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Pour Frédéric Louault (1), spécialiste du Brésil, Lula a inauguré un « libéralisme social ». Malgré les programmes sociaux, le glissement du Parti des travailleurs(PT) vers le centre déçoit. Entretien .
Comment qualifier le bilan de Lula au terme de ses deux mandats ?
Lula a poursuivi la politique économique de son prédécesseur tout en faisant bien mieux sur le volet social. Il a inauguré un « libéralisme social ». Sans s’attaquer aux fondements du système libéral mais en accentuant la redistribution des richesses et en mettant en place d’importants programmes sociaux. La Bolsa familia (Bourse famille), dont bénéficient plus de 13 millions de familles, est le plus emblématique. L’ambitieux Fome zero (Zéro faim) a connu des difficultés d’organisation. D’autres sont en cours dont Minha casa, minha vida , visant à construire un million de maisons, et Luz para todos , un plan d’électrification rurale. Important également, le Programme d’accélération de la croissance (PAC) qui s’appuie sur une politique de grands travaux à l’échelle nationale. L’idée est de développer le marché intérieur et diminuer la dépendance extérieure. Les indicateurs sont bons. Le Brésil est l’un des rares pays du G20 à ne pas avoir enregistré un taux de croissance du PIB négatif en 2009. Le pays a pu montrer avec la crise sa capacité à résister aux fluctuations de l’économie mondiale. Mieux, depuis quelques années, les investissements des entreprises brésiliennes à l’étranger sont devenus plus importants que les investissements étrangers au Brésil. Le bilan est donc positif.
Ce « libéralisme social » a valu à Lula d’être très critiqué sur sa gauche ...
Oui, il y a eu une forte déception. Clairement, il n’a pas rompu avec la politique économique de Cardoso et a renoncé à un projet global de transformation. Tout s’est passé comme si, petit à petit, lui et le PT avaient été absorbés par l’exercice et la gestion du pouvoir. Le glissement des alliances politiques au fil des mandats en témoigne. En 2002, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) avait présenté un candidat contre Lula. En 2006, il l’a appuyé, et en 2010, le PT et le PMDB ont signé une alliance pré-électorale. Or c’est un parti attrapetout qui a participé à tous les gouvernements successifs depuis 1989. On y retrouve de nombreux caciques nationaux et locaux. En en faisant son allié principal, le PT a opéré un glissement politique qui va au-delà du centre, il s’est rapproché d’une organisation où se trouve une bonne partie de « l’élite » politique traditionnelle du pays. En 2009, le président du Sénat, José Sarney, un cadre du PMDB, a été mis en cause dans une affaire d’emploi fictif. Il aurait dû quitter ses mandats mais Lula a oeuvré pour sauver sa tête et conserver son alliance avec le PMDB, devenue essentielle pour le PT.
Les Verts et l’extrême-gauche présentent des candidats. Aucune alliance n’est possible entre le PT et ces partis ?
Le Parti vert (PV) et le Psol (Parti socialisme et liberté, affilié à la IVe internationale) : largement composés d’ex du PT : n’ont pas le même passif avec ce parti. Marina Silva, la candidate du PV, avait quitté le gouvernement puis le PT car elle voulait s’engager plus fermement sur l’écologie. Ceux qui ont fondé le Psol avaient été virés du PT parce qu’ils tenaient des discours jugés trop critiques à l’égard de la politique gouvernementale. Au Psol beaucoup considèrent désormais que le PT et le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) se valent. Il faut noter que dans les deux cas, ces défections sont des conséquences politiques des grands écarts de Lula. Capable par exemple de tenir des discours très forts sur la défense de l’environnement et de favoriser tous azimuts l’agrobusiness...
Lula a acquis une stature internationale et un fort crédit auprès des Brésiliens. Cela a pesé sur la campagne ?
De fait, 77 % des Brésiliens considèrent que son bilan est bon ou très bon. Cela laisse peu de chance à l’opposition qui a d’ailleurs eu beaucoup de mal à mener une campagne efficace. Difficile d’attaquer Dilma Rousseff qui est la candidate héritière de ce bilan... La question d’une réforme de la Constitution permettant à Lula de briguer un troisième mandat s’est posée. Certains assurent qu’il a engagé cette réforme pour envoyer un message démocratique fort à Chavez et consorts, d’autres prétendent qu’il a simplement considéré que le coût politique d’une telle réforme aurait été trop élevé. Pragmatique, toujours... Mais, dans un parti où la tradition démocratique est forte, il a tout de même réussi à imposer sa candidate. Il a été condamné à près de 20 000 euros d’amende cumulés pour avoir mené à plusieurs reprises campagne de façon intempestive pour Dilma Rousseff.
Quels sont les chantiers qui attendent le (ou la) prochain(e) Président(e) ?
Essentiellement la poursuite de ceux engagés par Lula. Que ce soit Serra et le PSDB ou Rousseff et le PT, ils auront à coeur de conforter la place du Brésil sur la scène internationale. Avec une nuance : José Serra serait probablement plus tenté de faire revenir un peu le Brésil dans le giron des Etats-Unis. En politique intérieure, le candidat du PSDB devrait insister sur la santé et surtout sur la sécurité, considérée comme l’un des rares points négatifs des huit ans écoulés. Dilma Rousseff devrait poursuivre les programmes sociaux en essayant d’amplifier la croissance économique. Le PAC va se poursuivre et on va rester dans des programmes de redistribution.
Propos recueillis par Emmanuel Riondé
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