Accueil > Société | Enquête par Anne Dhoquois | 1er août 2012

Génération Y, génération X ?

Nés entre 1978 et 1994, ils appartiennent à ce que des sociologues
ont appelé la génération Y. Leur sexualité est indissociable des
caractéristiques de l’époque. De quoi inventer de nouvelles façons
de s’aimer… ou pas.

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« Sodomie, éjaculation faciale ou double
pénétration, à en croire les articles
sur le sujet dans la presse, ces
pratiques feraient partie du répertoire
sexuel habituel de la génération Y.
 »
C’est en ces termes que Julia Tissier et Myriam
Levain, jeunes journalistes dans la vingtaine et
auteur du livre La génération Y par elle-même
(éd. François Bourin, 2012), introduisent leur
chapitre sur la sexualité au titre évocateur « Ils
sont dopés au porno ». L’ouvrage égrène en effet
les idées reçues sur la jeunesse d’aujourd’hui et
le rapport à la sexualité n’échappe pas à leur
plaidoyer pour un regard plus nuancé sur les
coutumes de l’époque.
De fait, on ne peut dissocier la sexualité de la
société et de son évolution mais concernant
les Y, Nathalie Bajos, directrice de recherche à
l’Inserm et coauteur de Enquête sur la sexualité en
France
(éd. La Découverte, 2008), est formelle :
« Dans le domaine des attitudes sur la sexualité,
il n’y a plus aujourd’hui de clivage marqué
entre les jeunes et leurs parents mais plutôt
une absence d’opposition entre générations.
 »
Ghislaine Paris, médecin sexologue, confirme :
« Dans les années 1968-1970, il y a eu un
séisme provoquant une révolution toute à la fois
sexuelle, culturelle, sociale, philosophique…
Les parents des Y ont construit leur vie d’adulte
à partir de cette révolution et ce mouvement
se répercute encore aujourd’hui ; leurs enfants
prennent la suite.
 » La libération sexuelle,
l’éclatement du modèle familial traditionnel ont
été initiés par les parents des Y, mus à l’époque
par une recherche d’idéal qui a depuis pris du
plomb dans l’aile. Dans les années 1970, on
a cru qu’en rejetant le modèle passé, on allait
trouver le bonheur… Sauf que la fin du couple
traditionnel comme unique référence a généré
des échecs, des ruptures, des divorces en
hausse. « Les jeunes d’aujourd’hui ont les pieds
sur terre. Ils tentent de tirer les leçons de tout
cela ; ils savent que les solutions ne sont pas
simples à trouver et qu’il faut les inventer. Et du
coup ils tâtonnent…
 », poursuit Ghislaine Paris.
Ils tâtonnent d’autant plus que l’une des
évolutions majeures dans le champ de l’intime,
« c’est l’individualisation des normes, affirme
Nathalie Bajos. Avant, quelques grandes
institutions (État, Église, etc.) tenaient un
discours normatif et cohérent sur la sexualité.
Aujourd’hui, il y a une multitude de sources
normatives ; les jeunes sont confrontés à des
discours émanant des parents, de l’école, de
leurs pairs, des médias, des médecins. À la
maison, les parents mettent en valeur un certain type de comportement, qui peut être
différent de ceux valorisés à la télévision ou en
classe. À chacun de donner une cohérence à
l’ensemble de ces discours et de ces injonctions
éventuellement contradictoires.
 »
Norme médiatique
Parmi les discours prégnants de l’époque,
ceux émanant des médias occupent une place
prépondérante. Julia Tissier et Myriam Levain
écrivent même dans leur livre que la norme qui
s’appelait autrefois morale est aujourd’hui en
partie médiatique : « Nous avons grandi dans
une société où le sexe est pratiquement partout,
où les articles de presse et les émissions de
télévision sur le sujet sont pléthores. Le risque ?
Voir émerger une norme. La sodomie ? Nous
devons en être passés par là. La fellation et
le cunnilingus ? Toujours, même avant le petitdéj.
La levrette ? Bien sûr, c’est le nouveau
missionnaire […]. Les diktats sexuels vont
de mal en pis.
 » Diktat, le mot est fort. Et à en
croire Ghislaine Paris non seulement il n’est pas
galvaudé mais il fait des dégâts : « Le tabou et le
sacré ne sont pas dissociables de la sexualité. La
dimension spirituelle de la sexualité, c’est ce qui
l’humanise. Les Y ont accès à la communication
tous azimuts, à une prolifération d’images… Ils
ont cru que la sexualité était tombée dans le
domaine public et que toute pudeur et intimité
avaient disparu. Ce n’est pas vrai et ce n’est
pas possible. Par ailleurs, les médias font
passer des informations erronées en valorisant
des pratiques encore marginales telles que
l’échangisme ou la sodomie et en les érigeant
en normes. Or ne pas être dans la norme crée
une angoisse.
 » L’enquête de Nathalie Bajos et
Michel Bozon confirme, chiffres à l’appui, qu’il
existe un décalage entre le discours médiatique
sur la sexualité et la réalité. Ainsi, seulement
36,1 % des hommes et 28,3 % des femmes
entre 20 et 24 ans ont pratiqué au moins une
fois la sodomie. Mais, même si les diktats
existent, ils ne sont pas forcément synonymes
de mal-être. Nathalie Bajos prend l’exemple
suivant : «  Les journaux féminins valorisent une
vie sexuelle régulière, épanouie, etc. Sans cela,
pas de bien-être possible. Or dans l’enquête,
nous avons interviewé des individus qui n’ont
pas eu pendant longtemps de vie sexuelle et
qui se portent très bien.
 »

Influence il y a, donc, mais à relativiser
notamment concernant les pratiques. Et dans
ce domaine, le porno accessible en un clic
de souris ne ferait pas tant de mal que ça.
Évidemment l’avènement d’Internet est l’un des
faits marquants de l’époque et la sexualité, reflet
d’une société, ne peut pas avoir échappé à cette
révolution. Ghislaine Paris ne nie pas les écueils :
« De fait le porno peut susciter un traumatisme
chez les préadolescents car ils n’ont pas les
moyens de gérer l’excitation que cela provoque
et sur laquelle ils ne peuvent pas mettre de
sens. Autre risque : confondre le porno avec
un documentaire sur la sexualité. Certains vont
prendre ces images au premier degré et se
croire obligés d’atteindre ces performances de
taille, de durée, de multiplication des rapports,
etc. Cela génère pression et angoisse.
 »

Une angoisse là encore à relativiser. Julia Tissier affirme ainsi que « même si les jeunes hommes
regardent du porno – le phénomène touche
beaucoup moins les filles -, seul ou en groupe, et
que cela influence leur vision de la sexualité, ça
ne crée pas de dégâts irréversibles. Dès qu’ils
rentrent dans la vie sexuelle réelle, ils font la
différence avec le porno.
 » Tom, 21 ans, étudiant
à Paris, abonde : « J’ai regardé du porno sur
Internet quand j’étais au collège. Au moment
de la puberté, on se pose des questions et le
porno a un côté pédagogique. Mais j’ai toujours
su que ce n’était pas la réalité.
 »

Hommes, femmes… même combat ?

Héritage des années 1970, normes
individualisées, Internet… Ces éléments qui
forgent une époque ont-ils influencé différemment
les hommes et les femmes ? À cette question,
Nathalie Bajos répond sans ambages : « Dire
qu’il n’y a plus de clivage marqué entre les
générations n’implique pas que les déterminants
sociaux n’existent plus. Les différences de
genre restent très structurantes et marquent les
attentes et les pratiques. Par exemple, si l’âge
de la première fois est aujourd’hui quasiment le
même – 17,6 ans pour les femmes, 17,2 pour
les hommes –, cette étape de la vie est toujours
vécue de façon différente selon les sexes : chez
les filles, elle renvoie déjà au registre de la
sentimentalité alors que pour les hommes, c’est
avant tout une expérience liée à la curiosité et
au plaisir.
 » Quant aux représentations, elles
continuent d’être pensées comme différentes
entre les hommes et les femmes, les deux sexes
s’accordant sur ce qui les distingue : plus de
besoins chez les premiers pour des raisons
naturelles, des attentes différentes en raison
des hormones, etc. Julia Tissier évoque, elle, le
culte de la performance et l’injonction à jouir qui,
à l’entendre, feraient davantage pression sur les
jeunes hommes. Elle précise : «  La culpabilité
liée à la sexualité et à certaines pratiques a
disparu. Aujourd’hui, on nous met la pression
sur le fait qu’il faut prendre son pied à chaque
fois ; le mec se sent coupable s’il n’arrive pas à
faire jouir sa copine.
 » Ghislaine Paris lui emboîte
le pas : « La performance est en effet présente
dans le domaine sexuel, à l’image d’une société
qui privilégie la course à la réussite. Chez les
jeunes hommes, cela va peser sur leur identité
virile qui ne se joue plus aujourd’hui sur le
fait de multiplier les conquêtes mais plutôt de
donner du plaisir à sa partenaire. À ces jeunes
hommes qui s’angoissent, je leur dis : ce n’est
pas vous qui la faites jouir, c’est elle qui prend
du plaisir.
 » Tom ne nie pas : « La pression que
se font subir les mecs entre eux. Certains font
les fiers en vantant le temps qu’ils ont tenu, etc.
et si tu t’es adonné à certaines pratiques comme
la sodomie, c’est que t’es un bon. C’est comme
un graal, la preuve que tu as franchi une étape
supérieure. Personnellement, je ne partage
pas ce point de vue mais selon moi il y a des
passages obligés, un peu comme un cahier des
charges que tu remplis au fur et à mesure et
tant mieux parce que sinon tu t’ennuies vite.
J’ai envie de découvrir des choses nouvelles,
d’aller toujours plus loin ; ça pourrait m’amener
à tester des pratiques un peu marginales… » Et
d’ajouter : « Sur le plan de la performance, de la
jouissance, les filles se prennent autant la tête
que nous. En grandissant, je trouve même que
les différences s’estompent.
 »

Sur ce sujet, Lucie Sabau, membre de Osez
le féminisme (OLF) et l’une des initiatrices de
la campagne « Osez le clito » n’est pas du tout
d’accord. Première raison de s’insurger de cette
jeune femme de 30 ans : « Le problème de notre
génération, c’est que nous avons grandi dans
l’illusion d’une égalité déjà acquise. Et sur le
plan sexuel, les idées reçues à combattre sont
notamment que les femmes ont une sexualité
passive, destinée à être complémentaire de
celle des hommes et que les hommes ont des besoins naturels irrépressibles.
 » Et pour
mettre à mal ces clichés, l’association a lancé
en juin 2011 une campagne sur Internet mais
aussi sur les murs de nos villes visant à valoriser
la sexualité des femmes et à « combattre
l’aliénation actuelle qui passe par des normes
qui nous sont vendues comme celles de la
libération sexuelle alors que c’est l’inverse.
Quand on dit d’une fille qu’elle est coincée ou
frigide, cela veut dire qu’elle n’est pas conforme
aux attentes masculines. La libération sexuelle
a surtout profité aux hommes
 », affirme Lucie.
Symbole de cette libération en trompe l’oeil, le
clitoris, grand oublié aussi bien de la recherche et
des médias… que des filles elles-mêmes (alors
que dire des garçons ?) nombreuses à ne pas
connaître leur propre anatomie. «  La sexualité
féminine est enfermée dans des normes avec
des pratiques obligatoires, au premier rang
desquelles se situe la pénétration. En gros,
un acte sexuel hétérosexuel, c’est l’interaction
entre un vagin et un pénis. Le clitoris, organe
central du plaisir chez les femmes, est relégué
à la préparation du plat principal qu’est la
pénétration ; l’orgasme vaginal ayant été
longtemps érigé comme la norme. Or, pour
beaucoup d’entre elles, ce n’est pas gratifiant
et certaines choses marchent mieux pour
prendre du plaisir…
 »

Pour autant, même si pour OLF de nombreuses
batailles sont encore à mener, les militantes
d’aujourd’hui reconnaissent le travail accompli
par leurs aînées… et notamment la libération de
la parole. Résultat, aujourd’hui, tout le monde
parle de sexe, filles comme garçons. Ainsi, Tom
reconnaît s’être confié à son père après une
panne ou avoir pris conseils auprès d’un médecin
sur les MST. Tout comme il s’informe auprès de
ses copines pour faire au mieux un cunnilingus
à sa copine. Quant aux filles, elles ne sont pas
en reste et selon Julia, parlent beaucoup de cul,
de plaisir… « La parole s’est décomplexée et
dans ce registre une série comme Sex and the
city qui met en scène quatre new yorkaises qui
évoquent par le menu leurs différentes relations
sexuelles a contribué à libérer la parole. C’est
vrai aussi qu’on en parle plus facilement avec
nos parents – même si c’est souvent lié à la
prévention, au sida et pas tellement au plaisir
– et avec nos partenaires : aujourd’hui, on ne
dirait plus “j’ai la migraine” mais “je n’ai pas
envie de baiser ce soir”.
 »

De l’infantilisme à la maturité

Face à cette parole décomplexée, à cette liberté,
même si elle est en partie en trompe l’oeil, les Y
cherchent leur propre mode. Sans nier le couple
et les schémas traditionnels qu’il recouvre. Car
en matière de sexualité et de sentiment, la
recherche de normes et donc de cadres semble
toujours de mise. Selon Tom, alors qu’il vivait
une relation ambiguë avec une fille, ses copains
le questionnaient sans cesse pour qu’il nomme
la relation : « On me demandait : tu sors avec
elle ou pas ? Parce qu’en gros, une relation
avec une fille soit c’est exclusif soit c’est un
plan cul. Il n’y a pas d’autres alternatives. Ça
m’insupporte car ça limite les options et les
possibles. Mais je constate qu’on se raccroche
à des schémas, ça rassure.
 » Pour Julia, même
si elle affirme que les Y sont touchés par le syndrome « l’herbe est plus verte ailleurs » et
ont du mal à se fixer, ils n’en recherchent pas
moins l’amour et une relation durable. «  On
veut le prince charmant et s’éclater au lit
 »,
résume la jeune femme pour qui les trouples,
polyamours et autres combinaisons sexuelles
ou relationnelles ne sont que « foutaises. Ce
sont des microphénomènes et des gadgets
mis en valeur par la presse
 ». Tout comme les
skins parties qui ne seraient que fantasmes
des adultes sur la vie sexuelle des plus jeunes.
Nathalie Bajos abonde et s’insurge : « Le
discours prégnant du moment c’est que les
jeunes feraient n’importe quoi dans le champ
de la sexualité. Or les faits n’y résistent pas :
l’âge du premier rapport est stable, la très
grande majorité utilise des préservatifs, etc.
Les parents ne sont plus aujourd’hui les
piliers de l’autorité normative en la matière ce
qui peut être mal vécu. Ce type de discours
est symptomatique d’une certaine panique
morale des adultes.
 »

Et Ghislaine Paris de conclure : « Même s’il
est en grande partie désacralisé, la jeune
génération prend le sexe très au sérieux ; c’est
quelque chose qu’ils ont envie de réussir.
C’est devenu un énorme chantier de réflexion
et c’est selon moi le signe d’une grande
maturité. Ils sont dans la quête de sens et dans
l’autodétermination alors que leurs aînés étaient
infantilisés et soumis à une morale rigide ;
l’intervalle entre le premier rapport et le premier
enfant a beaucoup augmenté, ces années-là
sont mises à profit pour chercher des solutions
personnelles, pour s’affirmer. Aujourd’hui,
la norme est éthique, c’est la résultante
d’un cheminement personnel.
 »

Le sexe, la norme, et nous

Les jeunes sont-ils vraiment façonnés par le porno ?
Pourquoi la presse féminine a peur des lesbiennes ?
Que se passe-t-il quand on emmène un transsexuel
au cinéma ? Cet été 2012, Regards pose des questions
tordues. Et tente d’y répondre.

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Vos réactions

  • je trouve que si cette génération et nefaste a la société dans le sens ou ca provoque des milliards de célibataire parceque plus personne veus s’engager dans une relation sérieuse, ce faire plaisir pour risquer des mst a cause des activitées bucco génitale ? ou un préservatif qui éclate ? les ages sur cette génération ne s’arrette pas a 25 ans mais bien bien plus, et il y a de plus en plus de personne atteinte d’obsession sexuelle, il n’arriveront pas a faire leur vie, car ils ont du mal a y prendre conscience et je trouve ca triste..

    madame Le 22 juillet 2013 à 22:34
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