« Je mesure la tâche qui m’attend, elle est lourde
et grave. Je dois être à la hauteur des Français
qui n’en peuvent plus de la politique de Nicolas
Sarkozy. Ce soir, j’ai reçu un mandat impérieux,
celui de faire gagner la gauche en 2012. » Au
soir de son élection comme candidat du Parti
socialiste pour l’élection présidentielle de mai
prochain, François Hollande est décidé à mettre
fin à cinq ans de sarkozysme, où « rien n’aura
été normal. » Est-il pour autant capable de proposer
une autre politique, et de « réenchanter le
rêve français », comme il le promet ?
Pour faire tomber une partie du voile, il faut tenter
de comprendre le personnage et son attachement
local, en Corrèze, où le député a été
élu pour la première fois il y a 23 ans, La Corrèze
qui l’a fait passer du statut d’apparatchik
de Solférino à celui d’homme de terrain, pour
ne pas dire de la terre. La Corrèze, où il est « le
nouvel homme providentiel », dixit Alain Albinet,
journaliste à La Montagne, qui suit la politique
locale depuis 20 ans.
Tous les samedis sur le marché de la petite
ville, inlassablement, François Hollande sert des pognes, embrasse les dames. Et séduit son
interlocuteur par une attitude, toujours la même,
qui fascine ses proches. Il tend la main, regarde
droit dans les yeux, et enclenche la discussion.
« Alors, votre fille a-t-elle eu son Bac ? Et le
grand-père, ça va mieux ? ». Ça ne vous rappelle
personne ? Aux Corréziens si, et pas qu’un
peu. Le « Grand », le maître des lieux : Chirac.
Celui qui autrefois disait à propos de François
Hollande « il est moins connu que le labrador
de Mitterrand », a finalement vu son espace
peu à peu grignoté par le socialiste. « Depuis
30 ans, Hollande laboure son territoire », note
Alain Albinet.
Zéro bling-bling
« Son intérêt pour les autres n’est pas feint,
déclare Bernard Combes, maire de Tulle, et
attaché parlementaire du candidat PS. C’est un
densificateur de relations. Malgré une extraction
plutôt bourgeoise, il a la capacité de comprendre
l’être humain dans sa complexité. » Ici,
on ne manque pas une occasion de louer son
intelligence – on le surnomme parfois « Quatre
cerveaux », un petit nom autrement plus flatteur
que « Flamby » ou « Culbuto » – et ses qualités
humaines : ni distant ni condescendant,
agréable et même « gentil », doté d’une grosse
mémoire, drôle, « urbain » N’en jetez plus !
Même ses adversaires politiques s’accordent
là-dessus. Et de sa supposée inexpérience, il a
fini par faire une force : lui au moins ne traîne
aucune casserole. Mieux, d’après Bernard
Combes : « Il n’a pas l’amour de l’argent, des
belles bagnoles et des grands hôtels. » Suivez
son regard…
Pas un révolutionnaire
Tout cela est bien beau mais qu’y a-t-il derrière ?
« C’est un réformiste de gauche, un social-démocrate
doté d’une envie très forte de changer
les choses. Ça n’a jamais été un révolutionnaire
», reconnaît bien volontiers Stéphane
Le Foll, son fidèle lieutenant. Bernard Combes
abonde : « Il a chevillé au corps l’envie de changer
les choses mais à sa manière, par touches,
pas à coups de boutoirs. Il n’y a jamais de violence
avec lui. » Éternel pragmatique, Hollande
s’adapte en permanence. « Il est capable de
composer, sans se départir de sa ligne politique
», estime Le Foll. « Il préfère trouver une solution de compromis, quitte à ce que ça
prenne plus de temps, plutôt que de trancher
dans le vif », poursuit Jacques Spindler, ancien
rédacteur en chef à La Montagne, débauché par
Hollande pour diriger la communication de son
conseil général, une fois élu président en 2008.
Bernard Combes complète le tableau : « Il peut
attendre 15 jours que l’adversaire pose le couteau.
À la fin, il trouve une solution. » Même
idée, mais autre tonalité dans le camp d’en
face : « C’est quelqu’un qui ne se positionne
sur rien, attaque Michel Paillassou, président
de l’UMP en Corrèze. Il cherche toujours un
consensus mou, mais n’affirme aucune opinion
tranchée. Sur le vote des étrangers en France
ou le port du voile, il ne dit rien, pas plus que
sur la règle d’or. C’est un attrape-tout de la politique,
un opportuniste. » François Hollande a
« un côté matheux, qui voit la politique comme
une équation, c’est un joueur d’échec », complète
Serge Raffy, rédacteur en chef au Nouvel
Observateur, et qui vient par ailleurs de lui
consacrer un livre très fouillé, François Hollande,
Itinéraire secret.
François Delapierre, directeur de campagne de
Jean-Luc Mélenchon, est loin de partager l’idée
de « l’homme du consensus » : « Jospin admettait
être la ligne droite, ou réaliste, du PS, tout
en acceptant qu’il y ait des courants divergents.
Il se construisait dans le débat et la confrontation
avec l’aile gauche. Hollande a marqué
une rupture : il n’a fait que nier les divergences, les moquer, les rendre grotesques. Quand on
refusait “l’ordre juste” façon Ségolène Royal, il
ironisait : “Vous préférez le désordre injuste ?”
Quand on évoquait Chavez et les présidents
sud-américains, il nous disait ennemis de la
démocratie. Après ça, aucune discussion possible.
Il n’a jamais voulu trancher les contradictions
en exprimant un vrai point de vue. »
Grande gagnante de son pragmatisme : Bernadette
Chirac, avec qui François Hollande
entretient les relations les plus cordiales, surtout
depuis son élection à la présidence du
conseil général. « Entre les deux il y a des
intérêts convergents, explique le journaliste
Alain Albinet. Hollande veut s’élargir à l’électorat
chiraquien. Et Bernadette souhaite gérer
l’héritage, ne pas abîmer l’image des Chirac
en Corrèze. » Cela passe notamment par le
musée Chirac, dans le village de Sarran, pour
lequel le département a déjà injecté beaucoup
d’argent sous la présidence Hollande. Les voilà
donc qui rivalisent d’amabilités : « Un homme
de terrain à l’écoute de la population. » « Une
élue dynamique, qui apporte beaucoup de ses
relations. » « Un homme très sympathique, très
courtois, qui a le sens du service public, qui
est à l’écoute. » « J’ai du respect pour elle, elle
a l’esprit ouvert. » Atmosphère feutrée !
« Sarko soft »
Trop à droite, Hollande ? « Son modèle, dans
la stratégie, c’est Mitterrand. La première étape
c’est donc de rassembler à gauche », défend
Stéphane Le Foll. Ainsi, Robert Hue s’est
d’ores et déjà rallié à sa cause pour 2012. Mais
Jacques Calmon, qui se targue de l’avoir fait
venir en Corrèze lorsqu’il dirigeait la fédération
locale du PS, connaît depuis un gros conflit
personnel avec lui et ne s’en laisse pas conter :
« Politiquement, c’est du Strauss-Kahn, la compétence
en moins. Je l’ai vu déraper vers le
centre. Mon inquiétude, c’est que l’on remplace
un Sarko hard par un Sarko soft… » L’ancien
maire communiste de Tulle, Jean Combasteil,
dont Hollande fut le premier adjoint avant d’inverser
les rôles en 2001, se souvient : « Je ne
l’ai pas trouvé très ardent lors de la fermeture,
dans les années 1990, de l’usine d’armement
du Giat qui employait 1 500 personnes. Il en a
porté une part de responsabilité, en ne défendant
pas beaucoup l’usine. Il aurait pu s’accrocher
un peu plus… » Et de déplorer : « Avant,
il était plus à gauche que maintenant. Le centrisme
l’a gagné. Dans l’état actuel des choses,
il n’est pas facile d’imaginer quels vont être les
points de convergence entre lui et le Front
de gauche… »
Le Front de gauche, justement. L’une de ses
composantes, le Parti de gauche, avait vu
le jour lorsque des militants emmenés par
Jean-Luc Mélenchon avaient décidé, lors du
Congrès de Reims de 2008, de quitter le PS,
comprenant que la ligne de François Hollande,
qu’ils réprouvaient, resterait majoritaire à la tête
du parti. Un an avant, Mélenchon signait déjà un livre, En quête de gauche, une dénonciation détaillée du système Hollande.
« François Hollande a été le premier en France
à se réclamer “démocrate”, comme Tony Blair,
retrace François Delapierre. En 1984, il écrivait
une tribune intitulée “Vive la gauche américaine”,
c’était extrêmement précoce. » Et de
résumer la « pensée Hollande » : « Il estime que
la question sociale ne doit plus être centrale,
que tout marche mieux que l’Etat, que c’est
plus moderne quand le privé et les collectivités
locales s’occupent des choses. Il pense aussi
que la France ne peut rien faire seule et ne
peut donc pas prendre d’initiatives. Et que la
politique n’est pas capable de changer les rapports
sociologiques, mais doit seulement les
enregistrer. » Bref, « c’est un très mauvais candidat
face à la crise il est incapable d’avoir un
rapport de force avec les puissants, il est dans
une culture de la délégation et des experts, pas
des masses populaires et de l’engagement. »
Si Hollande séduit au-delà du PS c’est aussi
grâce à des réseaux tissés de longue date.
Dans son département d’adoption, Hollande
dispose « de relais un peu partout, souligne
Alain Albinet. Des gens servent de passerelles
avec le centre-droit et, ici, des gens de droite
voteront pour lui. »
À Paris, il peut compter notamment sur le
soutien de journalistes réputés conservateurs
comme Denis Jeambar, ex-directeur de
l’Express, auteur en septembre d’un livre sobrement
intitulé Ne vous représentez pas ! à
l’adresse du président actuel. Une toile d’alliés
bien étoffée. Elle paraît loin sa traversée du
désert après le référendum de 2005, pour lequel
Hollande avait appelé à voter oui. « À un
moment, j’étais un peu tout seul ! », se souvient
en souriant Stéphane Le Foll.
On le disait fini en politique, on se moquait
de son manque de charisme. Mais « le charisme,
c’est d’être élu », dit-il. Pas rancunier,
François Hollande rebondit toujours et
continue d’avancer. L’avenir nous dira
jusqu’où.