Cela fait longtemps que les
réponses politiques laissent
insatisfaits bon nombre d’électeurs
et qu’augmente l’abstention.
De fait, le bipartisme n’est
pas parvenu à s’imposer. Mais, en général, les
partis dominants dominent. Il y a des exceptions.
Il y eut le précédent de 2002. La qualification de
Jean-Marie Le Pen n’était pas la seule caractéristique
de ce scrutin. Le faible total des deux
« grands » candidats définissait également cette
élection : 35 %. En 2005, contre les choix des
grands partis, des médias et des forces économiques,
le Non emportait la consultation sur le
traité européen. Le peuple surprenait, ne se laissait
pas dompter. En 2012, une réplique paraît.
Elle pourrait associer les catégories populaires
et une partie des classes moyennes.
Les ingrédients sont connus : sentiment d’impasse
à l’échelle nationale et européenne avec
promesses d’austérité à long terme, reculs
sociaux, hausse du chômage et montée des inégalités.
Loin de se représenter l’alternance UMP/
PS comme une guerre – dixit Bernard Acoyer –,
les Français pensent majoritairement que cela ne
changera rien sur les sujets qui les inquiètent.
Alors que les citoyens commencent à s’intéresser
au débat de la présidentielle, les sondages
enregistrent le recul des deux principaux candidats
et une montée, voire une poussée, de
ceux qui sont perçus comme des alternatives.
Le PS souffre moins de cette désaffection et
reste crédité d’un haut score au premier et surtout
au second tour face à Sarkozy. François
Hollande capitalise sur son nom une bonne part
du rejet du Président sortant. Mais il n’emporte
pas l’enthousiasme. Eva Joly semble définitivement
plombée par cette alliance à contretemps
avec un PS qui ne fait pas rêver. Ses électeurs
la quittent, les soutiens d’EELV sont déstabilisés
par une stratégie de coucou se logeant dans le
nid du PS. Choix incompréhensible qui semble
privilégier des arrangements de parti ou personnels
au détriment d’un projet alternatif.
Au-delà du bipartisme
On veut autre chose. Mais on ne sait pas quoi.
À gauche, cet autre choix s’appelle Jean-Luc
Mélenchon. Sa stratégie de fort en gueule, qualifiée
parfois de populiste, entre en résonance
avec une France de gauche qui veut se dresser
sur la table ou la renverser. Le candidat du Front
de gauche a réussi à laver son passé d’homme de l’establishment qu’il fut pour porter le langage
et le geste de la révolte contre les puissants,
les inégalités. Il ravive une histoire populaire et
trouve les mots pour parler de la colère et de la
souffrance. Il cible Marine Le Pen et parle ainsi à
ceux qu’elle attire. Quoi qu’il en pense, il est aussi
perçu comme un homme relativement seul – le
Front de gauche c’est lui – donc libre. Il n’est pas
tenu par des contingences d’appareil de parti. Et
cette liberté crédite son positionnement antisystème,
son engagement alternatif. Où s’arrêtera le
soutien qu’il engrange ? La France rouge est au
pire autour de 10 %, normalement autour de 15
% et dans les bonnes années autour de 20%. Il
a de la marge. Féru d’histoire, il sait que ce sont
dans ces racines que se trouvent ses meilleurs
arguments pour conforter ses ambitions. Mélenchon
peut viser haut.
Pour François Bayrou, c’est la même histoire…
et exactement l’inverse. Il est quasiment le plus
libéral en économie, au point d’être épaulé par
Alain Madelin ; il soutient fermement la construction
européenne. Il est en fait l’orthodoxe de la
campagne. Il adhère à tout ce qui aujourd’hui
échoue et est rejeté. Mais son image, sa position,
est dominée par sa liberté d’homme seul,
sans accroche dans le système. Il incarne même
le courage de celui qui refusa, il y a dix ans, de
se laisser enfermer dans le bipartisme voulu par
Chirac avec la création de l’UMP. Pour une droite
qui ne digère pas le style Sarko, fait de vulgarité
et de valorisation de l’argent, d’inculture et de
violence, Bayrou est un antidote. Il pourrait bien
devenir la vraie alternative à droite au Sarkozysme.
Ce peut être sa chance. Sa progression
dans les sondages crédibilise cette autre voie.
Si elle se conforte, elle pourrait embarquer tous
ceux qui, à droite, ne veulent pas voir la gauche
l’emporter. Elle séduit les indécis qui entendent
son offre de rassembler le meilleur des deux camps. Elle parle à tous ceux qui veulent que
ça bouge, qui ne croient plus à la continuité du
système mais qui ne veulent pas d’aventure.
Vers un duel Hollande/Bayrou ? Impensable il y
a quelques mois, l’hypothèse devient sérieuse.
Ancien compagnon de Sarkozy dans l’aventure
Balladur, on sait les proximités idéologiques
qui les relient ; on peut penser qu’ils trouveront
aussi le chemin pour régler la question des frégates.
Décidément Bayrou a bien des atouts.
Enfin, Marine Le Pen est la quintessence du
pétage de plombs en préparation. Honnie de
tous, elle propose des solutions radicales. La
France a dans son histoire, dans sa culture,
bien des ferments qui peuvent alimenter le courant
d’extrême droite. Marine Le Pen sait les
retrouver, leur redonner une actualité. La détestation
du cosmopolitisme se nomme sortie
de l’Europe et de l’euro, haro sur l’immigré et
préférence nationale. L’antisémitisme n’est plus
focalisé sur les Juifs mais sur d’autres sémites,
les Arabes. Elle jouit d’une audience dans les
milieux populaires abandonnés par la gauche
et ses politiques FMI-compatibles. Comme
Mélenchon et Bayrou, Marine Le Pen est libre
de tous enjeux de préservation d’intérêts de
partis, de postes… Cette liberté favorise là
encore l’expression d’une forte personnalité qui
contraste avec l’univers gris et déshumanisé de
la technostructure inattaquable.
Une jacquerie se prépare. Parce qu’il y a de
l’exaspération… et qu’existent des candidatures
qui lui donnent corps. Quelle forme prendra-
t-elle ? À qui profitera-t-elle ? On ne le sait
pas. Mais elle pointe, sûrement.