« Si on me déloge de la terre où je suis né au nom du progrès, j’ai tous les droits de demander à être le premier à bénéficier de ce progrès ! » Shabana Azmi, actrice bollywoodienne et militante au sein de l’ONG ActionAid, s’est indignée devant la presse indienne : plus de 1,4 millions de paysans indiens ont quitté leurs terres durant la décennie écoulée dans les états de l’est de l’Inde Jharkhand, Orissa, Chattisgarh et Andhra Pradesh, d’après un rapport publié mi-décembre par ActionAid. Les terres, encore fertiles, sont rachetées par l’Etat ou par des fonds privés afin d’implanter des firmes multinationales.
En contrepartie ces paysans, pour la plupart issus de populations tribales, subissent la brutalité et la négligence avec laquelle les autorités appliquent leur politique de développement. Le gouvernement a annoncé en octobre un programme d’aides financières et matérielles sous forme de d’acquisition de terres ou d’embauches sur les nouveaux chantiers. Mais le rapport d’ActionAid révèle l’insuffisance de ce programme : sur 10 familles interrogées, 9 ont confié à ActionAid qu’elles n’avaient pas reçu suffisamment d’aide financière pour pouvoir déménager. Et les deux-tiers affirment n’avoir reçu aucune assistance : la plupart du temps, ils ne sont pas prioritaires sur les nouveaux emplois proposés.
Depuis avril 2000, l’Etat indien suit l’exemple chinois en introduisant des zones économiques spéciales afin de faciliter les investissements étrangers : dans ces zones franches sans taxe ni droits de douane, la législation sur le travail est assouplie et la fiscalité réduite. Les entreprises ont tout à gagner dans des régions où le coût d’investissement et d’exploitation est nettement inférieur aux autres zones. En 2007, 220 nouvelles zones ont été acceptées par un gouvernement qui veut à tout prix attirer les investisseurs.
Mais depuis quelques temps, la colère gronde. Les affrontements sont de plus en plus nombreux entre les autorités et les entrepreneurs et les groupes de paysans, pas toujours décidés à quitter leur lieu de vie aussi facilement. L’année 2007 fut notamment marquée par des violences dans la localité de Nandigram à 160 kilomètres de Calcutta. Début 2007, le parti communiste indien au pouvoir, davantage intéressé par le monde de l’argent que par celui des populations les plus défavorisés, a tenté de s’approprier des terres pour l’usine chimique du groupe indonésien Salim. Grâce à une résistance qui a coûté la vie à 34 villageois, le gouvernement du Bengale Occidental a finalement suspendu le projet.
De la même manière, depuis février 2007, dans le district de Jagatsinghpur en Orissa, état voisin du Bengale Occidental, des villageois ont érigé des barricades sur le terrain où la firme sud-coréenne POSCO implante un site sidérurgique. Ces actions de résistance ont entraîné de violents affrontements avec les forces de l’ordre tout au long de l’année dernière. Le 1er décembre 2007, une milice armée et employée par la firme POSCO a lancé une attaque contre les villages de Dhinkia, Nuagon et Gaddakujang faisant de nombreux blessés. Amnesty International, dans son communiqué du 30 novembre 2007 « Il faut éviter les expulsions forcées à Jagatsinghpur » a exprimé son inquiétude concernant l’impact de ces décisions économiques en matière de droits humains. L’organisation craint que ne se reproduise à Jagatsinghpur les évènements de Nandigram.
L’implantation de zones franches en Inde n’est pas prête de s’arrêter. Même si certaines populations rurales résistent, beaucoup ont peur de la répression et quittent leurs terres, sans autre moyen de subsistance. C’est à coups de bâton que le libéralisme économique s’impose et les investisseurs ne peuvent que s’en féliciter.
Naïké Desquesnes