Accueil > Résistances | Par Emmanuel Riondé | 18 mai 2012

Fralib, première épreuve de vérité pour le nouveau gouvernement

Les salariés de Fralib occupent leur usine à Gémenos dans les Bouches du Rhône depuis vendredi 11 mai. Ils ont demandé dès mercredi soir au nouveau gouvernement de prendre ses responsabilités et d’organiser la table ronde à laquelle Unilever, leur patron, refuse de participer. La façon dont François Hollande et son gouvernement vont répondre constituera un premier signal adressé au monde du travail et au patronat.

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Michel Sapin, Arnaud Montebourg et Stéphane Le Foll. Tels sont les trois ministres à qui les salariés de Fralib ont adressé un courrier le jour de leur nomination aux maroquins, respectivement, du Travail, du Redressement productif, et de l’Agriculture. Le même jour, tombait l’ordonnance de référé du Tribunal de Marseille, qualifiant l’occupation de l’usine, à la satisfaction des dirigeants de Fralib qui l’avaient saisi, « d’un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser ». Mais ajoutant que « (...) l’expulsion ne sera prononcée avec si besoin l’assistance de la force publique qu’à compter du 1er juin 2012, les parties étant invitées d’ici-là au dialogue (...) »

En lutte depuis 600 jours, les Fralibiens sont disposés, depuis le début, à se réunir autour d’une table avec les représentants d’Unilever, le groupe anglo-néerlandais [1], patron de Fralib. Mais ces derniers, systématiquement, se défilent et s’emploient à rendre impossible la reprise de l’usine par ses ouvriers.
Au point que vendredi 11 mai, les salariés ont repris complètement possession de leur usine de thé (Lipton, l’élephant...) après que la direction les avait averti la veille de la rapide mise en œuvre du « démontage de l’outil de production ». Ce dont les "Fralibiens" ne veulent pas entendre parler. « Ce que l’on souhaite, résume Olivier Leberquier délégue syndical CGT Fralib, c’est qu’Unilever nous maintienne un volume de production de 1000 tonnes par an pendant 5 ans, c’est le seuil de rentabilité pour une usine de 182 salariés. C’est notre demande aujourd’hui, mais plus vite on sera autonome, plus vite on se séparera d’Unilever car le projet est bien de mettre en place et de faire vivre une solution alternative. Sauf qu’Unilever a de lourdes responsabilités : ils ont déshabillé l’entreprise, ils doivent la rhabiller avant de partir, c’est tout ce qu’on leur demande. »

Musclors aux crânes rasés

L’ambiance régnant du côté de Gémenos laisse penser que les dirigeants d’Unilever ne sont pas prêts à céder : selon les témoignages des salariés présents sur le site, des provocations physiques et intimidations ont été menées ces dernières semaines par des nervis autour de l’usine. Mardi 13 au matin, une quinzaine d’entre eux se sont même introduits sur le site occupé. « Ils étaient armés de cannes de combat, armes de 7ème catégorie, témoigne Johnny Groutsche, délégué CGT, technicien de maintenance. Ils voulaient provoquer un incident, c’est clair. On appelle ça la milice... » Seule la présence sur place d’une équipe de France 2 semble leur avoir fait rebrousser chemin. Le recours à ce type de procédé est en adéquation avec l’attitude adoptée depuis le début par la direction d’Unilever qui a joué jusqu’à présent les cartes du mépris, de l’arrogance et de la brutalité. « Les liens sont complètement coupés avec eux », déplorait un salarié mardi devant le Tribunal de Marseille, alors que s’avançaient un quarteron de dirigeants patronaux encadrés de musclors aux crânes rasés.

Dans ce contexte, les Fralib attendent beaucoup du nouveau gouvernement. « Bien entendu que ce renouveau politique, on l’a à l’esprit, confirme Olivier Leberquier. Unilever a pu mettre en place son plan de destruction de l’emploi avec le concours du gouvernement précédent. Je ne vous cache pas que si Sarkozy avait été réélu le 6, on avait prévu de tenir une réunion de crise dès le lendemain... Il nous semble désormais que s’ouvre une opportunité concrète pour la nouvelle équipe gouvernementale d’emprunter une autre voie ». Cette défiance vis-à-vis de l’ancien gouvernement n’est pas une posture militante, elle se fonde sur des faits que les salariés de Fralib rappellent dans leur courrier adressé aux ministres : « lors de la dernière procédure d’information-consultation du PSE [2], Xavier Bertrand a donné ordre à la DIRECCTE [3]de ne faire aucune observation et de bloquer un courrier de plusieurs pages critiquant fortement un PSE bourré d’irrégularités, situation utilisée par le TGI de Marseille pour débouter le CE [4]. » Et ils demandent que « toute la lumière soit faite sur cette affaire ».

Comment va intervenir le gouvernement ? Durant la campagne, François Hollande s’est rendu à Gémenos et a reçu les représentants des salariés à Paris. Il leur a même offert un voyage en bus afin qu’ils puissent être présents à Toulouse, le 3 mai dernier, pour son dernier grand meeting de l’entre-deux tours.


François Hollande en visite à l’usine Fralib à... par francoishollande

Quant au tout nouveau ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, il expliquait dans les colonnes de Regards en septembre dernier qu’il fallait « une reprise en main du système économique par le politique ». En toute logique, celui qui, durant la primaire, a incarné l’aile la plus à gauche du PS devrait donc avoir à cœur dans ce dossier de défendre les salariés, leur emploi et leur projet de reprise.
Des salariés qui ont aussi eu la bonne surprise de voir Marie-Arlette Carlotti intégrer le nouveau gouvernement où elle sera ministre déléguée des Affaires sociales chargée des Personnes handicapées. La veille de sa nomination, cette Conseillère générale et régionale (Bouches du Rhône et PACA) socialiste, ennemie jurée de Jean-Noël Guerini [5] assistait à l’audience au TGI de Marseille. Marie-Arlette Carlotti a soutenu activement ces derniers mois les salariés de Fralib.

Solidarité syndicale et citoyenne

En plus de ces potentiels relais politiques, les Fralib peuvent aussi compter sur une solidarité syndicale et citoyenne très active sur le site. Extrêmement déterminés, ils se disent « sereins ». Et sont bien conscients que leur combat a depuis fort longtemps franchit les murs de Gémenos pour devenir un symbole des luttes salariales pour l’emploi dans tout le pays.

Le gouvernement aussi le sait et va devoir en tenir compte. Les ministres concernés vont-ils tout faire pour soutenir le plan de reprise des salariés qui a déjà le soutien des collectivités locales et est jugé viable par nombre d’expert ? Ce serait l’occasion de marquer d’emblée, sur la question sociale, sa différence avec l’équipe sortante ; d’adresser un message politique fort en refusant qu’une multinationale vienne faire joujou comme bon lui semble avec l’emploi dans le pays ; et de faire preuve d’un peu d’audace, bienvenue en période de crise, en soutenant le projet de coopérative des salariés. A bien des égards, sur le terrain de l’emploi et plus largement de la politique sociale, le sort des Fralib de Gémenos constituera le premier véritable test pour la nouvelle équipe de Jean-Marc Ayrault.

Notes

[1Unilever est le n° 2 mondial de la vente de produits de consommation courante.

[2Plan de sauvegarde de l’emploi

[3Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi

[4Comité d’entreprise

[5Jean-Noël Guérini, le président du Conseil général dont la situation judiciaire est à l’origine d’une sévère guerre de clans dans le Parti socialiste des Bouches du Rhône.

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