La formule est désormais célèbre. Durant sa campagne pour l’accession à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy avait prévenu : « J’irai chercher les électeurs du Front national un par un, ça ne me gêne pas . » [1]. Si depuis il n’a pas ménagé ses efforts pour y parvenir, force est de constater qu’après le retour en fanfare du parti lepéniste lors des élections régionales (11,7 % au niveau national) [2], l’OPA du gouvernement sur le FN est un échec cuisant. Malgré ses actes et ses saillies verbales, l’UMP n’est pas parvenue à pérenniser le siphon électoral qu’elle a mis en place en 2007. En revanche, à l’aide de sulfureux conseillers - tels que Patrick Buisson sur les thématiques captant le vote FN ou Maxime Tandonnet sur l’immigration (lire encadré page 22) - des pans entiers de la politique gouvernementale sont désormais directement inspirés de l’extrême droite.
« Sur la sécurité, entre la droite et l’extrême-droite, il n’existe plus de nuance, juste de la surenchère médiatique , affirme Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales à l’université Paris-VIII et auteur de L’ennemi intérieur (La Découverte, 2009). Le programme général du FN en 1988 est globalement en place aujourd’hui et ses idées sont au pouvoir. Le Pen a parlé d’envoyer l’infanterie dans les banlieues. Ce n’est pas encore arrivé, mais cela occupe les débats et les exercices de certains corps d’armée . »
Thèmes communs
L’historien et rédacteur en chef de la revue de la Ligue des droits de l’homme, Gilles Manceron, commente le choix de l’alliance entre droite et extrême droite sur les questions de mémoire coloniale : « Depuis 2007, Sarkozy a fait le choix électoral et politique de l’anti-repentance. On le retrouve au niveau national avec la récente constitution d’une fondation pour la mémoire sur la guerre d’Algérie dont le conseil d’administration compte quatre généraux relativisant l’usage de la torture. Au niveau local, des stèles commémorant d’anciens activistes de l’OAS sont érigées par des municipalités de droite, comme à Marignane, voire parfois même par l’armée, comme à Pau . »
Les thématiques empruntées sont nombreuses et s’abreuvent à une même source. Cependant Maryse Souchard, spécialiste de l’analyse des discours politiques, considère qu’il existe une nuance de taille entre les déclarations lepénistes et sarkozystes : « Le triptyque « Travail, Famille, Patrie », chez Le Pen, est parfois relancé comme une des pistes possibles. Mais il passe son temps à désigner l’ennemi et n’apporte pas un véritable projet de société. Si l’on suit attentivement les discours, Vichy est une référence pour Le Pen. Mais chez Sarkozy, c’est un programme . » Pour preuve, il suffit de voir ses propos plus récents. Comme le très controversé discours de Grenoble (lire encadré) ou celui prononcé lors de la remise des médailles de la famille, le 15 octobre [3].
Mais au Front national, la pilule ne passe pas pour autant. « La sémantique ! Vous pouvez toujours vous torcher avec la sémantique, si ce n’est pas suivi d’actes concrets ! » fulmine le député européen Bruno Gollnisch. « Le seul avantage des discours sarkozystes , reconnaît-il néanmoins, c’est que cela légitime le nôtre. Notre électorat sait qu’aucun problème n’a été résolu par ce gouvernement et il est déjà revenu vers nous aux régionales . »
L’aile dure de l’UMP
Cette figure historique du FN, incarnant un parti que ses fidèles voudraient figé dans le formol, reconnaît toutefois à quelques députés UMP une certaine forme de courage. En premier lieu Christian Vanneste, ardent défenseur de la « famille traditionnelle » et coutumier des dérapages homophobes, s’est dernièrement déclaré favorable à des alliances électorales avec le FN. Plus récemment, le nom du député du Nord était inscrit à l’affiche des « Assises internationales de l’islamisation de nos pays », aux côtés d’Oskar Freysinger, député suisse de l’UDC et chef de file du « Non aux minarets », ainsi que de représentants nationaux du Bloc identitaire, et de nombreux autres populistes xénophobes.
Aux avant-postes de la traversée du Rubicon, il n’est pas seul. Avec Thierry Mariani, Lionnel Luca et 32 autres députés, il appartient depuis cet été au collectif « Droite populaire ». Ces farouches partisans du travail, de la sécurité, de l’autorité et de la bannière tricolore n’hésitent pas à donner des interviews musclées à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute . A l’image de Lionnel Luca qui, dans le numéro du 8 septembre, s’insurge contre « le racisme anti-blanc » et proclame « Ce qui est étonnant, c’est de s’arrêter au Roms ! », « Que ceux qui n’apprécient pas les Français retournent dans leur pays ! », avant de conclure « Je suis favorable à la reconquête des territoires perdus avec des véhicules blindés ».
Désormais, cette aile dure de l’UMP est régulièrement reçue à l’Elysée, et sa figure de proue, le député du Vaucluse Thierry Mariani - tête de liste UMP en Paca lors des dernières régionales -, vient d’intégrer le gouvernement en tant que secrétaire d’Etat aux Transports.
Droite populaire ne rassemble cependant pas tous les députés UMP tentés par le hors-piste. En effet, au total se sont 65 députés UMP qui ont signé fin novembre un manifeste dans le magazine Valeurs actuelles considérant que « parmi les valeurs les plus estimées par nos concitoyens, la famille figure en tête, et de loin ». Mi-décembre, l’ancien ministre Luc Ferry déclarait sur LCI préférer Marine Le Pen à Olivier Besancenot...
« Tuer un petit peu »
Au FN, Bruno Gollnisch est catégorique envers ces députés : « Si des gens partagent nos positions, ils doivent souhaiter un rapprochement. Mais s’ils l’excluent, c’est une opération de récupération assez grossière . »
Le conseiller régional de Rhône-Alpes ne mâche pas ses mots au sujet de la réforme du mode de scrutin des assemblées territoriales souhaitée par le gouvernement. Arme tactique de la République ou entrave à la démocratie ? Chacun jugera. « Cette réforme vise très exactement notre élimination totale des assemblées où nous sommes encore représentés, par l’effet artificiel d’un mode de scrutin , commente Bruno Gollnisch. C’est criminel ! Quand les espoirs et les souffrances des gens ne s’expriment pas dans les assemblées, soit ces gens se détachent de la communauté nationale, soit ils entrent en révolte. Quand les catholiques d’Ulster ont été éliminés de la vie politique d’Irlande du Nord par une réforme du mode de scrutin, l’IRA a tué 4 000 protestants. Maintenant, ils sont ministres et leur patron est prix Nobel de la paix. Je me demande si on ne devrait pas tuer un petit peu, pour être pris plus au sérieux », confiait-il le regard ferme et la mâchoire serrée, le premier décembre, en marge d’un meeting à Cuers (Var).
Un laboratoire politique local synthétise, à l’échelon municipal, les aspirations de la droite et de l’extrême droite : la ville d’Orange. Remportée en 1995 par Jacques Bompard alors élu dans une triangulaire sous l’étiquette Front national, Orange est devenue, selon Fabienne Haloui, secrétaire départementale PCF du Vaucluse, « un modèle parfait d’une droite et d’une extrême droite qui s’enracinent ensemble ».
Un bastion d’extrême droite
Certes, Jacques Bompard, réélu au premier tour en 2001 et 2008 avec plus de 60 % des voix, n’est plus au FN. Aux dernières régionales, il s’est même présenté face à ses anciens camarades en tant que tête de liste d’une « Ligue du sud », sur le modèle de la Ligue du Nord italienne. Mais cela n’empêche pas Thibault de la Tocquenay, responsable frontiste à Cavaillon, d’affirmer que « Bompard a réalisé à Orange le programme du FN ».
Jean Gatel, actuel conseiller d’opposition socialiste, en dépeint brièvement la méthode : « Bompard fait une ville propre au centre, laisse totalement à l’abandon la périphérie, et utilise ce pourrissement pour jouer sur la peur des gens. En dehors du domaine sportif, il a réduit à néant le social et le culturel. Tout est sous-traité et le personnel municipal a fondu de moitié en quinze ans . » Aujourd’hui, Orange est devenu un bastion d’extrême droite tenu d’une main de fer par Jacques Bompard. Et lorsque la ville accueille plus de 600 membres de l’extrême droite européenne pour une « convention identitaire », comme en octobre 2009, cela ne suscite aucune réaction citoyenne.
Fin octobre, un sondage Ifop estimait à un tiers les sympathisants UMP qui « seraient favorables à des accords électoraux entre le FN et l’UMP pour les élections locales ». Si des accords nationaux entre le FN et l’UMP semblent prématurés à court terme, la possibilité d’alliances locales : à l’image de la gestion régionale en Paca entre RPR et FN en 1986 : est réelle. Le célèbre « cordon sanitaire » [4] paraît désormais obsolète.