Accueil > Société | Par Antoine Châtelain | 10 décembre 2010

Besoin des riches ? (5) - Qu’a-t-on fait des pauvres ?

Eradiquer la pauvreté ? Si l’on ne peut ni ne veut s’y atteler, que faire des pauvres ? Dans le passé, la réponse la plus courante a été : les aider et / ou les surveiller

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Dès l’instant où les sociétés ont séparé les richesses et les pouvoirs, il y a eu des riches et des pauvres. Les seconds, bien sûr, infiniment plus nombreux que les premiers. Loi naturelle, a-t-on expliqué très tôt. Mais si le nombre est du côté des pauvres, comment éviter qu’ils aspirent au partage des richesses et à la redistribution des pouvoirs ? Quand le règne de la marchandise s’est imposé, au début du XIXe siècle, la réponse a été lumineusement simple : « Enrichissez-vous ! » s’exclamait François Guizot, l’un des pères du libéralisme politique. Que les pauvres intègrent les valeurs de l’investissement et de l’ordre et ils deviendront... riches et citoyens actifs. Mais en attendant l’utopie de la société des propriétaires universels : en vérité la seule utopie parfaitement inatteignable : autant préserver l’ordre, en limitant les conséquences du paupérisme.

Tant que les sociétés sont restées à dominante rurale, la gestion des pauvres a relevé de la solidarité villageoise (les droits d’usage sur les biens communaux), de la charité privée et de l’assistance confiée au clergé. Mais avec la croissance des villes et la première déstructuration des communautés solidaires locales, la pauvreté se concentre territorialement quand elle était jusqu’alors dispersée. Le « bon » pauvre laisse alors la place au miséreux, d’autant plus inquiétant qu’il vit dans un monde parallèle et organisé selon des normes à part (le mythe de la « Cour des miracles »).

Logique répressive

La gestion des pauvres devient affaire d’Etat. En novembre 1544, François Ier délègue au Prévôt des marchands de Paris (l’ancêtre du maire) le Grand bureau des pauvres qui assure conjointement le soulagement et la police des pauvres. Un peu plus tard (1575), l’Angleterre d’Elisabeth Ière pousse un peu plus loin la logique du contrôle : des « maisons de correction » houses of correction ) ont pour objectif d’instituer « la punition des vagabonds et le soulagement des pauvres ». Les XVIIe et XVIIIe siècles accompagnent la logique répressive de la conception « mercantiliste » de la mise au travail.

Le pauvre secouru par le travail contribue à la richesse sociale ; l’enfermement des pauvres est la condition de leur mise au travail. En France, cela donne l’Hôpital général au XVIIe siècle ; en Angleterre, ce sera l’instauration du workhouse au XIXe siècle.

Le passage de la répression et du Grand enfermement à l’assistance est un lent processus. En France, il procède de l’affirmation du droit à la « sûreté » dans la Déclaration de 1789. Mais, excepté dans la phase « jacobine » de 1793-1794, la redistribution concrète qui fonde l’assistance n’est pas suivie d’effet. L’assistance continue de relever, soit de la charité des élites sociales, soit de l’action privée : les sociétés de secours mutuel (1835) puis la mutualité (codifiée en 1898).

Vers un système de protection

La Troisième République ne procède que partiellement et très progressivement à l’installation d’un système de protection généralisé, de l’assistance médicale gratuite (1898) à la mise en place d’une assurance maladie, maternité, invalidité et vieillesse (1930). Il faut attendre l’expansion du mouvement ouvrier des années 1930 et la Seconde guerre mondiale pour changer la donne.

L’Angleterre ouvre la voie en novembre 1942 avec le rapport de Beveridge sur la « Sécurité sociale et prestations connexes », considéré comme le point de départ du Welfare State (« Etat du bien-être »). Le Conseil national de la résistance reprend l’idée en avril 1944 : c’est la base de la protection sociale à la française. En assimilant cette protection à un « assistanat » producteur d’oisiveté et de vice, les libéraux actuels veulent revenir au début du XIXe siècle. Le workhouse n’est pas loin. Mais pourquoi rester en chemin : n’allons-nous pas revenir à l’Hôpital général ?

Antoine Chatelain

Le Grand enfermement

La monarchie absolue française prône le « Grand enfermement » des pauvres. A Paris, la Salpêtrière, la Pitié et Bicêtre accueillent ainsi quelque 6 000 personnes, soit 1 % de la population parisienne du temps. L’Hôpital général est géré par des magistrats du parlement de Paris. En 1662, l’institution est généralisée à toutes les grandes villes de France.

Le « foyer de travail » anglais, lui, est la conséquence de la conception libérale qui récuse l’assistance sociale au motif qu’elle encourage l’oisiveté et le vice qui l’accompagne. En 1824, la maison de correction élisabéthaine se transforme donc en workhouse . Le modèle installé à Minster, dans le Nottinghamshire, se généralise en 1834 avec la loi instaurant une Commission chargée de l’application de la loi des pauvres de 1601. C ?est elle qui organise l’extension des « foyers » qui accueillent les pauvres sans ressources en échange de leur travail. Fondés sur la séparation des familles, ces workhouses faisaient vivre leurs pensionnaires dans des conditions très dures. Ils furent abolis dans les années 1920.

A.C.

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