Accueil > Société | Par Simon Grysole | 19 décembre 2006

Escroquerie et dépendance : les casinos explosent !

Reflet d’une société malade, les jeux de hasard et d’argent font de plus en plus d’adeptes. Les dépenses des ménages en la matière ont doublé en 25 ans. En 2003, elles atteignaient 130 euros par habitant. Le développement des casinos, une des activités les plus néfastes de ce secteur, est en grande partie responsable de cette augmentation.

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En vingt ans, la situation des casinos en France est passée du marasme économique à une croissance impressionnante. Dans les années 60 et 70, de nombreux établissements ferment, la plupart des gros casinos sont en dépôt de bilan. En 1969, on ne comptabilise plus que 155 casinos, en 1985 ce chiffre tombe à 135. Mais en 1988, Charles Pasqua décide d’autoriser les machines à sous -ou bandits manchots- dans les casinos, et Jacques Chabant-Delmas étend leur installation dans les villes de plus de 500 000 habitants « à statut touristique ».

S’ils étaient auparavant réservés à une clientèle aisée, l’arrivée des machines à sous (MAS) va totalement changer la donne. En grande majorité, ce sont les catégories de la population les plus précarisées qui jouent aux MAS, et les casinos réalisent désormais 95 % de leur chiffre d’affaire sur ces machines. D’où l’attrait des casinotiers pour s’installer dans les grandes villes, puisque c’est la population locale qui est visée, des classes moyennes aux plus défavorisées. Ainsi, la fréquentation des casinos passe de 3 millions de visiteurs en 1980 à 65 millions en 2000.

Flambée des profits

Dans les années 1990 et 2000, les chiffres d’affaires explosent et ces temples du jeu d’argent poussent comme des champignons : on repasse à 160 casinos en 1999, 176 en 2000, 197 en 2005, et la frénésie ne s’arrête pas. Le produit brut des jeux de l’ensemble des casinos est passé de 109 millions d’euros en 1986 à plus de 2,6 milliards en 2005 . Le retour sur capitaux (entre 15 et 20 %) ferait pâlir d’envie n’importe quel industriel : une MAS coûte environ 7600 euros à l’achat et peut rapporter jusqu’à 100 000 euros par an.

L’Etat et les communes s’arrogent une bonne partie du gâteau : obligation est faite au casinotier de reverser de fortes royalties. L’Etat empoche e’nviron 800 000 millions d’euros, et certaines communes financent jusqu’à 20 % de leur budget grâce à l’apport des casinos (comme Deauville). Récemment à Lille, le cahier des charges prévoit que le futur casino reverse 15 millions d’euros par an à la ville, soit 15 % de son budget. Mais cette activité et les mannes d’argent qu’elle dégage n’est pas sans conséquences sociales.

Hausse de la précarité au rendez-vous

De nombreuses études démontrent l’effet extrêmement nocif de ces casinos sur la population, et notamment lorsqu’ils s’installent dans les grandes villes. Ce sont tout d’abord les franges les plus défavorisées de la population qui vont constituer la majeure partie de la clientèle. On constate en effet que 46 % des personnes qui jouent au casino sont inactifs, chômeurs ou retraités (1). Le sociologue Jean-Pierre Martignoni soutient que ce sont « les régions où le chômage est plus élevé que la moyenne qui jouent beaucoup et qui épargnent peu » (2). Il démontre également qu’il existe un lien direct entre proximité géographique et fréquentation du casino. Et cela se vérifie au nouveau casino lyonnais : « 80 % des joueurs de notre établissement ne jouaient pas auparavant. Ils se sont découvert un nouveau passe-temps », reconnaît Guy Benamou, le directeur (3).

Les casinos présentent le risque d’une forte dépendance pour les joueurs. Les mises engagées sont en moyenne de 4 à 8 fois supérieures au PMU ou à la française des jeux, et les joueurs y retournent plusieurs fois par semaine. Les études montrent en effet que les MAS induisent un effet addictif particulièrement important par rapport aux autres formes de jeux d’argent, par l’accessibilité, la rapidité ou l’illusion d’adresse procuré aux joueurs. L’environnement d’un casino et le comportement du personnel est aussi fortement conditionné pour inciter « à jouer ». Ces établissements sont donc considérés comme aliénants et créant une dépendance physique. Les répercussions sociales et sanitaires sont alors dévastatrices.

Une drogue dure

D’après le psychiatre Marc Valleur, « que le jeu de hasard et d’argent puisse devenir passion dévorante, obsédante, envahissante, au détriment de tous les investissements affectifs et sociaux est un fait socialement reconnu. Et les milieux scientifiques le considèrent aujourd’hui comme une forme majeure de toxicomanie sans drogue » (4). Le nombre de ces joueurs dépendants est loin d’être négligeable : on estime qu’il sont entre 300 000 et 500 000 en France (5) soit autant voire plus que le nombre de toxicomanes ! Et le docteur Jean-Pierre Papart montre que « le syndrome de sevrage présente beaucoup de similitudes avec ceux rencontrés dans les toxicomanies (dysphories, irritabilité, céphalées, douleurs abdominales, tremblements, etc), et demeure à l’origine d’importantes conséquences personnelles ou sociales (séparation, dettes, dépression, suicide, échec professionnel ou scolaire, poursuites judiciaires, etc) (6).

La création d’un casino entraîne donc la création de milliers de « drogués du jeu », et favorise la montée de la précarité et du surendettement. Cela n’empêche pas des grandes villes, comme Bordeaux, le Havre (mairies UMP) ou Lyon (mairie PS), et prochainement Lille (PS) et Toulouse (UMP), de décider d’installer un casino. Ou quand la course à la création d’emploi et aux rentrées fiscales rendent aveugle...

(1) Les jeux d’argent misent sur la crise, Politis n° 802, mai 2004.

(2) Interview dans la Voix du Nord du 28/12/05.

(3) Les nouveaux drogués du jeu, Le Point du 28/06/02 ( n°1554).

(4) Le jeu pathologique, PUF, 1997.

(5) Le figaro du 27/06/06.

(6) Etude sur le jeu pathologique, Université de genève, juillet 2000.

A venir : Deuxième partie du dossier sur les casinos :

Les communes ont soif de casinos ! (en ligne le 21/12)

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