Dès 10h30, mardi, Traoré Issaga, sénégalais de 39 ans, responsable cuisinier du matin "Chez Papa", accompagné de ses camarades ont occupé le restaurant de la rue Lafayette dans le 10e arrondissement de Paris. Au même moment, une dizaine autres entreprises connaissent le même sort. "Tant que la situation ne se débloque pas on entend pas quitter les lieux car certains travaillent en France depuis 5 ans, 9 ans, ils payent des impôts et participent à toutes les activités du pays donc il est normal qu’ils bénéficient de la carte de séjour", s’exclame Traoré. Il souligne le paradoxe de la situation "on a besoin de nous mais on ne nous régularise pas". "Moi j’ai des papiers depuis 2001 mais je suis là pour soutenir mes collègues avec qui je travaille depuis sept, huit ans", s’écrit Dramé Adama, lui aussi cuisinier dans cette chaîne de restauration. Pour lui, la suite de l’action à mener est très claire "on va dormir ici, on ne bouge pas, jusqu’au bout".
Ce mouvement est soutenu par la CGT, "on demande une régularisation globale des salariés "sans-papiers", cela passe par une mobilisation des travailleurs qui doivent sortir de la clandestinité et s’organiser pour être reconnus comme salariés et acteurs de l’économie (...) ils mènent des luttes pour sortir des conditions d’exploitation dans lesquelles ils sont ", résume Rémi Picaud, membre de l’US-CGT commerce et secrétaire de l’union départementale de Paris. En France, des milliers de "sans-papiers" occupent des emplois peu attractifs dans des conditions effroyables, "déjà à l’époque de l’industrie et de la mine, on faisait venir des salariés étrangers pour travailler dans ces secteurs, rien n’a changé depuis, il faut au moins qu’on soit sur des garanties collectives identiques pour tous", déclare Rémi Picaud.
L’ampleur du mouvement rend confiants les syndicalistes, en effet grâce à ce nouveau rapport de force, désormais "ça dépasse le cadre du cas pas cas et de la Préfecture, on est plutôt sur une négociation avec les pouvoirs publics et les ministères concernés, celui de l’identité nationale et celui du travail et de la solidarité. La balle est dans le camp du gouvernement" estime Rémi Picaud, avant d’enfoncer le clou en revendiquant "des droits identiques pour tous". Pour lui, "la lutte des "sans-papiers", leur régularisation ne fera que niveler par le haut l’ensemble des garanties collectives de tous les salariés".
Des salariés "sans-papiers" ni salaire
Pire encore, les salariés "sans-papiers" de l’enseigne "Fabio Lucci", n’ont pas été payés depuis deux mois. Cette affaire une fois de plus, prouve les conditions d’exploitations de cette main d’oeuvre clandestine.
Cela fait déjà trois semaines que les travailleurs "sans-papiers" ont planté leur piquet de grève devant le magasin de vêtements bon marché, avenue Jean Jaurès, dans le 19e arrondissement. "On est sur le trottoir chaque jour", indique Mamadou. Comme une mission, c’est face à la vitrine où sont scotchés les tracts et où flottent les banderolles que les agents de sécurité d’origine africaine, pour la plupart sans tire de séjour, se retrouvent chaque matin. La situation s’est envenimée à cause d’une sous-traitance à outrance, en effet, "Fabio Lucci" a confié la sécurité de ses magasins à une entreprise qui a fait de même. Et c’est au septième rang qu’on retrouve la société FIPS qui, sans avertir les salariés, ne les a pas payés. "Dans cet imbroglio de sous-traitance en cascade, il n’y a eu aucun respect du code du travail", s’indigne Serge Fargeot, membre de la direction de l’union départementale de la CGT Paris. "Il n’y a pas toujours de contrats de travail, les feuilles de paye ne correspondent pas au temps de travail effectué par les salariés et les primes de transport et de panier n’apparaissent nulle part. Ces travailleurs sont sous-payés, ils sont rémunérés en liquide, par chèque ou par virement à des tarifs bien en dessous du Smic", explique Serge Fargeot.
La CGT a donc rencontré à plusieurs reprises certains sous-traitants pour trouver un accord sans y parvenir. Le syndicat en a donc référé aux Prud’hommes mais le conflit pourrait se durcir dans les jours à venir.
"Le plus dur, c’est de voir que ceux qui nous remplacent sont dans la même situation que nous mais qu’ils ne s’en rendent pas compte", raconte tristement Mamadou. En effet, pour Serge Fargeot "la grève pour non paiement des salaires est le seul cas où les salariés ne doivent pas être remplacés, un inspecteur s’est rendu sur place et pourtant rien ne change alors que "Fabio Lucci" devrait payer des amendes chaque jours."
Le gouvernement en place doit cesser son hypocrisie et mettre fin à cet "esclavage moderne" comme le qualifie la CGT. Comment le gouvernement et les pouvoirs publics peuvent-ils les ignorer, alors que la majorité d’entre eux possède des fiches de paye, déclare des impôts,cotise aux caisses d’assurance maladie, de retraite, à l’Assedic sans jamais pouvoir en bénéficier. Ces immigrés occupent des emplois pénibles où il y a un réel manque de main d’oeuvre et on voudrait leur interdire l’accès à ces métiers pourtant dits "en tension". On a besoin d’eux mais on préfère les laisser dans une situation de clandestinité propice aux abus en tout genre plutôt que de les accueillir dignement en les régularisant. C’est pourquoi la CGT réclame "l’application de la circulaire du 7 janvier, qui incite à la régularisation de ceux qui exercent des métiers pour lesquels la France manque de main d’oeuvre".