Au départ, rien ne prédisposait
cette candidature à de tels
soubresauts. Dès l’été 2010,
Eva Joly, auréolée du résultat
d’Europe écologie-les Verts aux
élections européennes (16,3 %) était apparue
comme une évidence. À Clermont-Ferrand, sous
un cagnard suffoquant, Cécile Duflot n’avait
d’yeux que pour celle qui devait sortir les écolos
des habituels petits scores à la présidentielle. La
secrétaire du parti se souvenait encore amèrement
du résultat de Dominique Voynet en 2007
(1,53 %), pour laquelle elle s’était dépensée
sans compter.
Eva Joly, la juge, la nouvelle recrue, pouvait
élargir le socle électoral. Pas vraiment écolo et
encore moins alternative, elle est imposée dans
le jeu écolo par Daniel Cohn-Bendit qui voulait
appliquer la leçon des Grünen allemands : le
succès politique suppose de rompre avec un
fond culturel jugé trop marginal, mouvementiste,
folklo. L’objectif est d’accéder au pouvoir en
position de force et pour cela les Verts doivent
devenir un « vrai » parti généraliste, crédible, sérieux.
DCB suggère de négocier avec le PS des
circonscriptions et, cohérent, de faire l’impasse
sur la candidature à la présidentielle : il sait bien
qu’on ne peut être dépendant et concurrent.
Mais la base des Verts est si désireuse de porter
ses couleurs, de faire entendre ses idées et
ses engagements ! La candidature d’Eva Joly
paraissait un compromis entre ces exigences de
normalisation et d’existence autonome.
Des députés à tout prix
Sauf que… La plupart des dirigeants d’EELV
pensant que Nicolas Hulot pouvait faire encore
mieux qu’Eva, la délaissèrent. Au final, elle gagne
sa qualification grâce au soutien de la gauche
des Verts, rétive à la candidature du trop incertain
et très médiatique animateur d’« Ushuaia ».
Une drôle d’alliance se scelle alors entre la
gauche des verts, une partie des environnementalistes
allergiques à Hulot et celle qui fut un
temps approchée par Bayrou. Cette dualité est
représentée au sommet de la campagne avec
le couple Yannick Jadot, ancien de Greenpeace,
et Sergio Coronado, issu de la gauche du parti…
Ce mariage de circonstance ne cesse de
produire un message politique brouillé : dans la
même séquence, Eva Joly peut attaquer durement
le candidat socialiste « il est du bois dont
on fait les marionnettes », le critiquer sur sa
gauche, et saluer le courage du candidat Bayrou
lorsqu’il annonce des coupes claires dans les
budgets sociaux [1]. Était-ce un moment d’égarement
ou la traduction d’une réelle incertitude
sur le positionnement politique de la candidate ?
Pour clarifier ce positionnement, Eva Joly
ne peut pas compter sur ses amis du parti. Déterminés à sortir enfin de la marginalité politique,
les dirigeants d’EELV sont tout occupés à
la négociation d’un accord avec le PS. Eva Joly
se sent tenue à l’écart de ces négociations. Les
dirigeants du parti ont surtout en tête l’objectif
lancé par le stratège Cohn Bendit : former un
groupe pivot au parlement, sortir en juin 2012
avec 50 députés ! Le score à la présidentielle
est de fait relégué au second plan… Pour obtenir
ce groupe de parlementaires, compte tenu de
l’injuste scrutin majoritaire, il faut un accord avec
le PS. À la demande des écologistes, l’accord
doit être programmatique pour être électoral. Ils
avalent alors de belles couleuvres : pas de sortie
du nucléaire mais une simple réduction, acter le
désaccord sur l’aéroport de Notre-Dame des-
Landes, la retraite, la dette et le reste…
Que feront les écologistes en cas de victoire
de la gauche ? notamment en ce qui concerne
la participation à un gouvernement prônant une
politique d’austérité. « Cette question n’a pas
encore été réellement débattue », reconnaît
Emmanuelle Cosse [2]. L’élue régionale écologiste
ne cache pas que le débat sera rude et ne
recouvrira pas forcément les lignes de clivages
habituelles du parti…
Une candidate isolée
La signature de l’accord avec le PS met la candidature
d’Eva Joly en porte-à-faux. La candidate,
faiblement écolo, et qui s’est marquée tantôt
à gauche et tantôt à droite du PS, est maintenant
cantonnée au discours antinucléaire. Elle
est priée de cesser les attaques contre François
Hollande et ses prises de distance avec le
programme socialiste. EELV veut faire sa mue
généraliste mais se retrouve coincée dans le pré
carré environnementaliste.
L’accord pour les législatives est donc signé,
mais le parti tarde à dire s’il participera au gouvernement
en cas de victoire de la gauche. Enfin,
pour s’assurer le plus haut score possible au
premier tour de la présidentielle, le PS aura les moyens de faire pression afin qu’Eva Joly jette
l’éponge, en menaçant d’entraver l’élection de
quelques députés EELV. Les militants, ballottés,
ne savent plus quelle campagne mener… Bref,
on avait une candidate à Noël reste à savoir si, le
26 avril, elle aura survécu à cette accumulation
de contradictions.