1789,
point culminant de l’histoire. La souveraineté
nationale passe des
mains du prince à celles
du peuple, sous l’injonction
du tiers état. Les
nobles en perdent leur
latin : le peuple n’est plus
la plebs (qui suppose des
différences d’ordres) mais
le populus (la nation). « Nous sommes ici par la volonté
du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des
baïonnettes », dit Mirabeau défendant la constituante.
Des aristocrates n’iront pas jusque-là : ils dégagent – déjà !
–, Coblence leur tend les bras.
1830,
c’est la révolution industrielle, l’opinion n’a pas
de mots assez durs pour qualifier ces ouvriers – pourtant
non-qualifiés – qui s’entassent à la périphérie des villes :
sauvages, barbares, ivrognes… des délinquants en puissance.
Le peuple, par opposition à la bourgeoisie, c’est la
classe ouvrière. Il devient le héros de l’épopée politique
du xixe siècle, inaugurée par la Révolution de Juillet
dépeinte par Delacroix. L’antagonisme entre la blouse et
la redingote ne fait que commencer.
Février 1848,
« la poire est
mûre » : Deslauriers annonce,
dans L’Éducation sentimentale
de Flaubert, la chute de Louis-
Philippe. On sait depuis que la
révolution n’est pas un dîner
de gala. La garde nationale
(petite-bourgeoise) pactise
avec les manifestants (ouvriers
et étudiants). Le Peuple,
enfin, uni dans un même élan
républicain ? Les journées
de juin éteignent cet espoir dans le sang : le peuple de la
France rurale, catholique et bourgeoise, ne se reconnaît
plus dans celui de la capitale, ouvrier.
1848
est l’année du Printemps des peuples, qui nous
rappelle l’ambiguïté initiale du mot : il peut à la fois désigner
l’ensemble d’une société par rapport à une autre,
mais aussi une partie de la société. La harangue de Lamartine
en février 1848 en témoigne : « Le drapeau rouge
que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du
Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple, en 1791
et 1793, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde
avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! ».
1871,
la classe
ouvrière, « montant à
l’assaut du ciel » selon
Marx, proclame la
Commune de Paris.
Dans une adresse au
Conseil général de
l’AIT, il célèbre le premier
gouvernement de
la classe ouvrière, du
peuple par le peuple.
À l’opposé, Thiers
méprise cette « vile
multitude » à laquelle
il préfère le peuple qui
a élu une Assemblée
nationale aux deux tiers
monarchiste le
8 février, celle qui l’a
désigné comme chef de l’exécutif. Le peuple des élections
n’est pas celui des révolutions.
La IIIe République
cultive une phobie vis-à-vis de
la foule, nouvel avatar du peuple. Les réactionnaires
prennent appui sur la mémoire des vainqueurs de la
Commune pour faire du peuple, sous la plume de Gustave
Le Bon, « une masse d’êtres hypnotisés, dont le bon sens
est submergé par un instinct de violence incontrôlé. » Au
bout, une technique est suggérée : la manipulation des
masses.
Mai 1968,
pavillon rouge,
un peuple est en grève, il a le
pavé sensible. Mais la chienlit
ne passera pas. Dans l’isoloir,
un autre peuple, majoritaire
et silencieux, donne
à l’Assemblée une couleur
plus sage, bleu horizon, et
élit Pompidou. Une fois de
plus peuple de la rue (ou de
la place) et peuple de l’isoloir s’évitent, comme lorsqu’à la
rupture radicale déclenchée sur la place Tahrir succède
un infléchissement électoral frileux.
2011,
le peuple est toujours une réalité fluctuante,
opaque. Tantôt idéalisé en classe laborieuse, tantôt transfiguré
en classe dangereuse,
il est émeutier,
indigné, protester…
Figure nouvelle du
peuple, un chiffre : 99 %.
D’autres attendent
mai 2012 pour le rencontrer.
Mais toujours
cette même rengaine : la
canaille n’ayant pas la
science politique infuse,
elle pourrait se tromper.
La cause du peuple ne
lui appartiendrait-elle
plus ?