« A Paris, nous sommes une cinquantaine d’avocats à travailler uniquement sur le droit des étrangers. Le sujet des libertés a toujours suscité mon intérêt, j’y ai consacré ma thèse.
J’ai prêté serment au barreau de Paris il y a trois ans. Je travaille en contact avec le milieu associatif, le comité tchétchène, le Réseau d’éducation sans frontière (RESF) ou encore le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) où je donne bénévolement des formations. Lorsque les associations me contactent et m’informent des cas qu’elles soutiennent, j’interviens souvent gratuitement dans un premier temps. Si je gagne le procès, la partie adverse doit payer les frais d’avocats.
J’accepte de travailler des dossiers gracieusement, parce que ce sont souvent des cas d’urgence, où le moment est grave. Ce fut notamment le cas en février : suite à l’arrestation massive de personnes sans-papiers dans un foyer du XIIIe arrondissement parisien, les associations ont eu besoin de renfort. J’ai alors été commis d’office devant le juge des libertés, puis j’ai été désigné par des personnes pour plaider au tribunal administratif. Cette désignation n’a pas entraîné d’honoraire, je n’allais pas laisser à la charge d’avocats commis d’office ces affaires que je connaissais. Il me fallait suivre les dossiers, même sans rétribution.
En revanche, pour certains avocats, le droit des étrangers peut être une véritable manne financière, avec les sans-papiers qui travaillent et ont le moyen de payer correctement les services d’un avocat. Cela peut aller jusqu’à l’abus de la part de certains confrères qui peuvent racketter des personnes démunies devant la loi.
Depuis 2003, les conditions d’admission au séjour deviennent de plus en plus restrictives. Du jour au lendemain, des personnes qui bénéficiaient d’un titre de séjour s’en voient privées. On pénètre alors dans une logique administrative presque identique à celle de Vichy. Des interpellations policières reposent sur le délit de faciès en toute impunité, pratique proscrite par la Constitution.
Il ne faut pas confondre Etat de droit et Etat policier. La force de l’Etat de droit repose sur la soumission de son administration au contrôle, ce qui s’avère malheureusement de moins en moins fréquent aujourd’hui, alors que l’administration prend des décisions illégales de reconduite à la frontière.
Cette politique actuelle vis-à-vis des travailleurs sans papiers va poser problème d’ici vingt ans, lorsque la France n’aura plus assez de main-d’œuvre. A longue échéance, c’est une difficulté sociale et économique que nous mettons en place aujourd’hui, en expulsant les travailleurs sans papiers. C’est la France qui se lève tôt, que l’on reconduit à la frontière. »
Recueilli par Julienne Flory
Paru dans Regards n°54, septembre 2008