalité, ils devraient payer la différence en France.
Ces réformes ne risqueraient-elles pas de décourager le travail ?
J.G. : Dans nos sociétés, les inégalités salariales ne reflètent plus rien de concevable et sont devenues un facteur de démotivation au travail de la masse. On peut comprendre, dans notre culture, qu’un certain degré d’inégalité soit un stimulant, mais personne ne comprend qu’un PDG gagne 1 000 fois le salaire d’un ouvrier. Alors dire que l’augmentation de la fiscalité sur les hauts revenus risque de désinciter au travail, quelle blague !
L.N.H : Est-ce que l’impôt désincite au travail ? Je ne suis pas convaincu que les nouveaux riches soient des travailleurs.
Propos recueillis par Amélie Jeammet