Accueil > monde | Par Joshua Massarenti | 1er avril 2006

Italie. Clignotants au rouge

Catastrophique, c’est le terme qui caractérise le mieux la situation d’une Italie en déroute. Intellectuels et artistes sortent du silence. Panorama social à la veille du rendez-vous électoral des 9-10 avril qui oppose l’Unione, de Romano Prodi, à Forza Italia, de Silvio Berlusconi.

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En Italie plane une atmosphère de fin de règne. Reste à savoir de quel règne on parle. Celui d’un pays protagoniste d’une des ascensions socio-économiques les plus fulgurantes que l’Europe ait connue dans l’après-guerre et confronté depuis les années 1990 à un déclin inexorable ? Ou bien celui d’un homme, Silvio Berlusconi, qui dans les dix dernières années a littéralement bouleversé le paysage politique italien au travers de promesses économiques miraculeuses jamais tenues ? A l’approche des élections législatives des 9 et 10 avril prochains, bon nombre d’observateurs n’hésitent plus à parler d’une Italie en déroute, fermement décidée à tourner la page d’une ère berlusconienne catastrophique. Du reste, il n’y a qu’à voir les chiffres. Selon les derniers sondages, cinq points séparent le leader de la coalition de centre-gauche Romani Prodi de l’actuel président du Conseil. Avec seulement 46 % des intentions de vote, Berlusconi donne des signes de nervosité jusque-là inhabituels pour ses talents reconnus de grand communicateur. Sa campagne électorale a tourné au cauchemar. On connaissait l’homme capable d’haranguer les foules avec des promesses mirobolantes, mais les bévues qu’il a récemment accumulées en ont surpris plus d’un. A commencer pas son face-à-face tant attendu avec Prodi, le 14 mars dernier, sur la chaîne publique Rai Uno. Au terme d’un débat aussi ennuyeux que figé, les 16 millions de téléspectateurs ont pu observer un leader politique peu sûr de lui, tout juste bon à expliquer que si les femmes ne sont pas plus nombreuses en politique, c’est parce qu’elles ne sont pas disposées à laisser leur mari à la maison pour se rendre à Rome. Or, le corps électoral féminin s’était révélé déterminant pour son triomphe en 2001. Encore plus surprenant, dans son allocution finale, il a passé l’essentiel de son temps à dénoncer une forme de débat qui l’aurait empêché d’expliquer son programme. « Tout le contraire d’un débat démocratique », a- t-il assuré face à un Prodi décidemment plus serein.

Les patrons mécontents

« C’est là toute la différence actuelle entre les deux leaders » explique Gianni Barbacietto, journaliste de l’hebdomadaire Diario. « Les coups de gueule de Berlusconi, sa capacité à séduire les gens avec des blagues saugrenues et des prévisions radieuses sur l’avenir de l’Italie ne convainquent plus. En même temps, Prodi impressionne par son calme et sa sobriété. On pensait que cela aurait pu nuire à sa campagne, en réalité, c’est bien le contraire qui s’est produit. » La preuve, la confrontation à distance qui a opposé à la mi-mars les deux hommes à Vicence (nord-est de la péninsule) aux assises de la Confindustria, le Medef italien. De son côté, Prodi a réussi à s’attirer les applaudissements, certes contenus, des cinq mille industriels présents grâce à un discours franc au cours duquel il n’a pas hésité à affirmer son intention de ne pas céder sur l’Irap, la taxe d’impôt régional sur les activités productives, très contestée par la Confindustria (« je peux la revoir, mais pas question de la baisser car elle permet à l’Etat d’encaisser 35 millions d’euros », a-t-il clairement fait savoir). Le lendemain, alors qu’il avait annoncé un désistement de dernière minute pour une sciatique, le président du Conseil s’est présenté contre toute attente à Vicence en compagnie de 250 hommes d’affaires enrôlés pour la bonne cause. Dans un show sans précédent, Berlusconi a accusé l’état-major patronal de collusion avec la gauche tout en invitant les industriels « à se rendre moins à la Confindustria et davantage dans leurs usines ». Si les responsables des PME voient en lui un porte-drapeau du libéralisme économique et continuent à le soutenir, l’establishment de la Confindustria dirigé par Luca Cordero di Montezemolo (groupe Fiat), qui réunit les poids lourds de l’économie italienne, n’exprime plus qu’un seul désir : « changer de voiture » pour « relancer le pays dans le droit chemin » (dixit Montezemolo).

Croissance zéro

Mais le moteur est en panne sèche et tous les clignotants sont au rouge. Le dernier bulletin de la Banque d’Italie rendu public le 16 mars a révélé que la dette publique avait atteint le chiffre record de 1 507,6 milliards d’euros, c’est-à-dire 106 % du PIB contre 104 % en 2004. « Il s’agit de la première hausse depuis 1994 », a souligné le nouveau gouverneur de Bankitalia, Mario Draghi. En réalité, ces chiffres ne sont que la pointe d’un iceberg à la dérive. « Voici ce que nous a coûté Berlusconi » est le titre d’un article récent publié par le journal L’Espresso dont le propriétaire est Carlo De Benedetti, ennemi juré de Berlusconi et proche du centre-gauche. Dans sa méticuleuse enquête, le journaliste Stefano Livadiotti s’est appuyé sur 34 indicateurs socio-économiques fournis par plus d’une vingtaine d’instituts de recherche nationaux et internationaux pour dresser un bilan dramatique de la politique économique soutenue par les gouvernements de centre-droite (2001-2006).

Entre 2001 et 2005, le produit intérieur brut est tombé de 1,7 % à 0,2 %, c’est-à-dire à une « croissance zéro ». Du point de vue fiscal, les impôts directs et indirects sont passés de 359 milliards d’euros en 2001 à 399 milliards d’euros en 2005, tout en avantageant les revenus les plus élevés. Dans le même temps, malgré l’augmentation vertigineuse des dépenses publiques, des secteurs d’investissements cruciaux comme la recherche et développement ont été littéralement ignorés (en 2001, les investissements augmentaient de 5,6 % contre 1,6 % en 2005). Pour ne pas parler de l’école et de l’université, abandonnées à leur sort par Berlusconi. Fleuron du fameux « Contrat avec les Italiens » présenté le 8 mai 2001 par le magnat italien dans l’émission (pseudo) politique « Porta a porta », les promesses d’investissements dans les infrastructures ont accouché d’une souris. En quatre ans de dur labeur, le taux de réalisation des grandes œuvres infrastructurelles indiquées dans la loi objectif de 2002 (du pont sur le détroit de Messine à l’autoroute reliant Salerne à Reggio de Calabre) ne dépassait pas 0,01 % ! Dans le même temps, les investissements directs étrangers (IDE) ont dégringolé de 17,787 millions d’euros en 2001 à 13,542 millions d’euros en 2005, soit une chute de 29 %. Les touristes ont emboîté le pas en ignorant un patrimoine culturel parmi les plus riches au monde (un million en moins en quatre ans).

La déprime de Berlusconi

Sur le plan social, le tableau est on ne peut plus sombre. La précarisation touche désormais 4 millions de personnes. Et alors que le taux de chômage pointe en moyenne à 7,7 % au niveau national, dans le Sud il dépasse aisément les 20 % chez les jeunes de moins de 35 ans. Passage à l’euro mis à part, les miracles de Berlusconi ont augmenté le taux de pauvreté chez les familles méridionales de 3,4 % pour plafonner à 25 %.

Entre temps, au nez et à la barbe d’une masse de citoyens déprimés par un pouvoir d’achat constamment menacé, le président du Conseil n’a pas oublié d’enrichir ses comptes bancaires. Avec 11 milliards de dollars, il pointe à la 36e place dans le top 100 des personnes les plus riches au monde. Grâce à des lois faites sur mesure (comme la réforme Gasparri sur le panorama audiovisuel), le groupe Mediaset dont il est propriétaire affiche des bénéfices nets de 400 millions d’euros en 2004 et de 600 millions d’euros en 2005. Mais rien n’y fait. L’homme est déprimé. « Désormais, contre moi il existe une sorte de Sainte-Alliance qui réunit les Démocrates de gauche soutenus par une magistrature rouge (communiste, ndlr), les hommes forts du système bancaire et du patronat ». Consternés par ses déclarations fracassantes, ses alliés d’autrefois disent désormais tout haut ce qu’ils pensaient tout bas. Le leader du parti post-fasciste Giancarlo Fini déclare ouvertement que « Berlusconi est un monarque et le pays se porte mal au niveau économique ». Pier Ferdinando Casini, de l’UDC (Union des démocrates chrétiens), définit comme « passéiste » la campagne du président du Conseil, alors que le maladif Umberto Bossi assure qu’en cas de défaite, « la Ligue lombarde quittera la Maison des Libertés ». De quoi réjouir Romano Prodi, toujours plus sûr de sa victoire.

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/Romano Prodi/

/Ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi est né en 1939 à Scandiano (Reggio Emilia). Après des études de droit et d’économie, il enseigne en Italie et aux Etats-Unis, puis sera ministre de l’Industrie. Il présidera l’Institut pour la reconstruction industrielle, dont il assurera la privatisation. En 1996, il mène une alliance de centre-gauche (l’Olivier), qui bat la droite (Pôle des libertés). Devenu président du Conseil italien, il réforme l’économie et fait entrer l’Italie dans l’euro. Mis en minorité au Parlement en 1998, il démissionne et est remplacé par Massimo D’Alema. En 1999, il succède à Jacques Santer à Bruxelles. En 2004, il a pour successeur José Manuel Durao Barroso à la tête de la Commission européenne. Rentré en Italie, il est le leader de l’Unione, rassemblement de gauche et du centre, qui vise à renverser la majorité de droite dirigée par Silvio Berlusconi. L’Unione a gagné les élections régionales partielles des 3 et 4 avril 2005, remportant onze régions sur treize où l’on votait./

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