Changement de décor aujourd’hui, avec une visite au Klimaforum (www.klimaforum09.org), le lieu alternatif de la COP 15, organisé par et pour les ONG. C’est le lieu de ralliement des militants de tous bords, encore un peu plus nombreux aujourd’hui, et de la presse alternative. C’est aussi là qu’ont lieu des conférences de très haut niveau où s’expriment la multitude des mouvements venus à Copenhague porter la voix de la société civile. Réfugiés climatiques, droits des peuples indigènes, rôle majeur des femmes dans la lutte contre le réchauffement climatique, souveraineté alimentaire, modèles agricoles, méfaits du capitalisme, autant de questions majeures discutées chaque jour, et qui donnent toujours un peu plus de relief à la réalité du dérèglement climatique. Et à la situation dramatique dans laquelle se trouvent piégées de nombreuses populations.
La question des réfugiés climatiques se pose évidemment d’ores et déjà, comme l’ont souligné les membres de l’International Campaign on Climate Refugees’ Rights (ICCR) dont on peut lire ici (http://www.voicebd.org/node/250) l’appel. Rien d’étonnant à ce que ce soit des militants du Bangladesh, qui sont déjà soumis à des déplacements forcés, qui en assurent le secrétariat. J’y reviendrai plus longuement la semaine prochaine.
Mais c’est une question autant cruciale qu’ont mis en avant ce matin en conférence de presse les paysans du mouvement Via Campesina : la souveraineté alimentaire et leur survie. Trois membres du réseau, venus du Mali, d’Haïti et du Chili ont rappelé dans quelle vulnérabilité ils se trouvent aujourd’hui. Ibrahim Coulibaly, agriculture au Mali, rappelle que « cela fait 30 ans que cela a commencé dans le Sahel. Le dérèglement climatique, on sait ce que c’est. Et pour nous, c’est devenu une question de vie ou de mort, mais çà, ce n’est pas sur la table des négociations » . « L’agrobusiness est en train de nous tuer » , poursuit Jean-Baptiste Chavannes, d’Haïti, qui dénonce la situation de dumping crée par les agricultures financées du Nord. D’où cette proposition d’une réforme agraire intégrale, avec notamment une redistribution des terres aux familles paysannes. Jean-Baptiste Chavannes insiste notamment sur la nécessité d’avoir « des moyens pour produire des aliments sains selon des méthodes agro-écologiques et pour favoriser le développement des marchés locaux afin de réduire les frais de transports. Et nous, dans les pays du Sud, avons aussi besoin d’être aidés financièrement et technologiquement pour produire de l’énergie renouvelable, nécessaire à cette évolution. »
Si on peut se réjouir qu’au sein de la COP15, l’Afrique parle d’une seule voix dans une conférence climatique avec le G77, cela ne suffit pas à Ibrahim Coulibaly, agriculteur malien. Sa peur, c’est qu’on réduise les revendications africaines à l’unique compensation financière demandée aux pays du Nord. « Ce n ’est pas une position responsable. On ne peut pas réduire tous les problèmes à un transfert d’argent entre le Nord et le Sud. On est en train de tromper le monde entier. Ce qui doit changer dès maintenant, ce sont tous ces modèles productivistes, que ce soit dans l’agriculture ou dans l’industrie. On pousse les pays du Sud à produire des agro-carburants, pour que le Nord puisse continuer à consommer, au détriment de notre autonomie alimentaire. On nous pousse à produire de la monoculture et à utiliser des OGM, au détriment de la biodiversité. » Ce qui est au cœur des inquiétudes de Via Campesina, c’est le mépris des pays du Nord sur les conséquences, pour les pays du Sud, de leurs modes de vie. « Les pays du Nord ne peuvent pas continuer leurs modes de production et consommation prédatrices. Ils sont en train de se détruire et nous détruire en Afrique, poursuit Ibrahim. La vérité, c’est qu’en continuant au détriment des autres, ils sont en train de nous tuer, de tuer les populations les plus fragiles. Je crois vraiment qu’on peut parler de crimes climatiques. C’est cela que devrait porter la délégation africaine au COP 15 et ne pas simplement exiger une compensation financière. » Évidemment, il y a peu de monde pour écouter la parole de l’agriculture paysanne portée Via Campesina. Leurs représentants le savent bien et annoncent pour la semaine prochaine une série d’actions pour tenter de peser sur les négociations.
Une autre idée est en train de faire son chemin parmi les ONG : celles d’une justice internationale pour juger des crimes écologiques, climatiques. Hier Naomi Klein participait à une session consacrée au sujet au KlimaForum. C’est une question complexe, quand on connaît la difficulté de la justice internationale à s’imposer, tant elle dépend du bon vouloir des États signataires. Mais certains exemples, comme celui de la Cour pénale internationale crée en 2000 (et malgré la position attentiste des Etats-Unis), montre que parfois, des progrès sont possibles du côté de la justice.
Envisager une justice climatique, pour défendre le sort des populations indigènes ou autochtones et pour contraindre les États à agir, peut paraître un faible symbole face aux désastres déjà en cours et ceux à venir. Mais ce peut être aussi une pierre fondamentale à l’édifice qui est en train de se construire.
Emmanuelle Cosse en direct de Copenhague