« Nous avons perçu une différence de ton dans le discours de l’administration de Barack Obama sur le conflit au Proche-Orient, ce que nous attendons maintenant, c’est une nouvelle politique. » Au lendemain du discours prononcé par Barack Obama à l’université du Caire, le 4 juin, Khaled Mechaal a résumé un sentiment partagé bien au-delà des rangs du Hamas dont il est le chef en exil. Avec, cependant, un peu plus de sobriété que la moyenne. Car la majeure partie des dirigeants de la planète comme les « observateurs » de tous horizons ne se sont pas privés de saluer chaudement l’intervention du président américain.
Au terme d’une décennie débutée le 11 septembre 2001 et poursuivie par les guerres d’Afghanistan et d’Irak, l’aggravation de la situation en Palestine sur fond de soutien sans nuances de Washington à Tel-Aviv et la montée des tensions avec l’Iran, ce discours était attendu... Et Barack Obama a été exact au rendez-vous en signalant très clairement sa volonté de voir les relations entre les Etats-Unis et le monde arabe entrer dans une nouvelle ère.
LE RENDEZ-VOUS DU CAIRE
Sur la forme, ce fut un quasi-sans-faute : sans jamais prononcer le mot de terrorisme, le président a condamné la violence avec fermeté tout en rouvrant les portes du dialogue avec l’ensemble des acteurs politiques de la région. Salutations en arabe, mise en avant de son propre vécu en Indonésie (plus grand pays musulman au monde) et de ses origines kényannes, il a aussi tenté de séduire et de flatter son auditoire.
Sur le fond du propos, rien de vraiment nouveau. Mais la réaffirmation nette de positions dont s’était écartée l’administration précédente : le distinguo entre l’Islam et « les extrémistes violents » ; le constat que les Palestiniens « subissent au quotidien les humiliations : grandes et petites : qui accompagnent l’occupation » ; l’affirmation qu « aucun système de gouvernement ne peut ou ne devrait être imposé par un pays à un autre » .
Le président a donné les lignes forces de son programme dans la région : dialogue avec l’Iran, reprise des négociations en Palestine-Israël, engagement militaire renforcé en Afghanistan et mise en place, dans toute la région, de programmes d’échange et de coopération dans les secteurs économique, éducatif et scientifique.
Mais c’est l’annonce, connue de longue date, du retrait des troupes américaines d’Irak « d’ici à 2012 » qui a le mieux exprimé le début d’une nouvelle période. Débutée en mars 2003, la guerre d’Irak aura tragiquement incarné la démesure de la croisade de George W. Bush. Le 30 juin dernier, les troupes étrangères ont quitté les villes du pays. Et si le calendrier est respecté, le 31 décembre 2011, les derniers soldats et policiers américains quitteront l’Irak. En août 2009, après six ans de présence, la coalition avait perdu, selon certaines estimations, un peu moins de 5 000 hommes, Américains pour plus de 90 % d’entre eux. Aucun chiffre officiel n’est établi côté irakien. Mais en août 2007, une organisation britannique estimait à 1 million le nombre d’Irakiens tués en quatre années de guerre. En août 2009, une autre recense environ 100 000 civils tués depuis le début du conflit (1).
NOUVEAU CLIMAT
Accueilli avec satisfaction, le discours du Caire n’a pas surpris. Malgré quelques contradictions, les signes d’un changement de ton avaient été donnés il y a quelques mois déjà. Parmi eux, la nomination de George Mitchell comme envoyé spécial au Proche-Orient. Intervenant avec succès en Irlande du Nord à la fin des années 1990, Mitchell a également été l’auteur, en 2001, d’un rapport préconisant, entre autres, le gel de la colonisation israélienne. Autre diplomate d’expérience, ex-médiateur dans le conflit des Balkans, Richard Holbrooke a, lui, hérité du dossier « Afpak » (Afghanistan-Pakistan). Tous deux sont directement liés à la Maison Blanche, au contraire de Denis Ross, ami notoire d’Israël qui s’est retrouvé au poste : non négligeable, cependant : de conseiller spécial du département d’Etat pour le Golfe et l’Asie du Sud-Ouest.
En avril dernier, après le sommet du G20 à Londres, Barack Obama s’était rendu en visite officielle de 48 heures en Turquie pour conforter les liens avec cet allié stratégique qui a des troupes en Afghanistan et joue un rôle de médiateur au niveau régional, tant avec l’Iran qu’avec Israël et la Syrie. Sur place, il s’était dit favorable (comme son prédécesseur) à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Un mois plus tôt, Hillary Clinton s’était, elle, rendue au Proche-Orient, à l’occasion de la conférence sur la reconstruction de Gaza, à Charm el-Cheikh, où elle avait assuré que les Etats-Unis allaient se remettre avec « énergie » en quête d’une « solution à deux Etats » (2).
Plus qu’une réorientation franche de la politique américaine au Moyen-Orient, c’est donc ce climat nouveau qu’est venu confirmer le discours du Caire. Un climat de fin d’hostilité et de reprise générale du dialogue qui n’a échappé à personne : au mois de mai dernier, 400 élus du Congrès signaient une lettre appelant Barack Obama à poursuivre son effort pour la paix au Proche-Orient. Une initiative parlementaire qui a reçu le soutien du puissant lobby pro-israélien des Etats-Unis, l’American Israël public affairs comitee (Aipac). Dans le même temps, les membres de l’institut politique US/ Middle east Project (3) signaient un appel intitulé « Last chance for a two state Israel-Palestine agreement » qui recueillait le soutien de personnalités européennes (4).
Autant d’acteurs qui semblent parier sur une redistribution des cartes dans la région. Sauf qu’après le temps des nominations et des discours, chacun attend maintenant les actes. Avant toute chose, sur les trois dossiers brûlants du moment : Iran, Palestine et Afghanistan-Pakistan (lire encadrés). Au-delà, la volonté de dialogue mise en avant par le chef d’Etat américain mérite confirmation. Jusqu’où ira-t-elle ?
DIALOGUE AVEC LE HEZBOLLAH ?
Dans la chronique de politique étrangère qu’il tient sur le site de The Nation , l’hebdomadaire historique de la gauche américaine, le journaliste Robert Dreyfuss se demande si « la Maison Blanche va s’ouvrir au Hezbollah et au Hamas » (5). Et rapporte, pour justifier son interrogation, les propos tenus récemment par John Brennan, conseiller spécial de Barack Obama sur le terrorisme : « Je constate avec satisfaction que de nombreux militants du Hezbollah ont, en fait, renoncé au terrorisme et à la violence et essayent de participer au processus politique dans une démarche tout à fait légitime. » Soit un semblant d’ouverture en direction d’une organisation qui, à l’instar du Hamas, est toujours considérée comme terroriste par le département d’Etat. Qui, lui, est loin de partager les vues du conseiller spécial, ancien responsable de la CIA.
Autre interrogation, le rapport de la nouvelle administration à la sphère religieuse. Invités, treize frères musulmans ont assisté au discours du Caire que Barack Obama a truffé de références au « Saint Coran », au Talmud et à la Bible, plaçant dans la conclusion de son intervention un « les habitants du monde peuvent cohabiter en paix. Nous savons que telle est la vision de Dieu » qui en a agacé plus d’un (6).
Pour autant, les discours et pratiques de la politique extérieure américaine connaissent, avec Obama, une nette inflexion dont le Moyen-Orient devrait bénéficier : respect de la souveraineté des Etats ; retour à plus de concertation ; abandon de l’arrogance moraliste, un peu plus d’humilité et de cohérence. La fermeture annoncée de Guantanamo où, pendant cinq ans, l’armée américaine a torturé tandis que les dirigeants du pays décernaient les brevets de « bonne démocratie bien libre » dans le monde entier est un signe probant de cette nouvelle philosophie.
Maigres avancées ? Peut-être. Mais Obama, qui « représente sans doute ce que le système américain peut produire de plus progressiste à l’heure actuelle » (7), est président des Etats-Unis avec tout ce que cela implique d’intérêts à défendre et de pressions subies. Et il va devoir composer dans la région, en Israël et en Iran, avec des gouvernements d’extrême droite qui, l’un sur la question palestinienne, l’autre sur le dossier nucléaire, sont peu disposés à lâcher du lest. Des représentants de ces pays devraient se côtoyer durant quelques jours lors de la 64e session ordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’ouvrira le 15 septembre prochain. L’occasion pour Obama et son équipe de prouver qu’ils sont aussi, comme ils l’assurent, disposés à revenir à plus de multilatéralisme dans la gestion de ces dossiers. E.R.
1. Voir notamment http://www.iraqbodycount.org et http://www.opinion.co.uk
2. Le Monde , 4 mars 2009.
3. Le US/ Middle East Project (USMEP) a été créé en 1994. Indépendant en 2006,
l’USMEP s’est assigné comme mission de « produire une analyse non partisane sur le processus de paix au Proche-Orient ». http://www.usmep.us
4. Le Monde , 23 juin 2009.
5. « White House opening to Hezbollah, Hamas ? », 10 août 2009, http://www.thenation.com/blogs/dreyfuss
6. Lire par exemple André Grjebine, « Le renoncement aux Lumières » et, par opposition, Abdelwahab Meddeb, « Citer le Coran afin de relier l’Orient et l’Occident », dans Le Monde du 3 juillet 2009.
7. Serge Halimi, « Les premiers pas de M. Obama », Le Monde diplomatique , juillet 2009.
Paru dans Regards n°64, septembre 2009