Pour nos lecteurs qui aiment l’éclectisme et le mordant de Guillaume Chérel, le chroniqueur des pages romans, son dernier livre sera un régal. On retrouve dans Les pères de famille ne portent pas de robe l’ambiguïté de l’auteur qui se devine et se cherche derrière le personnage de Jack Hemrit : « Je ne suis pas un « gen » ! Je suis un être exceptionnel... » , veut-il croire. La réponse, il se la donne, implacable : « Nous le sommes tous, mais vous voulez que ça se sache. J’appelle ça le « syndrome popaul » » . A quarante ans, Guillaume-Jack s’interroge sur cette vie qui ressemble assez peu à celle de Jack London ou d’Ernest Hemingway, ses héros, ses modèles. D’eux, il aime l’engagement qu’il associe à une vie d’homme viril. Et pourtant, il ne saurait masquer son trouble devant la photo de son grand-père habillé d’une robe de femme, engagé dans les Brigades en Espagne. Autour de ces deux pôles s’organise le roman qui allie des moments très forts d’histoire (de la guerre d’Espagne, de la déportation) avec des scènes d’un banal super-drôle de la vie quotidienne (Jack-Guillaume enfourchant la tondeuse à gazon ou sauvant son couple grâce aux conseils des psymachinchoses en tout genre. Hilarant et pathétique). Guillaume Chérel signe un roman audacieux, qui mêle les écritures et les questions d’une époque :ce temps, son temps : frôlant souvent le badinage léger des libertins.
Catherine Tricot
Guillaume Chérel, Les pères de famille ne portent pas de robe , éd. Julliard, janvier 2005, 19 euros
Femmes en vert
Vert comme la Garonne qui menace sans cesse de déborder et de tout inonder. Autour de cette couleur, Marie Ndiaye brode une rêverie intime peuplée de femmes en vert fantomatiques. Silhouettes délavées surgies du passé, figures froides, intouchables et lointaines. Sous sa plume sobre et précise remontent dans le désordre les odeurs entêtantes des souvenirs, que l’on respire à pleins poumons. Ce récit tout en ellipses, en réminiscences aux allures fantastiques, dessine le portrait en pointillé d’une mère d’un coup métamorphosée en femme verte. Figure si familière, devenue soudain étrangère et séduisante, comme ces rencontres qui continuent d’habiter la vie souterraine de l’écrivain. Troublant.
Marion Rousset
Marie Ndiaye, Autoportrait en vert , éd. Mercure de France, 2005, 97 p., 13 euros