Parmi les mesures innovantes du nouveau gouvernement Prodi : la création d’une figure ministérielle de premier plan chargée de redorer le blason d’une coopération internationale au point mort en Italie. Prodi l’avait promis pendant sa campagne électorale : « La lutte contre la pauvreté dans le monde sera une priorité de notre gouvernement. » Une priorité, la lutte contre la pauvreté l’est depuis des années pour Patrizia Sentinelli, membre de Rifondazione comunista (PRC) nommée vice-ministre des Affaires étrangères : « Mon engagement en faveur des batailles menées par les mouvements altermondialistes contre la globalisation libérale remonte avant le G8 de Gênes [2001, ndlr]. A l’époque, j’étais conseillère municipale à la mairie de Rome, c’est là que j’ai compris que la démocratie représentative devait avoir un lien structurel avec les expériences de démocratie participative citoyenne. » Cette prise de conscience « s’est d’ailleurs concrétisée avec l’introduction des mouvements dans les listes de représentativité du parti au niveau local », puis forgée dans sa fonction de responsable national du PRC des secteurs « mouvements, environnement, territoire et collectivités locales ». Aussi, les terribles journées de Gênes restent encore gravées dans sa mémoire. « Ce fut une expérience à la fois tragique pour la mort de Carlo Giuliani (1) et magnifique, car la contestation pacifique du sommet avait réussi l’exploit de faire participer côte à côte des sœurs catholiques et les jeunes issus des centres sociaux. »
L’ensemble de la société civile italienne a salué la nomination de Patrizia Sentinelli à un poste ministériel dans lequel ONG et autres mouvements associatifs altermondialistes de la péninsule : une galaxie qui regroupe des leaders d’inspiration chrétienne et des laïcs de gauche et d’extrême gauche : mettent beaucoup d’espoirs. Mais voilà, les défis sont nombreux. Patrizia Sentinelli n’a pas eu à attendre longtemps pour s’apercevoir que les siens étaient particulièrement ingrats. Fermement décidée à relancer l’aide publique au développement, la vice-ministre a fait l’amer constat que le Document de programmation économique et financière (2007-2011), approuvé le 7 juillet par le Conseil des ministres en vue de la délicate loi de finances, n’avait pas réservé la moindre attention à la coopération internationale. « Un scandale, car c’est la pauvreté qui alimente le terrorisme. » Et la guerre. Chose que Sentinelli répudie totalement. Celle qui sévit en Afghanistan reste un obstacle redoutable. Pour elle, mais aussi et surtout pour son parti. Un parti confronté en juillet dernier à une crise interne profonde, lorsque la coalition de centre-gauche (L’Unione) a dû se prononcer sur le prolongement de la présence des militaires italiens au sein de la force internationale mandatée par l’ONU en 2001 pour soutenir le régime Karzai. Si les ténors de l’Unione (les réformistes de la Margherita et du Partito democratico della Sinistra) étaient prêts à augmenter cette présence militaire italienne au sein d’une mission Isaf qui appuie « l’opération anti-terroriste » Enduring Freedom de Washington et Londres, certains membres du PRC s’y étaient résolument opposés. « J’ai toujours jugé cette mission néfaste, dénonce Patrizia Sentinelli. En Afghanistan, l’aide humanitaire est prise en étau par les opérations militaires. » Soumis le 18 juillet à un vote de confiance au Parlement (le septième du genre en à peine trois mois d’activités), le projet de loi sur le refinancement de la mission afghane a été finalement approuvé par les seize « dissidents » de la coalition (parmi eux, cinq étaient du PRC). « Si l’issue a été positive, soutient Sentinelli, c’est grâce à une motion parlementaire qu’on a réussi à introduire dans le projet de loi qui limite la présence de nos troupes... »
Reste à convaincre les altermondialistes, une part importante de l’électorat de Rifondazione. « Mais il est très difficile d’imposer les principes fondateurs de la paix au niveau institutionnel. On ne peut pas prétendre à un changement radical dans un gouvernement aux composantes multiples ». Et continuellement soumis aux effets pervers d’une majorité parlementaire très limitée... « Mais je crois qu’il y a quand même une rupture par rapport au régime précédent : Prodi promet de retirer les troupes italiennes du bourbier irakien avant 2007. »
Comme Fausto Bertinotti, leader du PRC et actuel président de la Chambre des députés, Sentinelli sait au fond d’elle-même qu’il serait opportun d’éviter une crise gouvernementale comme celle de 1998, lorsque Rifondazione fit tomber le gouvernement Prodi. « Mais à l’époque, notre parti n’apportait qu’un appui externe. Aujourd’hui, nous sommes partie prenante de la coalition. » Avec un défi majeur : répondre aux attentes de la société civile tout assumant ses responsabilités de parti au pouvoir.
1. Jeune militant No Global tué par un policier pendant les émeutes du contre-G8