Accueil > Culture | Par Juliette Cerf | 7 juin 2011

Des vies en Iran

Ours d’or à Berlin, Une séparation orchestre une plongée aussi haletante
que sensible dans la société iranienne d’aujourd’hui. Couple, famille,
école, tribunaux sont passés au crible de la caméra d’Asghar Farhadi.

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Ces dernières semaines, deux films, Women Without
Men
de Shirin Neshat et Mainline de Rakhshan
Bani-Etemad et Mohsen Abdolvahab, nous
ont plongés au coeur de l’Iran, conjugué au passé
par le premier, et au présent par le second. Sorti à la fin du
mois d’avril, Mainline mettait en scène la relation entre une
mère et sa fille droguée, qui quittaient toutes les deux Téhéran
en voiture pour rejoindre la mer Caspienne où la jeune fille
devait entamer une cure de désintoxication.

C’est à une autre exploration mouvementée de la société iranienne
contemporaine que se livre le cinéaste Asghar Farhadi
dans Une séparation, qui a obtenu l’Ours d’or à Berlin, et qui sort en salles le 8 juin. Le rythme haletant de ce long-métrage
ancré dans l’épaisseur du quotidien s’impose dès
les premiers plans : le film s’ouvre sur un conflit véhément
entre un homme et une femme, côte à côte, face à un juge.
« C’est quelqu’un de très bien », dit-elle pourtant de l’homme
qui partageait jusque-là son existence… Simin (Leila Hatami)
demande le divorce parce que son mari, Nader (Peyman
Moadi), refuse de la suivre, alors qu’elle souhaite vivre ailleurs
avec sa famille et qu’elle a réussi à obtenir un visa pour
quitter le pays. Ce couple en déliquescence a une fille de
11 ans, Termeh (Sarina Farhadi) qui
prendra une importance capitale
dans le film, dont elle devient en
quelque sorte la conscience énigmatique.
Blessée que son mari
accepte la perspective du divorce,
Simin quitte le foyer et trouve provisoirement
refuge chez ses parents.

Coup de force

Mais au lieu de suivre Simin, femme
forte, indépendante et apparemment
motrice, la caméra demeure
en compagnie de l’homme, réalisant
ainsi le premier coup de force
du film. Entre sa fille, qui choisit de
rester avec lui, et son vieux père
atteint de la maladie d’Alzheimer,
Nader, employé dans une banque,
a du mal à s’en sortir. Il embauche
Razieh (Sareh Bayat), qui vient tous
les jours avec sa fille, s’occuper du vieux monsieur et faire le ménage. Une dispute éclate un jour
entre l’employeur et son employée, suivie d’une bousculade
malencontreuse. Razieh, enceinte sous son tchador, perd
son bébé. Nader se voit alors aspiré dans une sombre affaire
et pourrait possiblement être accusé de meurtre par Razieh,
poussée par son mari, un être fragile et colérique, Hodjat
(Shahab Hosseini). Une enquête a lieu. Nader savait-il que
Razieh était enceinte ?

Film familial et générationnel, aimanté par le spectre de cette
séparation qui lui donne son titre, le film se meut en chronique
judiciaire. Alors que les êtres semblaient jusqu’ici issus
du même monde et confrontés à la même galère quotidienne,
des écarts sociaux se révèlent : Nader est prêt à quelques
compromissions avec la vérité (qui bouleversent sa fille)
pour ne pas finir en prison et ne pas abandonner son enfant,
alors que l’autre personnage masculin, Hodjat, crie haut et
fort qu’il n’a plus rien à perdre, ayant déjà perdu le travail
qu’il exerçait dans une cordonnerie et le bébé que sa femme
attendait. « Mon problème, c’est que je ne sais parler comme
lui, je sors de mes gonds !
 », hurle Hodjat dans le tribunal,
lors d’un des nombreux scandales qu’il déclenche. Il lance
un « Tu devrais craindre Dieu » au juge courroucé que sa
femme tente d’apaiser comme elle peut : « Vous êtes comme
un grand frère
 »…

« En raison de l’instabilité économique, nous n’avons pas en
Iran de distinction de classes bien établies et on peut passer
rapidement d’une classe à l’autre
, explique le réalisateur,
Asghar Farhadi. Suite à la guerre contre l’Irak, beaucoup de
familles aisées sont devenues plus modestes, après avoir
tout perdu. Elles ont néanmoins conservé la culture et les
moeurs de leur milieu d’origine. Il y a aussi beaucoup de
changements dans le sens inverse,
avec des personnes qui se sont rapidement
enrichies sans bénéficier,
quant à elles, de la culture de leur
nouvelle classe sociale.
 »

Moments fugaces

A l’image de cette magnifique ellipse,
scène avalée par le film (le
grand-père échappé dans la rue et
ses conséquences), Une séparation
est un film tout à la fois vitaliste
et retenu, qui distille ses mystères
et ses émotions sur un mode subtil,
sans jamais verser dans le pathos.
S’impriment quelques moments
fugaces, tels les pleurs de Nader
alors qu’il est en train de laver son
père ou le regard d’une petite fille
sur les menottes d’un prisonnier
dans le tribunal.

Les scènes de la vie quotidienne
iranienne se déploient, entre mouvement
et tradition. Ainsi Razieh
appelle-t-elle son «  guide religieux  »
pour savoir si elle a le droit de changer
un vieil homme incontinent ; ainsi
ne parvient-elle pas à « jurer sur
le Coran
 » alors qu’elle a quelques
doutes quant à la version officielle
de la vérité…

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