Accueil > monde | Par Arnaud Viviant | 9 octobre 2008

Angoisses de la littérature américaine

Des élections, pas la révolution - À l’image des citoyens du pays, les écrivains étasuniens semblent aujourd’hui touchés par une sérieuse déprime. Les parutions de cet automne en donnent un aperçu.

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« Il était une fois une guerre... et un jeune Américain qui se prenait tantôt pour l’Américain bien tranquille tantôt pour l’Affreux Américain et qui souhaitait n’être ni l’un ni l’autre, qui désirait plutôt être le Sage Américain ou le Bon Américain, mais qui finit par se considérer lui-même comme l’Authentique Américain et enfin, plus simplement, comme l’Enfoiré Américain. » Ces quelques lignes de l’écrivain Denis Johnson résument parfaitement la déprime - et la quête d’identité - dont semble atteinte aujourd’hui la littérature américaine. Son roman Arbre de fumée, qui a obtenu aux États-Unis la plus haute distinction littéraire, le National Book Award, n’évoque pas la guerre en Irak, mais celle du Vietnam à travers le portrait d’un jeune agent de la CIA, Skip Sands. Ce bourbier-là comme métaphore de ce bourbier-ci ? Très certainement. Ce qui transparaît en tout cas des traductions américaines qui paraissent cet automne en France, c’est une véritable mutilation de l’identité américaine, comme si, en pastichant Nietzsche, être américain aujourd’hui, c’était cesser de l’être. Mutilation imagée, comme dans le formidable roman de Brian Evenson, La Confrérie des mutilés, qui raconte, sur un ton drolatique et beckettien, comment un détective privé qui a perdu une main lors d’un règlement de comptes se voit confier une enquête au sein d’une société secrète de mutilés volontaires, dans laquelle il faut être de plus en plus amputé pour grimper dans la hiérarchie...

Pas de parabole, en revanche, dans Guerre à Harvard, du jeune romancier (24 ans) Nick McDonell. Dans ce court récit impressionniste, il raconte ces années sur le campus de la plus grande université américaine, celle qui forme les élites de ce qui n’est plus, mais plus du tout, le Nouveau Monde. Cette fois, la guerre mentionnée est bien celle actuellement conduite en Irak. « Au moment où j’écris ces lignes, personne de Harvard n’est mort en Irak », écrit McDonell, qui décrit l’indifférence infantile qui règne sur le campus, face au conflit.

Désillusion, désabusement, des étudiants avec des T-shirts « Sauvez le Darfour » font de la gym en regardant sur Fox News les images de la guerre : « bombes artisanales explosant, reporters équipés de gilets pare-balle sur leurs chemise en coton ou l’éternel enfant en sang qu’on porte dans les bras. » En parallèle de ce récit catatonique, on pourra lire La Conduite de la guerre, reconstitution scrupuleuse, par le journaliste de Vanity Fair, William Langewiesche, du massacre par les soldats américains de 24 civils irakiens à Haditha, le 19 septembre 2005. Ou comment l’armée la plus puissante du monde est entraînée dans un cercle vicieux où l’Authentique Américain devient l’Enfoiré Américain, pour reprendre les termes de Denis Johnson.

Mais il n’y a pas que la guerre qui déprime les romanciers américains. Le capitalisme aussi en prend pour son grade. Comme si les romanciers opposaient le déficit philosophique de leur pays à son déficit budgétaire. Après le cauchemardesque La Route, de Cormac McCarthy, vision apocalyptique d’un monde détruit, brûlé, hanté par des individus anthropophages, il faut lire le terne Etat des lieux, de Richard Ford, qui décrit toute la vacuité contemporaine d’un american way of life dont l’esprit aventureux s’est volatilisé, rapetissé dans la propriété et la conception la plus pauvre de la valeur. L’ivresse a disparu, n’en reste que le flacon manufacturé. En le lisant, on retrouve le même sentiment d’étique éthique qui ombrageait Un homme, le dernier roman de Philip Roth traduit en français. Pendant ce temps, entre littérature et journalisme, ces deux faces d’une même pièce que les auteurs américains ne distinguent heureusement pas, William T. Vollmann fait, lui, l’état des lieux de la pauvreté mondiale dans Pourquoi êtes-vous pauvre ? Ce reportage courant sur des années et tous les continents, ce reportage à la fois calme et affolé, nourri d’un scepticisme à la Montaigne, est sans doute contestable, ne serait-ce que dans son refus toujours réitéré de voir dans la pauvreté quoi que ce soit de politique. Vollmann veut s’inscrire dans le sillage de Louons maintenant les grands hommes, de James Agee et Walker Evans, témoignage sur la pauvreté dans le Sud des États-Unis dans les années trente, dont il ne peut néanmoins s’empêcher de remarquer que « ses sympathies communistes, exprimées, je suis au regret de le dire, à l’heure même des procès de Moscou, révèlent sa naïveté ». Vollmann, lui, à coup sûr, n’est ni communiste ni naïf. Il écrit :« Un des hommes de Volgograd qui était en train de remplacer le dôme de l’église, un vieil ouvrier, m’avait sagement déclaré : “Le communisme était pire, dans un sens, mais au moins notre avenir était assuré. On n’avait pas à se battre pour travailler sans jamais être certain du lendemain. Le communisme et le capitalisme sont tous deux des échecs. Peut-être y a-t-il une voie médiane, comme le socialisme à la suédoise... J’aurais aimé que ce fût le cas. Mais je n’y croyais guère” » , conclut Vollmann. Sceptique, on vous dit.

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