Il en a sûrement rêvé (le matin, à l’Elysée, en se rasant), le calendrier international l’a fait : en 2011, Nicolas Sarkozy sera le président en exercice du pays, la France, à la tête du G 20 : depuis le 12 novembre : et du G 8 : au 1er janvier. Deux enceintes réunissant, à quelques Etats européens près, les économies les plus puissantes de la planète. L’année précédant les élections présidentielles françaises, Sarkozy va bien entendu en profiter pour soigner sa stature à l’international. Mais il va aussi devoir travailler.
Comme dévoilé le 25 août lors de la Conférence annuelle des ambassadeurs, la France devrait ouvrir quatre chantiers : la réforme du système monétaire international ; la lutte contre la volatilité du prix des matières premières ; la réforme de la gouvernance mondiale ; la recherche de financements innovants pour aider au développement des pays pauvres. Le président français n’a de cesse de le répéter : il veut poursuivre la réforme du système économique mondial entamé par le G20 au début de la crise. Pas question de passer en mode gestion.
« Surenchérir pour exister »
« Les thématiques choisies sont pertinentes , concède François Asensi, député communiste de Seine - Saint-Denis et membre de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale. Mais l’ordre du jour de cette présidence française n’a cessé de gonfler... Comme si, la crise s’éloignant dans les pays émergents, rendant du coup moins prégnante leur volonté de réformer le système, il fallait surenchérir pour exister. Quant à la volonté réelle des dirigeants français de réformer le système économique mondial, on peut émettre quelques doutes. Le FMI avec Dominique Strauss-Kahn ou l’OMC avec Pascal Lamy sont dirigés par des Français depuis déjà quelques années et on ne peut pas dire que ces organisations internationales ont profondément bousculé le système économique mondial. Au contraire, ils ont plutôt abdiqué devant les marchés financiers, cédé à l’orthodoxie libérale, oeuvré pour le désengagement des Etats ... »
Et on imagine mal Nicolas Sarkozy, ami des capitaines d’industrie, papa du bouclier fiscal, promoteur dans son pays d’une politique de casse des services publics, devenir subitement un réformiste social radical sur la scène internationale. Même s’il s’est mué en héraut de la taxation des transactions financières, le 21 septembre à New York, lors du sommet des Objectifs du millénaire pour le développement. « On peut regretter que ce volontarisme ne soit pas plus présent à l’échelle européenne où la France tient des positions discordantes sur ce sujet , souligne François Asensi. Cette taxation a deux vertus : le déblocage de nouveaux financements pour le développement, certes, mais aussi la régulation des marchés financiers, et ce volet-là est totalement absent dans la démarche de Sarkozy . »
Alignement sur Washington
Si l’enceinte du G 20 est dédiée aux questions économiques et financières, le G 8 reste, lui, le théâtre informel de la médiation politique internationale. L’occasion pour le Quai d’Orsay de refaire valoir « l’autonomie de décision » (Hubert Védrine) qui lui est traditionnellement rattachée ? Depuis la tirade contre l’intervention en Irak de Dominique de Villepin, aux Nations Unies, en février 2003, la diplomatie française s’est très nettement détachée de sa propension à s’opposer aux Etats-Unis.
Ce renoncement est une réalité, même s’il faut relativiser la réelle profondeur de ce qu’a été la « voix française » à l’étranger. Paris a toujours veillé à ne pas franchir les lignes jaunes dans ses relations transatlantiques, adoptant des positionnements aux portées plus symboliques que structurantes. Comme le rappelle un géopolitologue, « la crise de 2003 au sujet de l’Irak n’a eu quasiment aucune conséquence sur les échanges commerciaux entre la France et les Etats-Unis »...
La fin d’une époque
Mais le symbolique pèse son poids en diplomatie et la réintégration par la France du haut commandement intégré de l’Otan, en avril 2009, a bien signé la fin d’une époque. Le discours de Sarkozy lors de la dernière Conférence des ambassadeurs ne laisse d’ailleurs planer aucun doute : défendant l’engagement des troupes en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire », le Président assure que la lutte contre le terrorisme constitue toujours « une priorité absolument majeure pour la France ». Si ce n’est pas un alignement sur la politique américaine, cela y ressemble fort.
Un alignement décidé directement à l’Elysée. « Bernard Kouchner n’avait aucune marge de manoeuvre , considère Bernard Ravenel, co-auteur d’un chapitre consacré à la coopération stratégique Paris - Tel-Aviv dans un récent ouvrage [1]. Mais il n’est pas exclu que Michèle Alliot-Marie ait obtenu une petite possibilité d’action sur le dossier du Proche-Orient lorsqu’elle a pris le ministère . »
Une confusion permanente
De fait, Sarkozy va peut-être rendre au ministère des Affaires étrangères un peu de l’influence qu’il lui a confisqué ces dernières années (mais pas de moyens, puisque le ministère n’échappe pas à la Révision générale des politiques publiques - RGPP - et va voir son budget chuter de 5 % en 2011). Histoire, par exemple, de réactiver quelques contacts pro-arabes pour exister dans la région au moment où les Etats-Unis peinent à y imposer leur calendrier. Cela pourrait expliquer la posture « gaulliste » de Michèle Alliot-Marie dans son entretien au Monde [2] où elle évoque aussi ses relations avec son « ami » Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de l’Elysée et « sherpa » de la double présidence française : « Il travaille pour le Président et pour la France, comme je travaille pour la France et le Président. Et l’ordre n’a aucune espèce d’importance ! »
Une confusion permanente qui ne facilite pas le décryptage des options défendues par Paris. Ainsi, l’Elysée défend aujourd’hui l’idée d’un secrétariat permanent du G 20. Ce qui reviendrait à renforcer considérablement l’importance de cette instance informelle, au détriment de l’ONU, organisation légitime dont la France défend l’élargissement du Conseil de sécurité aux pays émergents...
En plus de brouiller les pistes, ce volontarisme éparpillé ne s’embarrasse pas de concertation. Le 2 décembre, le député Jean-Marc Roubaud (UMP) remettait un rapport sur « l’appropriation citoyenne des présidences françaises du G 20 et du G 8 ». Beau à pleurer. Mais sans lien avec la réalité : les contacts avec la société civile sont restés au point zéro et l’Assemblée nationale n’a toujours pas été associée à la réflexion sur les enjeux de cette présidence française.
Emmanuel Riondé