Photo Pierre Ducrocq
Accueil > actu | Analyse par Roger Martelli | 24 mai 2012

Gauche de gauche, et maintenant ?

Passé l’élan rassembleur
de la campagne, se pose
la question de la redistribution
des forces qui ont
porté le Front de gauche :
celles du PC, du PG, et les
autres…

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L’extrême gauche trotskisante
a tiré des expériences
de 2002 et 2007
la conviction qu’elle pouvait faire
cavalier seul : elle est retournée
à la marginalité électorale
d’hier. L’écologie politique a
cru qu’elle pouvait, tout à la
fois, jouer sa partition à part et
flirter avec le « réalisme » de la
social-démocratie : la digne et
courageuse campagne d’Eva
Joly ne lui a pas permis d’éviter
le camouflet. En cinq ans,
toute la gauche de gauche a
essayé le solo et la dispersion
et elle a mordu la poussière :
Bové, Buffet, Voynet en 2007 ;
Arthaud, Joly, Poutou en 2012.
La preuve du pudding est qu’on
le mange ; celle de l’unité est
qu’elle réussit. Mélenchon en a
fait la démonstration en actes.
Encore faut-il savoir quoi faire
d’un succès ? A priori, la démarche
du Front de gauche
devrait sortir confortée de la
séquence électorale en cours.
Mais ce Front est à la fois une
réalité, par la dynamique militante
et électorale amorcée en
2009, et une simple virtualité.
En fait, il n’a pas d’autre existence
légale que la volonté des organisations qui le composent.
Le Front n’a pas de statuts, pas
de règle écrite de fonctionnement.
Formellement, il n’est
qu’un cartel électoral.

La première question qui se
pose est donc celle des conditions
de pérennisation du Front.
Restera-t-il un cartel de fait où
va-t-il, d’une manière ou d’une
autre, s’ouvrir à l’adhésion directe
 ? Dans la pratique, la campagne
en faveur de Jean-Luc
Mélenchon a associé, au plan
national comme au niveau local
des « assemblées citoyennes »,
des individus ne se reconnaissant
dans aucune des forces
organisées. Pour l’instant, leur
place n’est pas statutairement
reconnue. Le sera-t-elle et sous
quelle forme ?

Quelle que soit la réponse apportée
par les deux principales
composantes du Front, le PCF
et le PG, le plus vraisemblable
est que le rassemblement existant
conservera une dimension
de cartel. Il sera un objet hybride,
en quelque sorte, à la fois structure
d’accueil des individus et
alliance de formations politiques
constituées… Auquel cas, se
posera inévitablement la question
de « l’offre » partisane. Pour
l’instant, la réalité est simple :
on trouve dans le Front une formation
ancienne aux effectifs
conséquents (le PCF), une formation
plus réduite, plus récente
mais dynamique, soudée autour
de la personnalité de Jean-Luc
Mélenchon (le PG) et une galaxie de petites organisations,
héritage de l’histoire troublée
de la gauche radicale française
du XXe siècle.

Dilemme

Le pari de Mélenchon repose
sur une double intuition : que la
période de mobilisation ouverte
en 1995 (celle du « mouvement
social ») s’est refermée en
2007, avec l’échec des « antilibéraux
 », et que le moment est
venu de retourner à une forme
plus classique de l’organisation
politique, moins mouvementiste
et plus partisane ; que le référent
républicain, dopé par l’élan
de la campagne, constituera un
pôle d’agrégation plus dynamique
que celui du PC. Le pari
des dirigeants communistes est
tout aussi simple : le temps des
vaches maigres et du déclin,
lié à l’agonie du soviétisme est
terminé ; celui de la relance
communiste est revenu, autour
d’une nouvelle génération et
d’une culture politique transformée,
sans qu’il soit besoin
de quelque « refondation » ou
« métamorphose » que ce soit.

Reste à savoir si ce dualisme
est suffisant. Pour une part,
il pousse à une concurrence
binaire, chacun cherchant à
tirer à lui la couverture propice
de l’union. Par ailleurs,
il ne propose, comme pivots
de regroupement, que deux
cultures installées, la républicaine
sociale et la communiste
« classique ». Or la réalité de
la radicalité des deux dernières
décennies est bien plus
large, bien plus diversifiée que
ces deux troncs d’une gauche
bien à gauche. Un dilemme
se pose alors à tous ceux qui,
depuis au moins 1995, se côtoient
dans les expériences multiples
du « mouvement social »
ou des essais « antilibéraux ».
Communistes « unitaires »,
mouvances trotskisantes, militants
« alter » de tous poils vontils
rester dispersés, ou vont-ils
regrouper leurs forces autour
d’un projet plus directement
nourri de l’esprit « alternatif » et
« arc-en-ciel » amorcé au milieu
de la décennie 1990 ?

Sans renoncer, bien sûr, à
l’espoir d’une formation pluraliste,
cohérente et ouverte, rassemblant
la totalité des forces
à la gauche du PS et capable
de concurrencer à terme une
hégémonie socialiste sur la
gauche française, que le déclin
communiste a rendue possible
après 1978.

Faut-il aller au gouvernement ?

Le Front de gauche doit-il participer à un gouvernement socialiste ? À deux reprises, en 1981 et en
1997, les communistes ont répondu à cette question par l’affirmative. Les deux fois, leur choix a été
chèrement payé. La tradition communiste française est plutôt de concilier la radicalité du projet et le
souci d’une implication gestionnaire concrète. A priori, les communistes, habitués aux responsabilités
locales, ne sont donc pas hostiles au principe général d’une participation gouvernementale.

Mais, cette fois, ils devraient s’en abstenir, pour trois raisons : l’ampleur de la crise et la pression
européenne, y compris social-démocrate, en faveur d’une cure d’austérité plus ou moins rigoureuse ;
le discrédit de l’idée participationniste à la gauche du PS ; l’affirmation catégorique de Mélenchon
qu’il n’irait pas au gouvernement. Pas de ministres sur le flanc gauche du PS.

Reste à savoir comment concilier l’indépendance revendiquée et l’attitude responsable, face à une
droite radicalisée qui pourrait bien s’engager dans la voie d’une recomposition à l’italienne. Ne pas
cautionner l’austérité de gauche, mais ne pas faire gagner la droite… Pas impossible,
mais pas simple.

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