Fini le modèle du CDI à plein temps et à vie. Aujourd’hui, il résonne comme une douce utopie ou un archaïsme désuet. Faut-il l’appeler à la rescousse, contre la précarité ? Prendre le monde tel qu’il est ? La sociologue Marie-Christine Bureau et l’économiste Antonella Corsani ont choisi de prendre acte des mutations que connaît le travail en cette première moitié du 21ème siècle. Et de relayer le débat sur un nouveau modèle de protection sociale : « faut-il sécuriser les parcours en situation de discontinuité de l’emploi ou bien envisager, par l’extension du salaire socialisé, un salariat au-delà du salariat ? »
Quand le Conseil national de la Résistance imagine le compromis social d’après-guerre, l’époque est au plein emploi. Un « plein emploi masculin » : « les femmes-épouses-mères, travailleuses invisibles de la maison et du soin, employées de temps en temps en usine ou dans les bureaux, étaient exclues de la norme du travail salarié, à plein temps et à vie », précisent toutefois les auteures. La stabilité de l’emploi revendiquée par le mouvement ouvrier à partir du début du 20ème siècle a connu, depuis, de nombreux déboires. Au point que le travail salarié a reculé au profit du travail indépendant ces dernières décennies dans l’ensemble des pays industrialisés.
En France, le processus de salarisation s’est d’abord accéléré dans les années 1950-1970 avec la quasi disparition de la paysannerie et le déclin des petits commerces et de l’artisanat. Ce n’est qu’en 2004 que le phénomène s’inverse dans l’Hexagone. Après l’Italie, les pays nordiques, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne. Sur les décombres de l’entreprise fordiste, serait née une nouvelle figure de travailleur indépendant. Doté d’une autonomie « de deuxième génération », il serait « juridiquement indépendant mais économiquement dépendant ». Il ne bénéficie pas, en effet, des protections accordées aux salariés en contrepartie de leur subordination.
Que faire ? Un premier rapport d’experts, institué par la Commission européenne et réalisé sous la direction d’Alain Supiot, émettait à la fin des années 1990 des recommandations. « Même en l’absence d’un lien de subordination juridique, au nom de l’exigence de liberté, il faut protéger le travailleur contre la dépendance et garantir une sécurité individuelle, non seulement contre le risque exceptionnel, mais contre l’aléa, devenu la norme dans un contexte d’incertitude », résument Antonella Corsani et Marie-Christine Bureau. Dans leur ouvrage, Un salariat au-delà du salariat ?, elles interrogent justement deux figures d’exception dans le droit social français : les intermittents du spectacle et les pigistes. Par-delà les différences, la discontinuité de leur travail, organisé par projets, anticipe les mutations actuelles. Eux qui bénéficient de protections, malgré leur faible subordination, sont tendus entre choix et contrainte. Entre précarité subie et désir de travailler et vivre autrement. Un laboratoire privilégié pour comprendre les métamorphoses en cours et réfléchir à l’avenir.