En janvier, devant l’Assemblée du Venezuela, le président Chavez a lancé un pavé dans la mare : « Les FARC [et l’ELN, l’autre guérilla colombienne] ne sont pas des organisations terroristes, mais de véritables armées qui occupent un espace en Colombie ! » Dans la foulée, le chef de l’Etat vénézuélien a appelé l’Union européenne à retirer le nom de ces groupes de la liste des organisations terroristes. Ce que l’UE a refusé, à la satisfaction du président colombien, Alvaro Uribe. Auparavant, ce dernier avait suspendu la médiation confiée à son homologue vénézuélien en vue de libérer des otages des FARC. Hugo Chavez avait qualifié Alvaro Uribe de « pion des Américains » ne souhaitant que la guerre. Regrettable crise pour les otages : la médiation de Hugo Chavez n’a-t-elle pas facilité, après des années de piétinement, la libération récente de trois d’entre eux ?
Opportunistes ou pas, les positions de ces chefs d’Etat sont significatives de deux visions qui s’affrontent pour résoudre le problème colombien. En schématisant, l’une consiste à reconnaître que la guérilla mène un combat politique, en vue de négociations encadrées par le droit international humanitaire visant, à long terme, à des accords de paix et des compromis entre deux parties prenantes d’un « conflit interne » (FARC et Etat). L’autre envisage de négocier ponctuellement et indirectement des libérations, sans compromis politiques, comme on le fait avec des preneurs d’otages d’organisations « terroristes », tout en continuant à leur faire la guerre. Alvaro Uribe n’a jamais caché son choix : à Paris en janvier, il a réaffirmé ses objectifs de libérer les otages et « d’écraser les terroristes », demandant l’appui de Nicolas Sarkozy après avoir relancé une médiation de l’Eglise catholique avec la participation d’émissaires français, espagnols et suisses. « Les FARC pratiquent la prise d’otages. Se financent avec l’argent de la drogue... Il est erroné de considérer la lutte entre l’Etat et la guérilla comme un « conflit armé » entre deux parties ; il s’agit plus exactement d’un défi lancé par un mouvement terroriste à une démocratie » , s’est-il expliqué (1).
FARC ET PARAMILITAIRES
Alvaro Uribe a raison : les FARC se livrent bien aux violations qu’il dénonce. En revanche, le numéro un colombien omet un acteur de premier ordre qui a conduit cette guérilla rurale dans un cercle impitoyable : les paramilitaires, tolérés ou soutenus par des pouvoirs politiques, économiques et militaires, se sont livrés : et se livrent encore : aux mêmes atrocités. Ils ont pratiqué les pires barbaries (viols, tortures à la machette), auraient fait disparaître 10 000 à 30 000 personnes en vingt ans et sont tenus responsables de l’assassinat d’environ 4 000 membres du bras politique des FARC à l’époque où cette guérilla a tenté de rentrer dans la légalité.
C’est Alvaro Uribe qui a légalisé ces groupes dit « d’auto-défense » lorsqu’il était gouverneur de l’Antioquia. Puis, de plus en plus puissantes, ces milices ont exproprié des paysans, assassiné, pillé et dirigé des réseaux d’exportation de drogue. A peine aux affaires, ce président « à la main ferme » contre les guérillas a lancé un plan de démobilisation des paramilitaires, accompagné d’une loi décriée d’impunité pour leurs crimes. Aujourd’hui, encore, certains petits chefs sont restés actifs et continuent à terroriser la population et à influencer une portion de la classe politique. C’est ainsi que l’escalade de la violence se poursuit, les FARC étant composées à 90 % de paysans et d’Indiens, ayant souvent vu assassiner leurs proches, tout comme les paramilitaires sont souvent des parents de victimes des guérillas.
DANGEREUX MANICHÉISME
De courageuses personnalités de la gauche colombienne ont souvent dénoncé les liens entre les paramilitaires et le pouvoir, au risque d’être suspectées « pro-FARC ». Comme la sénatrice Piedad Cordoba, kidnappée puis relâchée par les paramilitaires. Encadrée de gardes du corps, elle déclarait, l’année où Ingrid Betancourt a été kidnappée par les FARC : « Je sais que des politiques sont derrière mon enlèvement (2). » Elle est devenue « facilitatrice » de la négociation en faveur de la libération des otages et insiste : « Chavez est le seul qui puisse amener un accord humanitaire pour les otages et qui, au-delà, incarne un espoir pour la paix en Colombie (3) ! »
Cependant, en qualifiant les FARC de « belligérants », Hugo Chavez est allé trop loin, selon le président du Pôle démocratique, la coalition colombienne de centre-gauche. Pour Carlos Gaviria Diaz, en effet, une intervention de cette nature de la part d’un chef de l’Etat reflète une sympathie inadmissible à l’égard des FARC. Pour faciliter les pourparlers et la coopération de la communauté internationale, Carlos Gaviria est partisan d’une reconnaissance du statut d’« insurgés ». « Ce statut est différent, explique-t-il. Selon le droit international humanitaire, des Etats peuvent soutenir des belligérants, pas des insurgés (4). »
De fait, au sein de la gauche colombienne, les débats vont bon train ces derniers temps, soulevés en partie par le sénateur Gustavo Petro. Cet ex-guérillero du M-19 (mouvement de guérilla progressivement démobilisé au début des années 1990) trouve les FARC en voie de « polpotisation » et appelle à plus de fermeté vis- à-vis d’eux. Gustavo Petro réfute toute transaction avec les personnes qui « rabaisseraient la politique à une traite d’êtres humains (4) » . Tout en soutenant qu’il faut obtenir, avant tout, un renoncement des FARC à faire de civils des otages, il réclame, en retour, « un engagement de l’Etat dans le respect des libertés publiques et des droits fondamentaux » , faisant ici référence aux détentions de milliers de citoyens soupçonnés de « rébellion » qui ont eu cours sous la présidence d’Alvaro Uribe. « Ces pratiques positionnent l’Etat et les FARC dans la même ligne : les deux détiennent arbitrairement des civils (5) ! »
La gauche radicale colombienne, comme lui, oppose souvent le « terrorisme des FARC » au « terrorisme d’Etat » tenant parfois des discours plus ambigus. C’est que nombre de militants sont pris dans la radicalisation du conflit et le manichéisme dans lequel non seulement les partisans des FARC mais, à l’opposé, ceux d’Alvaro Uribe tentent d’enfermer le pays. Dangereusement, ce manichéisme est en phase d’atteindre des sommets, comme l’a montré la manifestation mondiale « anti-FARC » du 4 février qui a remporté un franc succès. Lancé d’abord par Facebook sur Internet, puis relayé par les ambassades colombiennes, elle a été critiquée par bon nombre de syndicats et d’organisations de gauche qui ont refusé d’y participer. L’affaire a divisé les membres du Pôle démocratique. Et même les comités Ingrid Betancourt et la famille de l’otage franco-colombienne se sont désolidarisés, dénonçant une manipulation du gouvernement pour justifier sa solution guerrière. On peut déjà lire sur Internet des accusations soupçonnant les Betancourt d’être complices des FARC ou victimes du syndrome de Stockholm...
Cécile Raimbeau